André Hébuterne, « Le Ravin de Ras-el-Aïn »

J’ai mis un peu de temps avant de comprendre qu’Oran avait commencé au fond d’un ravin.

Ce n’est pas évident au premier coup d’œil puisque toute la ville s’est déplacée sur le plateau de Kargentah à la fin du XIX°S. Mais sur une vue du ciel en mode Google Earth, on voit très bien la dépression entre le massif de l’Aïdour et le plateau de Kargentah.

Robert Tinthoin, dans un document de 1956, Oran ville moderne, paru dans « l’information géographique », donne une forme assez claire à la topographie du lieu. On y retrouve bien la ville, casée entre les cinq ravins.

Le ravin de Ras-el-Aïn et ses quatre petits frères

« Entre le pic de l’Aïdour et les falaises de Gambetta, un plateau de 60 à 100 mètres d’altitude est entaillé par cinq torrents côtiers. Le principal, à l’ouest, le ravin Ras-el-Aïn – de la source – a fourni pendant des siècles, eau d’alimentation pour les habitants et d’irrigation pour des jardins potagers, des carrières de pierre à bâtir, à chaux, à plâtre et de terre à briques. »

Ravins d’Oran (carte extraite d’un article de Robert Tinthoin, « Oran, ville moderne », publié dans « L’Information géographique », année 1956, volume 20)

Cette histoire d’eau douce a toujours été un problème pour Oran, on peut en trouver un aperçu sur une page très intéressante du Cercle Algérianiste, par exemple.

Je reprendrai juste quelques phrases qui montrent les petites choses. Il semble qu’on soit en 1932 :

« Des charrettes attelées sillonnaient les rues de la ville, de la Calère aux « Beaux Quartiers ». Les cochers proposaient de l’eau douce de Ras-el-Aïn, qu’ils transportaient dans des bonbonnes de verre, habillées et capuchonnées d’alfa tressé. « Agua, agua dulce ». Les ménagères en achetaient pour cuire les pois cassés et les pois chiches, les hommes pour boire le café « Niziére » du matin, et l’anisette « Cristal » de midi et du soir.«

La SEOR (Société de l’Eau et de l’assainissement d’Oran) précise ce qu’il en est en 2012.

« Située au fond du ravin de Oued Errhi, elle constitue la plus ancienne des ressources de la ville. Bien plus, la présence de cette source a été un facteur déterminant dans la fondation même de la ville d’Oran en ce lieu. La source de Ras el Aïn a fait l’objet de plusieurs aménagements le long des siècles.

Le lavoir de la Marine (Sidi el Houari) – Place des Quinconces à Oran dans les années 50

L’eau provient de l’écoulement souterrain des eaux d’infiltration dans le calcaire fissuré du massif du Murdjajo. Son débit journalier est de 5.000 m3. Elle dessert actuellement le quartier des Planteurs et le port, y compris la centrale thermique. Les eaux de cette source ne subissent aucun traitement spécial, à  l’exception d’une désinfection finale, avant distribution.«

Je ne sais pas vraiment ce qu’il en est de la pollution des eaux douces du ravin de Ras-el-Aïn à l’heure actuelle, mais ça n’a pas toujours été simple, si j’en crois Houari Chaila dans son livre Oran, Histoire d’une ville dont le copyright de la deuxième édition date de février 2002.

La pollution du Ras-el-Aïn

Il consacre quelques lignes aux malheurs modernes de ce petit ruisseau :

« Ce ruisseau fut comblé au début des années 70, pour laisser un immense égout collecteur sur lequel devait être construit la route du port d’Oran à Tlemcen et la frontière marocaine. Ce chantier, malgré des multiples tentatives de relance, se trouve à l’arrêt en attendant des jours meilleurs.

Ce qui reste dangereux aujourd’hui pour la santé de la population, c’est que cette source de Ras-el-Aïn est gravement polluée. Car, si à l’origine, le site au-dessus de la nappe était vierge de toute construction, il n’en est pas le cas aujourd’hui.

Devant l’exode rural et les besoins immenses en logements, une agglomération d’habitations s’est constituées progressivement au-dessus de la source, sans qu’il y ait d’égout collecteur. Ces innombrables refuges de fortune disposent de fosses septiques, lesquelles, par infiltration, versent leurs eaux usées dans la nappe ?

D’où l’impérieuse nécessité de procéder à un contrôle quotidien de l’eau de Ras-el-Aïn car le risque de choléra ou autre maladie transmissible par l’eau, est fortement présent.

Adieu, eau pure et douce de Ras-el-Aïn ! «

Le ravin de Ras-el-Aïn est au coeur de l’histoire d’Oran et en subit sans cesse les vicissitudes.

Il est un marqueur de santé de la ville.

Va-t-elle bien, seulement ?

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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