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Je ne connaissais absolument rien d’eux avant de commencer ma quête.

Il aura fallu qu’on vienne me les mettre sous les yeux pour que je les reconnaisse enfin, en moi.

Oui, ils étaient là, et depuis toujours.

Sinon comment expliquer que je me sois retrouvé pendant trois mois plongé dans une introduction au Talmud quelques années plus tôt ? Et surtout que je me sois profondément reconnu dans cette façon de penser absolument unique ou seule la contradiction importe, et non la vérité, qui n’appartient qu’à Dieu. 

La vérité, je ne sais pas ce que c’est, et puis je vois bien qu’elle n’est pas dans mes cordes. En revanche, j’ai une passion pour les contradictions. 

Aussi bien dans les idées que chez les gens. C’est bien simple, si je vois quelqu’un masquer ses contradictions pour me faire croire à de l’intégrité, je le plains. Un individu qui me crie dessus parce qu’il détient la vérité me fait pitié. Le pourvoyeur de moraline m’ennuie. Je ne suis attiré que par celui qui a conscience de ses défauts et qui en rit. Il est moins répandu que le premier, mais il existe, et quand je le rencontre, je sais que mon âme entre en repos. 

Comme elle est entrée en repos le jour où j’ai décidé de rejoindre mon cousin à Paris pour une petite visite de courtoisie à la cousine germaine de ma mère. Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais bien qu’elle détenait un secret, et qu’il était temps de le mettre au jour. 

C’est le bonheur de la psychogénéalogie.

À force de jouer depuis des années avec les coïncidences, on finit parfois par ne plus regarder qu’elles et se laisser porter par le flots des improbables conjonctions. Il arrive un âge où l’on est bien obligé d’admettre que notre volonté n’a guère été efficace qu’une fois sur deux et que le reste du temps le hasard a surtout réorganisé les pions à sa guise. Alors pourquoi se priver de la joie des surprises ? Parfois je réfléchis et je tente de diriger mes actes, mais le plus souvent, je suis le sens du vent. Au final, je constate de bien meilleurs résultats lorsque le monde est à la barre et que j’essaie simplement de me caler sur son rythme que lorsque je tente moi-même de lui imprimer une direction à la force du poignet.

Avis très personnel bien sûr.

Juifs d'Algérie à Tlemcen - Shelomo et Zohra, en 1885
Meriem à Tlemcen, avec ses parents Shelomo et Zohra, en 1885, dans sa première année

Mars 2013, je retrouve mon cousin et sa mère pas loin de Nation puis nous filons dans un grand appartement près de la place. Il s’agit pour nous de remonter le passé, de retrouver des personnes que pour ma part j’ai connues – mais pas mon cousin ni sa mère – puis de recoller les morceaux. Je sais qu’il va se passer quelque chose, mais je ne sais pas encore quoi.

C’est le plaisir de la psychogénéalogie qui regarde aussi vers l’avant ; on finit par reconnaître les moments qui vont compter et on attend les pépites lumineuses. Je ne me trompe quasiment plus. 

Ce jour-là, après une petite discussion autour d’un café dans un salon, nous passons dans la salle à manger pour sortir les photos familiales de leurs cartons. Il me semble bien qu’elles sont en désordre. Je suis avec mon smartphone et je mitraille au maximum les visages des uns et des autres en écoutant bien ce qui se dit pour apprendre à les reconnaître ; tout le monde y passe depuis les illustres inconnus jusqu’à ma mère et ma grand-mère. Confirmation, mon grand-père « était dur avec ma grand-mère ». Oui, je le sais, et je pense même avoir une petite idée du pourquoi, maintenant que je connais à la fois Oran et l’histoire familiale ; des origines juives indigènes refoulées et un enfant mort avant la première année. Hypothèses.

Soudain, la surprise que j’attendais arrive. 

Là, tout au fond du carton, une photo plus grande que les autres me regarde. Une magnifique photo qui arrive des profondeurs du temps et dont je finirai par tirer un grand cadre au milieu de mes livres. Ce sont les grands-parents maternels de ma grand-mère maternelle. On doit être en 1886 à Tlemcen, quartier juif. La petite fille posée sur la table est mon arrière-grand-mère, la grand-mère de ma mère. Là, évidemment, quand je prononce ces paroles dans ma tête, il se passe quelque chose : au milieu de ces juifs qui parlent arabe à Tlemcen en 1886, il y a la grand-mère de ma mère, ou la mère de ma grand-mère, au choix. C’est-à-dire un monde à une encablure de celui que j’ai régulièrement côtoyé dans mon enfance… et pourtant radicalement différent. Comment est-ce possible ?

En vérité, je connais déjà la réponse qui porte le nom d’un fameux député de la Drôme devenu ministre de la Justice en septembre 1870 : Adolphe Crémieux.

24 octobre 1870, décret n°136 : « Les israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel, seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française. Toutes dispositions législatives, décret, règlement ou ordonnance contraires sont abolis. »

Donc tout le monde sur la photo est français depuis 1870. Pour davantage de détails, voir l’article qui concerne Schelomo et Zohra.

Je rentre sur Bordeaux le lendemain et je commence à tout ranger dans la maison. Je sais que quelque chose vient de s’achever du côté des Souleyre. Je ressors les photos de mes propres albums, j’en choisis quelques unes que je trouve particulièrement évocatrices, puis je les dispose en évidence sur les étagères. Maintenant que je sais qui est qui, j’éprouve le besoin d’avoir toute la famille sous les yeux, en permanence. Elle est mon socle, ce sur quoi je peux m’appuyer pour avancer, d’autres diront mes racines.

Mais Schelomo ben Beroum et Zohra bent Mouchi ben Samoun tiennent une place particulière dans l’arbre généalogique. 

Ils sont l’Algérie.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



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