Oran – Porte d’Espagne qui donne accès à l’intérieur de la Casbah (source Oran des années 50)

Il m’a fallu un certain temps avant de comprendre ce qu’était une casbah.

Parce que j’en étais resté à l’image d’Épinal offerte par la casbah d’Alger : petites maisons blanches prises dans un labyrinthe de rues tortueuses.

Or la Casbah signifie « Château » ou « Citadelle », c’est-à-dire « ouvrage fortifié indépendant servant autrefois de réduit pour la défense d’une place importante » (définition du Larousse). On est loin des petites rues tortueuses.

L’histoire de la casbah d’Oran débute il y a bien longtemps, et sa trajectoire me rappelle le cheminement tortueux de l’église St-Louis, puisque tout le monde se l’est aménagée selon son bon gré.

Et on commence toujours de la même manière : le grand flou de l’avant 1509…

1 – Avant 1509 : déjà des gouverneurs dans la Casbah

Impossible d’obtenir des détails précis sur cette période, mais il faut savoir qu’au débarquement des Espagnols de Ximenes en 1509, il y a déjà un « Château », et que les Espagnols vont d’emblée dénommer ce lieu « Castillo Viejo », c’est-à-dire le « Vieux Château ».

S’il est vieux, c’est qu’il est déjà là depuis un bon moment en 1509, et Eugène Cruck peut écrire : « Ce que l’on sait, c ‘est que le Gouverneur, qui y logeait déjà au XIV° siècle, y reçut le Sultan mérinide Aboul Hassan. » (Eugène Cruck, « Oran et les témoins de son passé »)

Il faut aller chercher quelques informations sur le sultan pour mieux saisir le contexte de l’époque.

Conquêtes Mérinides du XIV°S – Photographie Wikipedia

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« Après le siège de Tlemcen de 1335 à 1337, Abu al-Hasan prend aux Abdalwadides la ville de Tlemcen pendant 11 ans de 1337 à 1348.

Dans le but de chasser les chrétiens d’Espagne et d’unir les pays musulmans d’Afrique du Nord, il attaque et capture Algésiras et Gibraltar en 1333. Il gagne le 5 avril 1340 une bataille navale dans le détroit de Gibraltar, mais subit une défaite six mois plus tard, le 30 octobre 1340, à la bataille du rio Salado. Le roi Alphonse XI de Castille reprend Grenade en 1344.

Abu al-Hasan abandonne alors sa « croisade » de reconquête musulmane de l’Espagne. » (Wikipedia Abu al-Hasan ben Uthman)

Donc les gouverneurs mérinides de la ville sont déjà installés dans une Casbah qui date probablement des origines de la ville.

2 – 1509-1708 : le Castillo Viejo accueille le cardinal Ximenes et Don Juan d’Autriche

A partir de 1509, on commence à avoir des informations plus précises parce que c’est l’arrivée des Espagnols à Oran.

a) – 1509 : Entrée du Cardinal Ximenes dans la ville

La fresque de Tolède peinte entre janvier et juin 1514 représente l’entrée du Cardinal Ximenes dans Mers el-Kebir. Oran, c’est deux jours plus tard.

Chronologie des opérations (source algeroisementvotre) :

→ Le 16 Mai, Le Cardinal Ximenes quitte Carthagène direction Mers-el-Kébir.
→ Le 18 mai 1509, au matin, les troupes du Cardinal attaquent Oran.
→ A 18 heures, les Espagnols sont maîtres de la ville, à l’exception de la Casbah.
→ Le 19 Mai, le gouverneur de la Casbah fait savoir qu’il se rendra à Ximenes.
→ Le 20 mai, Ximenes entre dans Oran, traverse la ville, et monte à la Casbah.

