Ma mère et ma grand-mère dans un café à Villefranche-de-Lauragais dans les années 90

En avril 1982, ma mère fait retour à Oran pour quelques jours.

Le 1er mai, elle écrit une longue lettre à ses parents et à son frère pour leur raconter son voyage. J’en ai publié le début il y a deux semaines, et la suite mardi dernier.

Aujourd’hui, c’est la (re)découverte d’Oran.

*

Le lendemain, nous sommes allés à Oran.

D’autres gens du groupe étaient partis à Bel-Abbès ou à Mostaganem. Comme le car qui était prévu pour neuf heures est arrivé à onze heures parce qu’il n’avait pas d’ordre de mission pour aller à Oran (sortie qui n’était pas prévue à l’origine), nous avons débarqué à Oran sur la Place d’Armes en plein midi.

Il y avait une animation folle, toujours des gosses et beaucoup de jeunes.

La mairie est toujours là, avec les deux lions, rien n’est abîmé ; au centre de la place, il y a un monument aux combattants de la guerre d’indépendance. C’est écrit en arabe et la place s’appelle Place du Ier novembre 1954.

Tout de suite, nous avons pris le chemin de la rue de Mostaganem. J’étais comme attiré par un aimant, il me semblait que je rêvais. Nous avons dû demander notre chemin à un agent car je ne m’y retrouvais pas très bien. Enfin, nous nous sommes retrouvés vers le début de la rue de Mostaganem que j’ai bien reconnue.

Comme vous le savez, je crois, son nom n’a pas changé. Nous sommes remontés jusqu’à la Cité Perret, la rue était très animée, avec plein de boutiques plus ou moins encombrée de chaque côté, mais pas vraiment de magasins. Ce sont plutôt des bouis-bouis couleur locale.

Enfin, nous sommes arrivés au carrefour d’où l’on découvre l’immeuble.

J’ai été désolé par la saleté de la façade qui est noire de crasse et les balcons sont des sortes d’entrepôts où l’on voit de tout. Mais quoi ? Il faut s’y faire, maintenant. On voit toujours très bien les impacts de balles, Claude n’en revenait pas.

Nous avons traversé la rue et nous sommes passés sous le pont. Je suis passée devant l’entrée de l’immeuble, les vitres derrière les grilles de fer forgé sont cassées. J’ai voulu voir les fenêtres de derrière, mais il fallait entrer dans l’ancienne entreprise de bois qu’il y avait là et on ne pouvait pas rentrer car maintenant, cette entreprise est nationalisée et gardée par un planton.

Ça m’ennuyait tout de même, je voulais voir les fenêtres de la cuisine, de la salle de bain et de ma chambre.

A ce moment-là, un arabe est sorti de l’entreprise en question, il nous a vus là, il nous a demandé ce qu’on voulait. J’ai expliqué mon histoire, il nous a souhaité la bienvenue en Algérie et il est allé parler à l’intérieur pour qu’on nous laisse rentrer et on nous a laissés rentrer, j’ai vu les fenêtres.

Celle de la salle de bain était toujours bleue !

Ensuite, on est ressorti de l’entreprise et j’ai voulu rentrer dans l’immeuble. C’est donc ce que nous avons fait. Je dois dire que l’entrée est d’une saleté inimaginable, les portes des boites aux lettres branlantes quand ce n’est pas arrachées, et surtout tous les murs, qui, si je me souviens bien, ont été blancs, sont noirs de couches de crasses superposées comme des strates. L’ascenseur ne marche plus et l’eau ne monte plus dans les étages, il faut descendre la chercher au rez-de-chaussée. Et toutes les vitres sont cassées.

Il y avait plein de gosses dans les escaliers et deux femmes qui lavaient du linge sur la terrasse.

Je leur ai demandé si je pouvais monter au 6ème étage en leur expliquant que j’avais habité là, elles ont été très gentilles, elles m’ont dit « monte, monte, vas-y ». Les gosses se sont fait un plaisir de nous escorter, et nous sommes montés en grande pompe, et à pied. Au cinquième étage (tout l’immeuble était déjà au courant de notre présence) je vois Samia qui sort de l’appartement de chez Tina et qui m’embrasse comme du bon pain en me demandant des nouvelles de toute la famille dont elle se souvenait très bien d’ailleurs. C’est elle qui nous a introduits chez les gens du 6° et qui a expliqué ce qu’on voulait.

Nous avons eu beaucoup de chance, ils ont accepté tout de suite de nous laisser rentrer et visiter.

C’est un médecin qui habite là maintenant, et ce depuis 62, contrairement à ce qu’on nous avait dit. Il semblerait qu’après le départ de Papa, il y ait eu un jeune homme employé à la télé en face qui y ait habité quelques mois seulement, puis il a laissé la place au toubib qui avait une famille plus nombreuse. Ce médecin a une soixantaine d’années. C’est un homme très européanisé, extrêmement courtois et plein de tact, qui a su très bien nous donner l’illusion que nous revenions chez nous.

