Photographie du Phénix – Oran

Je ne savais pas qu’on appelait ça des photos-cartes.

Mon grand-père en avait pas mal dans ses affaires.

De très vieilles photos réalisées chez des photographes et collées sur du carton épais.

Face à de tels objets, on a vraiment l’impression de remonter très très loin dans le temps. Beaucoup plus loin que les cartes postales.

« En 1857, dans La Lumière, le chroniqueur La Gavinie mentionne l’apparition d’un nouveau mode de portrait : la carte de visite, « une reproduction du personnage des pieds à la tête », collée sur du carton. » (source : http://www2.cndp.fr/themadoc/niepce/disderi-Imp.htm)

C’est un certain Eugène Disderi qui invente la technique du châssis multiplicateur permettant plusieurs vues sur une même plaque de collodion. L’ancêtre du photomaton que tout le monde connaît.

A la différence tout de même que sur un photomaton, personne n’a jamais réussi à se trouver beau, alors que sur les photos-cartes, on peut s’admirer sous toutes les coutures et s’imaginer séduisant.

Exception faite de la reine d’Angleterre qui fait une tête pas possible en 1897. Giuseppe Verdi s’en tire mieux.

Tout ça pour dire que le monde entier y passe, des plus petits aux plus grands. La photo-carte sert désormais de carte de visite pour faire croire qu’on est quelqu’un.

Très vite, le procédé est repris par tous les photographes dans les années 1860. « Il s’agissait alors d’offrir à la nouvelle société impériale la possibilité d’avoir le portrait de sa position sociale, reproductible à l’infini, à un prix abordable et dans un format carte de visite que l’on distribuait autour de soi.«

C’est le grand spécialiste français de l’histoire de la photographie en Orient qui en parle, Michel Mégnin, dans un article publié je ne sais où.

Pour dire les choses telles qu’elles se sont passées, je naviguais un peu au hasard sur le Web, lorsque je suis tombé sur cette page qui présente le dernier livre de Michel Mégnin : La photo-carte en Algérie au XIX° siècle.

Et très vite, j’ai fait le lien avec ces drôles de photos cartonnées que j’avais déjà vu passer au milieu des cartes postales familiales.

J’en mets quelques-unes ci-dessous, le recto à gauche et le verso à droite (ou alors collées l’une sous l’autre si l’on visionne sur un smartphone un peu étroit).

Je m’apprêtais à faire l’inventaire rapide de quelques photographes oranais lorsque je me suis rendu compte que Michel Mégnin l’avait déjà fait, et de manière quasiment exhaustive, pour l’Algérie entière.

Si certains me regardent parfois avec de grands yeux en pensant que je suis obsédé par Oran, je peux leur assurer que je ne suis rien à côté des véritables obsédés, plus nombreux qu’on ne le pense, qui ont la chance d’être passés très tôt au-dessus du regard des autres pour se lancer dans leur passion, que le commun des mortels en comprenne quelque chose ou pas. Peu importe.

C’est ce qu’on appelle la maturité. Il faut parfois du temps pour l’atteindre.

Michel Mégnin est un fou furieux de la photo-carte et des photographes. Le bonhomme ne s’interdit rien de ce qu’il aime, et part à la recherche de tous petits détails biographiques sur les uns et les autres, dans le seul but de reconstituer des vies disparues depuis longtemps.

On pourrait dire, à quoi bon ?

Il n’empêche qu’il est débordé de courrier.

Les gens qui comme moi ont eu la folle idée d’ouvrir la boite de Pandore mémorielle se retrouvent souvent désarmés face à ces photos-cartes, et sont heureux de pouvoir trouver quelqu’un à qui parler pour obtenir un minimum d’explications, voire davantage, avec la reconstitution d’un monde ancien.

Michel Mégnin a créé une page qu’il a intitulé Journal de la CDV.