Oran est maintenant espagnole et « le Cardinal se rend directement à la Casbah où le gouverneur lui remet, en grand cérémonial, les clefs de la citadelle. […] Le premier geste du Cardinal fut de donner la liberté aux captifs chrétiens qui se trouvaient dans les souterrains de la Casbah. » (Eugène Cruck)
Les clés que le gouverneur arabe remet au Cardinal Ximenes sont le seul reste de la Casbah antérieur à la conquête des Espagnols. Ces clés sont aujourd’hui conservées au Musée Archéologique National de Madrid. (Louis Abadie – Oran et Mers el-Kebir – Vestiges du passé espagnol)

Juan de Borgona, Fresque du débarquement des troupes espagnoles à Mers-el-Kébir, 1514, Tolède. (Cahier de la Méditerranée modifiée)

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Il y a un an très exactement, je faisais un premier texte sur la Casbah, et  le 2 mai 2013, j’obtenais le commentaire suivant (Bensetti Haouaria) :

« En fait, il ne reste rien du site originel de la Kasbah d’Oran. La citadelle a été fortifiée ainsi que l’enceinte par les espagnols… Seules des recherches archéologiques sérieuses apporteront des informations sur six siècles d’histoire arabe de la Kasbah d’Oran. »

Je crois que c’est assez bien résumé et il me semble par ailleurs que c’est un des projets de Kouider Metaïr à Bel Horizon. Il en parlait dans cette vidéo.

b) – 1568 : Visite de Don Juan d’Autriche

« Le 14 juillet 1568, Don Juan d’Autriche, fils bâtard de Charles-Quint, frère du roi Philippe II arrive dans le port de Mers el-Kebir en grand apparat, avec la mission de faire la chasse aux corsaires qui infestaient la Méditerranée. » (Eugène Cruck)

Il sera le même jour à Oran et découvrira la Casbah, émerveillé. Je cite :

« Il ne peut dissimuler son admiration pour le spectacle qu’il a sous les yeux : les fortifications, les jardins, la mer étendant son manteau bleu jusqu’à l’infini.
– Ce château est très bien situé dit-il ; il est certes bon pour faire un Palais Royal.
Un vieux capitaine répond :
– Il le fut autrefois du temps des Maures et, avant eux, du temps des gentils » (Relation de Diego Suarez)

Difficile de se faire une idée précise de la Casbah même si c’est déjà plus clair qu’avant 1509.

3 – 1708-1732 : période Ottomane – les femmes du Bey

Là, par contre, on sait comment est organisée la Casbah :

1 – Dans la partie haute : des hôtels, une chapelle, une ménagerie.
2 – Dans la partie basse : le casernement militaire et civil, l’arsenal et la poudrière.
3 – Dans la partie centrale : les femmes du Bey

Le plan ci-dessous est un plan de 1764 (donc 2nde période espagnole) mais il a le mérite d’être simple et largement compréhensible. On repère facilement les trois zones principales de la Casbah.

Oran – Plan de Bellin 1764 – modifié

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4 – 1732-1790 : les gouverneurs espagnols

Dès leur arrivée, les Espagnols vont procéder à des travaux d’agrandissement de manière à pouvoir y loger leurs gouverneurs.

1732 : plan de la Casbah tracé par les Espagnols :

A – Rempart du Rosario
B – Rempart de Santiago
C – Partie de l’enceinte qui regarde vers les terres et Ifry
H – Rempart médian des artilleurs et Santa Isabel
I – Partie surélevée qui regarde vers la place (de la Perle)
L – Batterie qui domine la Forteresse et la ville
M – Plate-forme dominante et cachot dans la partie basse
N – Silos pour le blé et l’orge
O – Appartement de l’Intendant
P – Demeure occupée par la comptabilité
Q – Maison où se trouvait la trésorerie
R – Appartements des femmes du Bey Bou Chlarem
S – Magasins avec demeures à l’étage
T – Magins pour l’artillerie
U – Demeures
Y – Église sans couverture (?)
Z – Lieu où l’on enfermait les autruches et les lions

Quelques précisions de Louis Abadie dans Oran et Mers el-Kebir :

