Sur le port d’Alger, le 23 mai 1962, des rapatriés, désespérés, attendent parfois des heures d’embarquer pour la France. Ils laissent tout derrière eux, dans un voyage sans retour. © Maurice Jarnoux/Paris Match – Voir l’article de Paris-Match

Il n’y a pas que des vieilles femmes élégantes à Masseube, il y a aussi des hommes devant des salles vides.

Les conférences historiques ont fini plus tard que prévu. Si je me rappelle bien le programme, les ateliers thématiques autour desquels devaient se rencontrer jeunes et moins jeunes étaient prévus entre 17h30 et 19h. On a du sortir à 18h30 pour se disperser très lentement dans les petites salles voisines du grand amphithéâtre solennel.

Et les petites salles voisines ont mis beaucoup de temps avant de commencer à prendre forme.

Comme toujours, ce sont ces moments de flottement que j’aime observer.

J’en suis même arrivé au stade où je les fais durer le plus longtemps possible lorsque je reconnais leur petite brise très singulière qui flotte entre les portes battantes.

C’est le temps de l’entre-deux.

Je savais qu’il y aurait un moment favorable entre la fin des conférences et le début des ateliers.

Je me suis donc rapidement faufilé jusqu’à l’entrée d’une salle – n’importe laquelle – à la fin des conférences et je suis tombé sur un vieux bonhomme très digne qui attendait debout que quelqu’un veuille bien s’intéresser au thème qui lui était dévolu : l’agriculture.

Je n’avais pas du tout envie de l’interroger sur l’agriculture donc je ne suis pas entré dans la salle, par contre, j’avais très envie de discuter avec lui pour connaître son sentiment sur les conférences, et plus profondément, sur la vie après 62.

Il était à la fois très calme et très énervé.

J’aime beaucoup cette dignité, assez rare en fin de compte, la colère masquée derrière le sourire accueillant. Je sais à quel point le sourire est le masque préféré des gens qui souffrent donc je me dirige spontanément vers les âmes joyeuses lorsque je suis à la recherche d’une âme souffrante.

Contre quoi était-il en colère ?

Contre qui, devrais-je dire. Il était en colère contre un jeune professeur d’Histoire-Géographie de 25 ans qui avait pris le micro durant la conférence pour dire que le multiculturalisme, c’était très bien, et que dans sa classe, c’était l’idée fondamentale qu’il essayait de faire passer, le vivre-ensemble.

Il a raison.

Comme ont raison les gens qui pensent que la paix c’est mieux que la guerre et que le savon dans les yeux ça pique.

Face à ce genre de discours, il est très difficile d’engager la conversation parce qu’on est dans le règne des idées générales qui ne mènent nulle part, et que de surcroît, on passe pour un méchant si on commence à dire que le multiculturalisme pose des tas de problèmes à tout le monde quand bien même tout le monde aimerait qu’il n’en pose à personne.

Donc le vieux monsieur était très en colère après le jeune homme.

J’ai vaguement défendu le point de vue du professeur parce que je suis un petit malin, mais je n’ai pas trop insisté non plus, j’ai dérivé vers d’autres choses. Tant et si bien que la conversation s’est engagée sur l’après 62 parce que c’est là que le tabou se trouve. Je ne vais pas détailler ce qu’il a raconté car l’essentiel, cette fois-ci, s’est passé ailleurs.

A force de discuter devant la salle, des gens se sont agglutinés et ont commencé à participer à la conversation. Une jeune femme de mon âge qui était très exactement dans le même état d’esprit que moi a commencé à poser des questions aux uns et aux autres, et pendant dix minutes, nous nous sommes retrouvés à animer un groupe de discussion fort enjoué et très joyeux.

Et la question est tombée : C’est vous qui animez l’atelier ?

Ben non. L’atelier, c’est l’agriculture en 1958.

Il va falloir y aller maintenant.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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