Il y a quelques années, j’avais demandé à ma mère de m’écrire quelques pages sur Oran.

C’était bien avant de commencer le travail de transmission entrepris avec mon père au mois de mai 2010. Ma mère est morte le 15 février 2009.

Je ne suis pas sûr, mais je pense que l’écrit dont je vais reproduire quelques phrases ci-dessous date de 2002, il commence de cette façon :

« A Oran, il faisait toujours beau. Quand on sortait le matin, habillé de frais, tiré à quatre épingles, l’air était déjà tiède, le ciel grand et bleu, d’un bleu turquoise inimitable, brillant de pureté. Surtout au printemps et en été. Il pleuvait rarement. 

Quand on est arrivé en France en 1962, je n’avais pas de parapluie, c’est tout juste si je savais ce que c’était. On était imprégné de soleil et de beauté, c’était merveilleux.«

Alors ce que je vais écrire maintenant va détonner dans le paysage : Ma mère n’a pas du tout aimé l’Algérie.

Ou plus exactement la société française sous ces basses latitudes.

Boulevard Gallieni (source : le site de Jean-Yves Thorrignac)

Quelques lignes plus loin, elle écrit ceci qui est très dur et bien sûr excessif. Pathologique, en vérité. Ma mère était malade de l’Algérie et accessoirement d’une sclérose en plaques :

« Quand le soir tombait, il était tard et chacun rentrait chez soi, en un clin d’œil il n’y avait plus personne dehors. Les méditerranéens ont toujours été très moutonniers. Ça n’a pas changé.

La mode était tyrannique : toutes les filles la même coiffure, la même forme de robe à la mode, et tout le monde le même genre de plaisanterie grossière, dont la femme faisait les frais en général, et tout le monde le même rire.

Le décor était beau, mais les gens étaient bêtes en Algérie. »

Il y a quelques jours, je discutais avec un ami pour lui dire que dans ma famille, la transmission de l’Algérie Française avait été fort compliquée parce que ma mère avait  tout rejeté en bloc d’une manière maladive, à commencer par la cuisine qui, là-bas, est une religion.

Immeuble Roblès, 87 rue de Mostaganem, Oran (Photo Abdelbaki Fellouah)

Elle détestait viscéralement la place que sa mère avait tenu dans la famille : aux fourneaux.

Et pourtant, ce n’est pas tout à fait vrai puisque ma grand-mère travaillait, ce qui n’était pas forcément le cas général. Elle était institutrice. Mais voilà, selon ma mère, il ne faisait pas bon être une femme à Oran.

Je ne sais pas du tout quoi en penser et j’imagine que des lectrices dévouées ne manqueront pas d’éclairer ma lanterne.

Ce que je sais, en revanche -parce qu’il est difficile de le nier- c’est que je suis nul en cuisine. Gamin, c’était pâtes le midi, croque-monsieur le soir.

On en rigole beaucoup avec ma sœur aujourd’hui.

Et j’ai mis du temps à comprendre que ce que j’avais transmis de l’Algérie Française à mes filles, en fin de compte, c’était les croque-monsieur.

Ce n’est pas très glorieux.

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

*

NB : Un des premiers textes écrits sur ce blog. J’ai eu le temps d’en savoir davantage sur ma mère depuis. J’ai par exemple retrouvé la trace écrite d’un voyage qu’elle a fait à Oran en 1982, pour revoir la ville. Comme quoi elle y était attachée. Et c’est par ici pour la voir en photo à côté de sa mère, en bas de l’article.



 

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