Oran – Entrée de la promenade de Létang – Côté Petit Vichy (Crédit photo Abdelbaki Fellouah)

J’ai déjà un peu écrit sur la promenade de Létang.

Et j’aime encore l’article, tout en musique, extrait d’une émission de France Inter.

C’était le plaisir de la découverte totale, l’imagination qui tourne à bloc, les sensations déferlantes.

Et c’était même plus que ça.

Puisque j’écoutais l’émission en septembre 2011, 6 mois avant de commencer le blog, et qu’à l’époque j’avais peu d’images en tête. J’imaginais tout.

Mais l’imagination ne tient pas longtemps devant le réel, infiniment plus créateur, et j’ai donc découvert une certaine réalité (qui n’est pas encore tout fait le réel, mais ça viendra, je sais attendre).

Je regrette juste d’avoir perdu la fraîcheur des débuts et de ne plus être capable d’écrire aussi naïvement. On ne peut écrire naïvement qu’au début. Ensuite, seuls les détails sauvent de l’ennui.

Heureusement, le long de la promenade de Létang, les détails ne manquent pas, à commencer par les plaques de l’artisan céramiste du coin, Bartolomé Jorba.

Une plaque céramique de la promenade de Létang – Entrée Ouest rue de Turin (photo Abdelbaki Fellouah)
Une plaque céramique de la promenade de Létang – Entrée Est Petit Vichy (source vitaminedz.com)

« Créée en 1836 par ordre du Général De Létang commandant la Division d’Oran sur l’emplacement des glacis Nord et Ouest du Château-Neuf – Site Historique. Arrêté du Gouverneur Général 23 juillet 1952. »

Il y en a une à chaque entrée de la promenade. Ce sont les croix 1 et 2 sur la carte.

Promenade de Létang (carte Eugène Cruck modifiée)

Sur la photo en tête d’article, en fronçant bien les sourcils, on remarque une petite plaque contre le mur blanc, à droite de la grille.

Je remercie Abdelbaki Fellouah pour son travail photographique passionnant ; en plus des détails, je me retrouve régulièrement avec une comparaison ancien/récent qui donne toujours à réfléchir, et pour tout un tas de raisons.

Il y a par exemple le cas intriguant du kiosque à musique (croix 3) au bas de la Promenade de Létang, côté Ouest.

Kiosque de la Promenade Létang (carte postale delcampe)
Disparition du kiosque de la promenade de Létang (photo Abdelbaki Fellouah)

Le moins que l’on puisse dire est que la disposition des personnages sur la carte postale laisse songeur. On pourrait passer des heures à analyser la photo. Pour le plaisir personnel du lecteur, quelques questions perturbantes, en passant :

  • Pourquoi les musulmans sont-ils devant et les européens derrière ?
  • Pourquoi les européens sont-ils sur le kiosque et pas les musulmans ?
  • Pourquoi deux groupes et pas un seul ? Pourquoi quatre et quatre ?
  • Pourquoi une telle mise en scène pour un kiosque ou une promenade ?

Je n’ai aucune réponse à ces questions et toute réponse me paraîtra suspecte.

Oran – Promenade de Létang, côté Ouest (photo trouvé sur le blog de Hubert Zakine)

Actuellement, au moins, les choses sont simples : le kiosque a disparu. Mais contrairement à la Marine, je me demande si le vide n’était pas déjà là dans les années 50.

Simple intuition qu’un historien contredira peut-être, mais je ne vois guère ce kiosque que sur de très vieilles cartes postales, donc je doute de sa présence en 1962.

Il me semble bien que c’est le long de ces escaliers que s’est tenu le rassemblement littéraire du 19 mai 2012.

Les deux entrées de la promenade sont très différentes l’une de l’autre, puisque celle de la rue de Turin est une très longue allée rectiligne, alors que celle de la rampe Valès débute par quelques courbes sous les arbres.

Et c’est au sortir de ces courbes de l’entrée Est (côté Petit Vichy) qu’on trouve la porte du Caravansérail effondrée depuis novembre 2001 (croix 4). On aperçoit de loin sur cette photo, quelques blocs entassés, qui s’éparpillent dans le parc au fil des ans.

