Quelques jours après sa mort en 1998, j’ai récupéré chez mon grand-père une série de livres de la collection « Algérie Heureuse ».
Je ne ferai aucun commentaire sur ce titre qui est à replacer dans son contexte.
Il doit y avoir une vingtaine de volumes et l’un d’eux s’appelle « La Chasse au Lion« .
Un lion affalé sur un rocher trône en couverture. Tout ça fait très vieillot, mais justement, c’est ce que je voulais. Du vieillot.
Parce que le vieillot me donne accès à une pensée protégée des aléas de notre époque.
Quelques précisions sur l’auteur. Il s’agit de Jules Gérard, lieutenant au 3ème régiment de spahis, grand chasseur toujours à la recherche de nouvelles aventures qui devait périr noyé dans le Jong, en Sierra Leone, à l’âge de 47 ans. Le livre est édité en 1855.
(NB : je découvre fin juin 2012 dans un hors-série de Geohistoire sur l’Algérie que ce Capitaine n’a pas tué plus d’une trentaine de lions, ce qui n’est déjà pas si mal, mais peut-être pas autant que ce que j’imaginais…)
« Cédant aux conseils de quelques amis, j’ai réuni mes souvenirs de chasse pour les offrir à tous les veneurs et chasseurs mes confrères.
Ce livre, ou plutôt ce recueil, est destiné à initier le lecteur à mes chasses au lion, aux éléments cygénétiques que l’Algérie renferme, et aux moyens usités pour chasser à tir, à courre et au vol, par les Français et par les indigènes. »
Voilà pour une partie de la préface. On attaque le vif du sujet, je file directement à la page 78 :
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Un rugissement terrible a retenti sous bois à quelques pas de lui.
– A terre ! a répondu une voix digne de commander une armée ; à terre ! enfants de Cessi ; souvenez-vous que vous êtes des hommes et que je suis avec vous !
Aussitôt la troupe se resserre en se groupant comme elle peut autour de son chef, et attend, le fusil à l’épaule, que le lion fasse une trouée dans le fort pour venir à elle.
C’est un moment solennel que celui-là ! Les chasseurs et le lion ne sont séparés que par une distance de quelques pas à peine, et cependant ils ne se voient pas.
Le lion s’est rasé à la manière du chat, afin de mieux bondir et d’offrir moins de prise aux balles.
Tout à coup un des chasseurs fait un signe de la main qui veut dire : Je le vois ! Son voisin suit la direction du doigt et confirme le signe du premier. Tous se pressent et se poussent pour voir à leur tour et faire feu tous à la fois.
Malheureusement il est trop tard ; le lion, se voyant découvert est tombé sur la troupe, a broyé la tête de celui-ci, enlevé un œil à celui-là, déchiré l’épaule d’un troisième, puis d’un bond il a disparu sous bois aussi vite qu’il est venu, sans même donner le temps de brûler une amorce.
Alors ce sont des cris étourdissants, c’est un brouhaha à ne plus s’entendre ; chacun s’en prend à son voisin de ce qui vient d’arriver, et le malheureux qui a vu le lion le premier, s’il n’a été ni tué ni blessé, est accablé d’injures, comme s’il avait dit au lion : Venez, agissez, voilà l’instant.
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Dans la préface toujours, Jules Gérard prévient :
« Je n’ai pas la prétention d’être un homme de style : je préviens donc ceux qui liront ces quelques chapitres qu’ils n’y trouveront point de phrases, mais des observations fondés sur l’expérience, des anecdotes et des faits racontés simplement et tels qu’ils se sont accomplis.«
Ce genre d’écriture et ce genre d’anecdotes me rappellent Edgard Attias et le monstre marin… Il y a des gens comme ça, qui aiment se retirer derrière leurs écrits.
C’est la seule nostalgie que je m’autorise.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).
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NB : Pour ce qui concerne les lions à Oran, aller faire une escale du côté des lions verts et rouges… et peut-être aussi du côté de Lyon, ville anciennement jumelée avec Oran, et où la Vierge de Fourvière a servi de modèle à celle de Santa Cruz. Ne pas oublier non plus Édouard Herriot. Les Lions semblent avoir quelques liens secrets avec Lyon…