J’ai du mal à trouver des informations sur Alfred Salinas.

Mais il me suffit de lire les premières lignes de l’avant-propos de son livre Oran la Joyeuse pour savoir que j’ai affaire à quelqu’un de proche.

Je n’aurais pas pu mieux exprimer mon ressenti.

Ci-dessous, donc, les premières lignes de l’avant-propos du livre qu’il a consacré à Oran et que je ne quitte plus :

« Quand les gens me disent que je suis Pied-noir parce que natif d’Oran ou j’ai vécu jusqu’à l’adolescence à l’époque de la présence française, j’éprouve toujours le besoin, non point de réfuter le propos, mais de le nuancer, car à mes yeux cette simple référence communautaire ne saurait définir complètement mon identité.

Je suis en effet un Oranais avant d’être quoi que ce soit d’autre, cela veut dire que je ne suis pas né en Algérie après 1830 mais mille ans auparavant, que mes racines plongent dans le passé le plus lointain de la terre nord-africaine à l’égal de tous mes semblables originaires, comme moi, d’Andalousie et du reste de l’Espagne, qui peuplèrent majoritairement la ville d’Oran avant l’indépendance du pays en 1962 et dont la mentalité volontiers optimiste et insouciante contribua à lui donner le surnom de « La Joyeuse ».

Les Pieds-noirs, et en particulier ceux d’Oran, donnent l’impression d’être sur la défensive lorsqu’ils explorent leur mémoire. S’estimant maltraités par médias et historiens, ils cherchent une parade, se mettent à raisonner en termes de bilan socio-économique, détaillent l’œuvre que leurs aïeux et eux-mêmes ont accompli pendant 132 ans sous l’empire des lois françaises, se glissant dans la peau de n’importe quel mandataire qui à la fin de son exercice rend compte à ses mandants de ce qu’il a fait de bien et de durable au cours de son mandat.

Les chiffres abondent, précis et sentencieux, de nature incontestables et incontestés : on a construit tant de routes, tant de villages, tant d’écoles, tant d’hôpitaux, tant de barrages hydrauliques, on a défriché tant d’hectares, récolté tant de tonnes de céréales, planté tant d’arbres, des pins d’Alep et des clémentiniers, des chênes et des vignes, on a créé tant d’emplois, tant d’usines, tant de commerces, on a fait ceci, on a fait cela, avant nous il n’y avait rien, sans nous il n’y aurait rien, seulement de la poussière et le désert à perte de vue«

La communauté pieds-noirs souffre d’un tel manque de reconnaissance qu’elle en arrive toujours à formuler un discours d’auto-justification excessif qui la discrédite. C’est l’écueil.

En ce qui me concerne, limiter Oran et mes racines à une période française n’a aucun sens.

Dans une ville quasiment espagnole, mélangée à de nombreux Algériens, je me demande même si j’ai quelque chose à voir avec la France. Cette marque française avec laquelle je vis depuis 40 ans m’a toujours posé problème et j’ai mis du temps à m’en rendre compte.

Je m’y sens à l’étroit.

Je m’y reconnais, mais pour une part seulement.

Salinas l’Espagnol

J’aime tout autant l’histoire espagnole. J’aime le fort de Santa Cruz. Depuis là-haut, on voit la ville telle que je l’ai toujours vue – sous son cadre de verre – chez mes grands-parents.

© Bouabdellah Boutiba / B Graphic

Et j’aime les Andalouses aussi, que je ne connaissais pas, mais dont le nom m’a vite séduit. Peut-être à la suite de ce passage dans lequel ma mère raconte les retours de plage par la Corniche.

« Tout le monde rentrait en même temps, cela donnait de longs embouteillages sur la Corniche. Les voitures se suivaient à la queue leu leu, à 30 à l’heure. Les fenêtres étaient ouvertes, et les radios hurlaient. J’aurais préféré le silence, mais les pieds-noirs n’ont jamais été un peuple discret. Souvent, l’une des voitures tombait en panne, de moteur ou d’essence.

Alors, quelqu’un d’une autre voiture prenait les naufragés et les ramenait jusqu’à Oran, et jusque chez eux. Souvent, nous avons pris des gens nous aussi. J’aimais bien, mais j’aurais aimé en savoir plus sur eux, ils restaient silencieux, tassés au fond de la banquette, intimidés, surtout les enfants. Souvent, c’était des gens qui parlaient espagnol, mon père était ravi.

A ce moment-là, il se mettait à leur répondre en espagnol lui aussi, c’était magique. »

L’espagnol fait partie de mon histoire.

Je n’idéalise pas pour autant la gentille présence espagnole face à la méchante colonisation française. Je n’idéalise ni le passage des Français, ni celui des Espagnols. Je le constate et j’en observe les traces.

Les Espagnols n’ont pas été des anges.

Vers la fin du XVème siècle et à l’aube du XVIème siècle, ils s’intéressent à la ville. Ils lancent plusieurs tentatives d’assaut, et parviennent au cours de l’an 1505 à occuper Mers el Kébir. Ils ne réussiront à envahir Oran qu’en 1509.

Les fresques de la campagne d’Oran peintes par Juan de Borgoña

Témoignage d’Alvaro Gomez.

Il est 6 heures : la nuit tombe rapidement et dans la ville désolée, les Espagnols envahissentmassacrent et pillent. Ils ont trouvés dans les maisons tout préparé le repas du soir destiné aux combattants qui ne sont pas revenus ; gorgés de vin, ivres de sang, ils arrachent aux femmes et aux enfants leurs bijoux, brisent les meubles, s’emparent des robes, des tapis, des matières d’or et d’argent, n’oublient rien et ne font grâce à personne

Plus de 4000 milles êtres humains sont sacrifiés. Dans les rues qui sont pourtant larges, on ne peut pas marcher, tant est grand l’amoncèlement des cadavres

Je me sens autant d’affinité avec cette histoire-là qu’avec celle de la période française.

Et je ne vois pas pourquoi j’arrêterais tout en 1962.

La suite me concerne aussi.

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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