A l’angle opposé de la promenade, côté ouest (croix 5), se trouve le monument aux morts des marins, non loin du kiosque, et donnant sur la place de la République en contrebas.

Comme la porte du Caravansérail, il semble s’être peu à peu dégradé, puisqu’il n’en reste plus que le socle, alors que la colonne était encore là il y a quelques années.

Le monument aux morts des Marins années 2000 (crédit photo Djawad Kettab sur Panoramio)
Le monument aux morts des Marins avril 2013 (crédit photo Abdelbaki Fellouah)

Entre le monument aux morts des Marins et la porte du Caravansérail se trouve donc l’essentiel de la promenade de Létang qui donne sur le port.

Si on regarde un peu plus précisément le plan, on se rend compte que la promenade n’est pas du tout rectiligne, mais constituée d’un entrelacement de chemins qui dessine un jardin à méandres, plus proche du labyrinthe que du jardin à la française.

Entrées de la promenade Létang rue de Turin (crédit photo Abdelbaki Fellouah)

L’entrée rue de Turin est d’ailleurs plus subtile qu’il n’y parait, puisqu’on y trouve en fait deux entrées, une pour la partie haute du jardin (escaliers, croix 6) et une plus bas dans la rue, pour la partie basse, qui correspond en fait à l’entrée principale (croix 2).

A noter la porte aux contours blancs qui est une entrée de souterrain. Autant dire que même dans ses profondeurs, la promenade de Létang se perd en labyrinthes.

Et dans les méandres du jardin (croix 7), se trouve une pierre qui m’a toujours intrigué, parce qu’elle rend hommage à une femme de Lettre que je ne connaissais pas, originaire de Ghazaouet : Jeanne Dortzal.

Il semble que cette pierre servait de socle à un buste, si l’on en croit les quelques mots du Général Létang au XIX° siècle, rapportés par Eugène Cruck  :

« A l’angle de deux allées on voit, sur un socle, un buste en bronze ; c’est celui de la poétesse Jeanne Dortzal, née à Nemours, mais qui ne venait jamais à Oran sans faire une halte dans cette Promenade si propice à la rêverie. C’est dans ce cadre, qui lui était devenu parfaitement familier, nous dit-elle lors d’une visite qu’elle nous fit, qu’elle écrivit des vers dont quelques-uns, évoquant ces lieux, sont aujourd’hui gravés sur le socle qui soutient son buste. 

Une pierre en mémoire de Jeanne Dortzal (source : le coin de Sydney Serra épouse Reich sur le site Oran des années 50)

Mais il n’est nullement nécessaire d’être inspiré par les Muses pour goûter pleinement l’attrait de la Promenade de Létang qui sera un jour, peut-être, mieux accessible au public.

C’est-à-dire lorsque pourront être réalisés les projets qui consistent à ouvrir largement une avenue prolongeant la Place Foch depuis l’Hôtel-de-Ville et débouchant, à travers la Promenade, sur le port et le vaste horizon du Nord. » (Eugène Cruck, Oran et les témoins de son passé – 1956)

Je retranscris les quelques mots gravés sur le socle avant de m’effacer.

Il y est question d’enfance heureuse :

« La promenade de Létang le kiosque bleu
Où la musique déferlait c’est mon enfance
Qui se redonne à moi et qui sanglote un peu
Dans les buissons jaloux ou parmi le silence
Une note perdue et qui venait de Dieu
M’ouvrait un paradis celui de mon enfance »

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

*

NB1 : Je remercie Abdelbaki Fellouah et Toufik Ghomari pour l’aide qu’il m’ont fournie dans la localisation des différents éléments relevés sur la promenade.
NB2 : Certaines choses m’échappent : pourquoi ériger un buste de Jeanne Dortzal promenade de Létang alors que son mépris pour la ville (sans parler de ses habitants) est manifeste. Le « paradis de son enfance » se limitait à la promenade de Létang, semble-t-il… La vie est parfois pleine de surprises.

*

Un extrait du film de Abdelbaki Fellouah tourné lors de la promenade urbaine du 1er mai 2013 promenade de Létang

*

NB3 : La très belle galerie de photos de Moussa Berkane



 

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