La CDV étant le nom de la Carte De Visite sous forme de photo-carte. Peut-être la CDV est-il le nom d’époque. Je ne sais pas.

Toujours est-il que dans le journal de la CDV, Michel Mégnin, essaie d’être le plus exhaustif possible sur ces photographes de la deuxième moitié du XIX° siècle qui, en Algérie, ont participé à la mise en image d’une société coloniale particulièrement diverse.

Pour dire comme Michel Mégnin va loin, il est capable de rechercher l’origine des mystères généalogiques des uns et des autres, et pour ce qui nous concerne, des cas problématiques, semble-t-il, des Eberhardt, dont l’initiale A. semblait connue, mais pas l’initiale M. (ou l’inverse… je m’y retrouve difficilement dans cette histoire.)

J’ai mis une photo-carte de A. Eberhardt plus haut, j’en mets une de M. Eberhardt ci-dessous. Toujours de mon grand-père.

« Ce « M » est en fait Michel Eberhardt, élève de Klary et sans doute son frère, Albert Guillaume EBERHARDT, né à Oran le 7 mars 1854, photographe à Oran qui se marie en 1876, soit un an après la création du studio M Eberhardt. Domicilié à la même adresse comme élève de Klary. En 1880, Albert Guillaume est domicilié rue de Genes. L’origine allemande de la famille est signalée dans un acte de naissance d’un des enfants d’Alfred Guillaume. »

Là où quelque chose m’échappe, pourtant, c’est que ces cartes de visites (tout comme les cartes postales familiales plus tard) ne portent pas de noms.

Si bien qu’on ne sait pas à qui on a affaire.

Toutes les personnes que je viens de poster sur cette page sont mes ancêtres du côté de mon grand-père maternel (du moins je pense) mais je n’ai aucune idée de leur identité. Pour des cartes de visite, je trouve ça étonnant. Mais peut-être est-ce l’époque. On est sensé savoir qui est qui.

Plus qu’aux cartes de visites, il faudrait les comparer à des photos de famille envoyées par la Poste, et sur lesquelles on indique rarement les noms des uns et des autres puisque tout le monde les connait.

Ça montre aussi à quel point les gens vivent dans le présent sans se préoccuper le moins du monde de leurs descendants.

Je vais m’arrêter là, mais il faudrait aller beaucoup plus loin dans la compréhension de l’intérêt des photos-cartes :

  1. Il y a d’abord le cas Nadar qui est photographe à la même époque mais qui recherche l’âme de l’individu davantage que sa position sociale. Il a été le photographe de tous les grands artistes, à commencer par les Impressionnistes. Il « s’oppose » à Disderi dans le sens où il cherche à accéder à une certaine forme d’intériorité, alors que Disderi recense les formes sociales. L’intérieur et l’extérieur. Les tourments de l’âme contre les apparences sociales.
  2. Il y a ensuite l’Orientalisme, dont j’ai déjà parlé par ailleurs, et qui est la manière fantasmée par laquelle l’Européen se représente le monde musulman. « Avec 300 photos, j’essaie surtout de décoder la représentation de l’Européen (le notable et le fermier, la grand-mère et le premier communiant, le zouave, le spahi, le turco aussi…) et celle de l’Indigène (les caïds, les mendiants, les enfants, les petits métiers, les fameuses mauresques et autres Ouleds-Nails.) ». (entretien avec Michel Mégnin.)

Et puis, un peu plus haut dans l’entretien, il y a cette phrase qui me questionne et que je garde en tête :

« Il se trouve que l’âge d’or de la photo-carte coïncide avec une période où l’on hésite encore sur le statut à donner à la colonie. A ceux qui veulent préserver un équilibre entre colons et Indigènes (le royaume arabe rêvé par Napoléon III) s’opposent ceux qui l’emporteront avec une colonisation s’emparant des terres et le rattachement de l’Algérie à la République. »

Je me demande bien à quoi aurait pu ressembler un royaume arabe.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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