→ L’enceinte de la Casbah est triangulaire, avec angle ouvert du côté de la ville.
→ La partie fortifiée vers la campagne comprend deux systèmes de défense :
1 – Le plus ancien se compose d’une muraille flanquée de grosses tours rondes
2 – Les Espagnols vont y rajouter un certain nombre d’ouvrages avancés :

  • La Campana (grosse cloche)
  • Une tenaille double
  • Le mamelon de la Palomera
  • Bastions de St-Jacques et du Rosaire

Et beaucoup d’autres choses encore, détaillées dans le livre de Louis Abadie, et que l’on peut lire en partie sur cette page.

Oran – La Casbah partie basse (source Oran des années 50)

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Mais ce sont des travaux qui prennent du temps et qui, à peine terminés, se retrouvent fortement endommagés par le tremblement de terre d’octobre 1790.

La Casbah est d’ailleurs dans un tel état que les Ottomans qui récupèrent la ville en 1792 préfèreront s’installer dans Rosalcazar (Palais du Bey).

5 – 1792-1831 : le silo enchanté

C’est Eugène Cruck dans « Oran et les témoins de son passé » qui raconte cette anecdote, tirée de « Souvenirs d’un zouave », un livre écrit par Louis Noir, journaliste et romancier français.

Si les Ottomans n’habitent plus la Casbah, ils s’en servent comme cachot, et n’hésitent pas à y enfermer les criminels. Il y a même un vieux Turc dont les fonctions consistent à surveiller les silos transformés en tombeaux.

Oran – La Casbah (photo Robert Lidon sur le site de JC Pillon)

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Lorsque les Français arrivent en 1831, le vieux bonhomme prévient : il y a un silo enchanté ; à chaque fois qu’on y descend un prisonnier, il disparaît.

Les officiers français n’y croient pas vraiment et décident de placer une sentinelle dès que l’occasion se présente d’y glisser eux aussi un prisonnier. Et en effet, le prisonnier disparaît, malgré la sentinelle. Il est alors décidé de placer une sentinelle dans le silo même aux côtés du prochain prisonnier.


Visite de la Casbah d’Oran – Avril 2014

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Et voici ce qu’il advint, raconté par Louis Noir, dans son livre de souvenirs. Il faut replacer tous les termes, et notamment les dénominations des uns et des autres, dans leur contexte :

« On entendit des cris désespérés au fond du silo. On accourut. Une lutte énergique était engagée entre la sentinelle, le prisonnier, et un autre adversaire inconnu : lutte mêlée de clameurs d’effroi de la part du second, de jurons furieux du côté du soldat français, et de sifflements rauques, qu’on ne pouvait exactement définir.

On descendit d’abord un falot au bout d’une ficelle pour éclairer la scène mais, avant que l’on eût pu rien distinguer, il fut brisé.

On courut en chercher un autre. Mais quand on revint, le combat était terminé, car on entendait plus rien au fond du puits.

Le portier-consigne y descendit avec précaution, et y aperçut un spectacle effrayant :

« L’Arabe (le prisonnier) et le voltigeur (la sentinelle) étaient étendus au fond du silo : sur eux était enroulés les deux tronçons d’un énorme serpent. Le portier-consigne se fit remonter ; il ne put soutenir l’horreur de cette scène ; il s’évanouit à la sortie du silo en criant : « Le boa, le boa ! ».

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Les Français se serviront de ce lieu pour y placer des garnisons. Mais c’est une autre histoire qui commence.

Souhaitons que la Casbah (aujourd’hui abandonnée à son sort) devienne enfin un chantier de fouilles archéologiques comme le demande Bel Horizon.

Nul doute qu’on y trouverait six siècles arabes qui manquent à l’appel et qu’on sauverait par la même occasion un lieu hors du commun.

Le lieu de tous les Grands d’Oran jusqu’à l’arrivée des Français.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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