Une illustration de Charles Brouty dans l’exemplaire de Jeunes Saisons publié par Emmanuel Roblès en 1961 – Opération Carrico dans les rues en pente de la ville

On me dira encore que je rejette mes origines en n’assumant pas un certain héritage.

Il faudrait que je prenne tout en bloc sans le moindre jugement critique. Il faudrait que j’adore le patois de Cagayous – dont je trouve les textes particulièrement mauvais – sous prétexte que ce patois provient de mes ancêtres.

Je n’aime pas le folklore de Gilbert Espinal non plus.

On veut me faire croire qu’il est près des pieds-noirs. Il les utilise surtout pour montrer comme il connait bien les mots de là-bas. Je ne lui en veux pas, il essaie sûrement de sauver quelque chose. Mais j’en veux à tous les autres de me faire croire qu’il y a là quelque chose qui ressemble à de l’humain.

En revanche, j’aime beaucoup Charles Brouty. Ce merveilleux dessinateur dont j’ai déjà parlé par ailleurs. Voilà quelqu’un qui a fait le choix de dessiner dans sa langue à lui. C’est le seul choix que je respecte.

Voilà quelqu’un qui fait honneur aux pieds-noirs.

Dans un beau message qui m’a rasséréné mardi, Luc écrit cette dernière phrase étonnante à propos de Céline dont il prend la juste précaution de préciser qu’il n’était pas un grand homme mais seulement un grand écrivain :

« J’aime chez Céline cette souffrance retenue et cette solitude de l’homme rejeté, de l’homme condamné, et il y a certainement un lien avec  la manière dont nous avons été considérés, même si cet homme fut un anticolonialiste convaincu. Sa notoriété et sa qualité d’écrivain reconnu m’apparaissent comme une revanche, une revanche que nous n’avons pas eue, une revanche que je n’aurai  pas… »

Les pieds-noirs attendent le grand homme qui prendra leur revanche. Il y a longtemps que je me dis qu’il faut que je parte à sa recherche.

Mais le pire, c’est que les grands sont connus. Brouty est très connu par exemple. Seulement Brouty n’est pas mis en valeur. Brouty décore les textes de Cagayous.

C’est juste scandaleux.

Ce sont les textes de Cagayous qui devraient décorer les œuvres de Brouty… allais-je dire. Mais même pas. Quelle horreur.

Les dessins de Brouty ne méritent qu’eux-mêmes et des centaines de pages dans les revues pieds-noirs.

Mais  je ne sais pas pourquoi, j’ai comme un doute.

J’ai l’impression qu’il est plus simple de parler de la guerre que d’évoquer Brouty. Le discours est bien huilé, on ne risque pas de faire fausse route. Evoquer Brouty, ce sera pour les « pages culture » et la déco finale. S’il reste de la place à côté des livres du cinquantenaire.

Charles Brouty

Les pieds-noirs ont davantage besoin de se trouver un représentant né entre 1830 et 1962 dont ils pourront être fiers parce que le monde entier reconnaîtra sa profondeur que des représentants qui ne représentent rien du tout et qui aboient sur tout ce qui passe.

Mais quand bien même cet honneur échoirait à Brouty, Brouty ne résoudra pas pour autant le problème de la littérature pieds-noirs.

Où trouver le type qui a délicatement su évoquer les épingles à linge (et non les pinces à linge) sans éprouver le besoin de faire des phrases comme « on aurait dit qu’y choisissaient l’heure de la sieste pour commencer leur jakèke ! » qui foutent en l’air toute subtilité et tentent de nous faire croire, à travers le folklore des expressions colorées, qu’on s’approche d’une certaine réalité pieds-noirs.

La bonne blague. Derrière ce genre de phrases, on voit surtout l’auteur qui se passe la brosse à reluire.

Chacun fera ce qu’il voudra.

Moi, je pars à la recherche des épingles à linges. Et sans jakèke.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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