Ce qui était vraiment stupéfiant, après la crasse et le délabrement des escaliers, c’était la propreté méticuleuse de l’appartement. Tout est impeccable et reluisant au possible. La femme de ce docteur semble beaucoup plus jeune que lui, elle est surprenante car elle est très brune avec le teint clair et de très grands yeux bleu clair. Elle est timide et très réservée.

Nous avons pu « visiter » l’appartement tout entier. La salle de bain est nickel mais inutilisable puisque l’eau ne monte pas dans les étages. Autrement, rien n’avait changé, sinon que devant chaque porte, ils ont rajouté des rideaux, ils ont l’air d’aimer ça. Il y a aussi un grand rideau qui sépare le séjour du hall.

Il me semble avoir reconnu, dans le hall, une applique qui était à nous : blanche avec des petites étoiles dorées.  Si je ne me trompe pas, eh bien on peut dire que ça n’a pas changé de place depuis vingt ans. Mais naturellement, je n’ai pas posé de questions.

Il y a une femme du groupe qui est revenue en Algérie l’an dernier pour la première fois, elle est allée à son ancien appartement et elle a, comme moi, demandé à visiter : tout était resté en place, les meubles qu’elle avait laissés, les tableaux aux murs, tout, et l’arabe lui a dit : « c’est à toi, tu reprends tout, j’ai tout laissé comme c’était parce que je savais qu’un jour toi ou tes enfants tu reviendrais tout chercher ». Alors la femme a repris ses photos de famille qui étaient restées exactement là où elle les avait laissées et elle a « donné » à l’arabe tout le reste ! C’est une histoire ahurissante, je trouve. Quand j’ai vu la petite applique dans le hall, j’ai repensé à cette femme.

Enfin, ils nous ont offert le thé à la menthe dans le séjour dont ils ont fait un grand salon de réception, fort joli d’ailleurs, avec de très beaux cuivres bien astiqués partout. On est resté là un bon moment puis on est reparti avec une invitation à déjeuner pour le samedi, veille de notre départ. En redescendant, il a encore fallu s’arrêter chez Samia puis encore chez une femme du rez-de-chaussée qui nous a invités à venir prendre le thé le jeudi après-midi. Malheureusement, nous n’avons pas pu y aller car ça a été le jour où il y a eu tous ces événements à Oran, et où on est resté coincés au centre-ville.

Voilà pour le plus important du séjour. J’ai oublié de vous dire que ce fameux docteur a deux filles, peut-être de mères différentes, mais nous n’avons pas très bien compris. L’aînée est licenciée d’anglais, elle vit à Bruxelles, mais elle ne travaille pas. Nous avons fait sa connaissance le samedi, quand nous y sommes retournés. Elle était venue passer quelques jours chez son père. La deuxième fille est plus jeune, elle va au lycée, un nouveau lycée qui s’est construit dans le quartier.

Ensuite, dans l’après-midi, nous sommes retournés dans le quartier de la cathédrale, qui est fermée, mais l’évêché, à côté, est toujours ouvert et reçoit.

Puis nous sommes montés au lycée Gsell, qui s’appelle autrement, mais je ne sais pas comment. La concierge nous a conduit chez la surveillante générale, une jeune femme d’une trentaine d’années, algérienne, originaire d’Aïn-Témouchent, qui nous a fait visiter partout.

Le lycée n’a absolument pas changé, tout est impeccable. Elle était très fière de nous montrer le lycée, qui accueille maintenant plus de 2000 élèves de Seconde, Première et Terminale. La directrice a voulu nous voir, nous serrer la main et bavarder un moment avec nous. Puis nous sommes repartis et nous avons marché dans la ville, Boulevard Clémenceau, rue d’Arzew, etc. Toutes ces rues s’appellent autrement, naturellement, mais la plupart du temps, ils ont gardé les anciennes plaques avec « ex-rue de… ».

Les grandes artères sont à peu près propres mais les trottoirs ne sont pas entretenus, on se tord les pieds à chaque instant dans des trous, c’est désagréable.

Le Front de Mer en revanche est tout à fait bien conservé, toujours aussi beau. Il s’appelle Boulevard de l’ALN. Qui l’eût cru ! Les immeubles, d’une manière générale, auraient besoin d’un bon coup de peinture, car ils font très sales.

La place de la grande poste (Place du Mahgreb) est grouillante de monde, on se marche sur les pieds. J’ai été frappée par le grand nombre de jeunes oisifs qui traînent dans les rues à ne savoir que faire.

A six heures, nous sommes rentrés aux Andalouses par le car.

 

La suite et fin, mardi prochain.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *