C’est en lisant une page du livre de Danièle Morel, abécédaire d’une enfance pied-noire, que je repense aux retours de mon père et de ma mère à Oran.

Ma mère y est retournée en 1982 et mon père en 1983, puis en 2010.

Danièle Morel écrit :

Et il y eut 1979, le pèlerinage familial en Algérie voulu par mes parents et sujet de conversation depuis plus de quinze ans. L’expédition se fit à cinq, en R12, via la Méditerranée. Mon père voulait « nous montrer ».

J’ai d’abord mal compris ce que signifiait cette expression « nous montrer ». J’ai pensé en première lecture que le père voulait montrer ses enfants aux Algériens chez qui il allait être hébergé.

Du côté de mes parents, il n’y avait pas de connaissances algériennes à qui « montrer » ses enfants. Donc j’étais surpris et je trouvais ça beau.

Mais non, c’est beaucoup plus simple. Il voulait montrer l’Algérie à ses enfants.

Ce qui est étonnant quand j’y pense, c’est à quel point, chez moi, personne n’a cherché à me montrer l’Algérie. Ou alors n’ai-je pas cherché moi-même à la regarder quand on me la montrait.

Immeuble Roblès à Oran – Au niveau du pont Saint-Charles, face à la cité Perret

Du côté de ma mère, je peux comprendre, elle n’a jamais aimé l’ambiance machiste. J’ai toujours en tête l’une de ses phrases : ce pays de machos dont la femme fait les frais.

Pour elle, l’Algérie, c’est d’abord et avant tout une ambiance méditerranéenne où l’homme fort en gueule parle haut, s’emporte facilement, et rit à gorge déployé aux dépens de la femme.

Elle a toujours été beaucoup plus sensible aux gens qu’aux choses.

Pour elle, les gens faisaient les choses. Les choses n’avaient de sens que par les gens. Si les gens n’étaient pas bien, les choses ne pouvaient pas l’être non plus. Et en Algérie, pour elle, les gens n’étaient pas bien.

Donc son retour à Oran en 82 est un retour curieux et ouvert, tourné vers les transformations de la ville qu’elle a connue, et vers les personnes qui habitent maintenant son appartement.

*

Du côté de mon père, le côté très espagnol d’Oran lui rend la ville étrangère à un point tel qu’en posant le pied sur la terre française en janvier 62, il a l’impression d’être enfin de retour chez lui.

Il déchantera par la suite et ça n’ira pas en s’améliorant. En 2012, la France n’est plus vraiment le pays de son cœur. L’Algérie remonte à la surface.

Rue du Foyer Oranais à Choupot – Source de la photographie

Mais en 62, il doit être l’un des seuls pieds-noirs à se dire qu’il foule enfin la terre de sa vraie patrie et qu’il s’y sent très bien.

En 1983, un an après ma mère et peut-être sous son influence inconsciente, il retourne lui aussi à Oran. Il traverse la ville « en touriste » sans bien prendre conscience de ce qu’il vit. 30 ans plus tard, il s’étonne de ce retour « décontracté » extérieur. Il serait incapable d’une telle distance aujourd’hui. Lorsqu’il revient de son voyage, il veut montrer les photos à ses parents, mais ils s’en fichent. Donc il garde ses photos pour lui.

Je ne sais même pas s’il nous les montre, à ma sœur et à moi.

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Voilà le retour de mes parents à Oran. Des retours « extérieurs », sans pleurs.

Mes grands-parents maternels n’ont jamais poussé ma mère à raconter son voyage mais elle l’a fait malgré tout dans une lettre. Mes grands-parents paternels n’ont jamais daigné se pencher sur le voyage de mon père. Dans ma famille, il n’y a pas eu le désir de montrer l’Algérie.

Il y a surtout eu le désir d’achever l’histoire en 1962.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

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