La petite baigneuse – Intérieur de harem – 1828 (Ingres)

C’est peut-être l’occasion de parler des Bains Turcs.

Puisque c’est le mois du patrimoine.

L’association Santé Sidi el Houari fait sa promotion. C’est une association que je connais peu même si elle est connue de tous. On a du mal à trouver une plaquette ou une page web qui détaille ce qu’elle fait, il faut aller sur Facebook.

Parce qu’ailleurs, on a droit à trois paragraphes qui expliquent d’où proviennent les Bains Turcs, accompagnés de quelques mots sur le projet de l’association.

Il est rare que je tombe sur des informations précises :

« L’association Santé Sidi El Houari (SDH) est une association algérienne à caractère régional. Tout a commencé par la découverte des bains turcs et du vieil hôpital de Sidi El Houari, un ensemble attachant qui retrace plusieurs pages de l’histoire de la ville d’Oran.

Cette découverte en 1991 par les fondateurs de l’association est le point de départ d’un long parcours passionnant qui dure depuis 13 ans, date d’obtention (en 1992) de l’agrément, qui a amené ses membres à s’intéresser davantage au quartier de Sidi El Houari.

Une convention est signée avec les autorités locales (Wilaya) pour placer l’hôpital et les bains turcs (le site) sous sa responsabilité. Par ailleurs, SDH est reconnue comme « une association d’utilité publique. » (sur Wikimapia.org)


(Carte Wikimapia – Placez la souris sur la carte et déplacez-vous)

Si le parcours de l’association dure depuis 13 ans, et si l’obtention de l’agrément date de 1992, c’est que le texte est publié en 2005. Ce ne sont donc pas des nouvelles fraîches, mais comme elles évoquent les origines de l’association,  à priori elles ne devraient pas trop changer.

C’est assez méritoire de créer une association de restauration du patrimoine en pleine décennie noire et dans un quartier délabré. Ils ne devaient pas être très rassurés le matin en se rendant sur les lieux.

Alors comment délimiter ces lieux justement ?

Comme le fait très bien Guy Montaner sur le site Oran des années 50 quand il cherche à délimiter une zone appelée parfois « Le Campement » :

« Le Campement, bâtiment militaire, était une succession de hautes murailles. Périmètre : rue Larrey, rue de l’hôpital, place de la Perle, rue cardinal Mercier, Église Saint-Louis, Hôpital Baudens. De ce périmètre, le monument le plus apparent reste la Mosquée de Sidi-Lahouari. »

Délimitation de la zone du Campement qui renferme les Bains Turcs (carte Wikimapia modifiée)

Si je reprends ce que dit Guy Montaner dans son texte, il semble que même les habitants du quartier de la Marine dans les années 50, ne savaient pas vraiment ce qui se cachait derrière ces hautes murailles.

Pour faire simple, on y trouvait :

  • Des bains turcs (construits sous les ordres du Bey turc Mustapha Ben Youssef dit Bouchelaghem, en 1708, à l’arrivée des Ottomans)
  • Une mosquée (édifiée par le Bey Othmane Ibn Mohammed El-Kebir, l’un des fils de Mohammed El-Bey El-Kebir, en 1799.)
  • Et un « vieil hôpital », qui était en fait le premier hôpital français construit à Oran en 1843 par l’armée française.

Celle-ci y avait installé son quartier général hospitalier pour soigner ses blessés. Le grand hôpital Baudens, juste en face, ne sera construit que dix ans plus tard, en 1856, et le « vieil hôpital » en deviendra alors une annexe (magasins généraux, morgue, buanderie, etc.).

Même dégradés, et vus depuis la cour intérieure, les lieux restent assez beaux.

oran bains turcs campement baudens perle
Cheminées des Bains Turcs, Minaret de Sidi el-Houari et « Vieil hôpital » – Noter les bouches d’aération au sol (photo Akim el Sikameya)

Les Bains turcs se trouvent donc dessous et c’est là que se déroulent les travaux de restauration.

On comprend vite que c’est un travail de fourmi particulièrement ingrat, enfoui dans le sol, à l’abri des murailles, et que personne ne peut remarquer l’ouvrage s’il ne s’intéresse pas déjà un minimum au patrimoine de sa ville.

Mais ces derniers jours sont peut-être plus favorables que les précédents pour devenir visible, puisque depuis le 20 avril et à l’occasion du mois du patrimoine, SDH organise une exposition intitulée « à la redécouverte des bains turcs d’Oran ».

bains turcs sdh

On remarque de nombreuses photos collées ensemble et on devine vaguement à quoi peuvent ressembler ces bains turcs vieux de trois siècles. On en aura un aperçu un peu plus précis avec la très belle galerie photo de Samir Terki H, en fin d’article.

L’association SDH ne cherche pas à reconstituer des bains (ce serait bien compliqué), elle tente seulement de redonner vie à un lieu, en y organisant des manifestations diverses, dans le but d’amener les gens à s’intéresser à une période de l’Histoire plus en adéquation avec leurs valeurs actuelles.

Les Ottomans ont plus la côte que les Espagnols, et les Espagnols ont plus la côte que les Français, c’est comme ça. Ça évoluera peut-être un jour.

En tout cas, avec quelques tableaux accrochés aux murs, des bougies sur les tables, et du tissu tendu entre les voûtes, le lieu commence à retrouver des couleurs.

Oran – Les bains turcs restaurés par SDH (crédit photo SDH sur Facebook)

Pour davantage de détails sur l’œuvre de l’association SDH, je conseille de regarder la vidéo au bas de l’article, les jeunes adhérents expliquent parfaitement leur action de restauration.

Il faut préciser – et c’est peut-être le côté le plus important de l’œuvre – le caractère social de leur action, puisque si l’association Santé Sidi El-Houari a été créée en 1991 par un groupe de bénévoles oranais composés de médecins, infirmiers et architectes, avec pour objectif principal la réhabilitation du site historique des bains turcs et de l’Hôpital du Campement, elle a parallèlement fonctionné dès le début comme un centre de prévention de maladies sexuellement transmissibles :

« […] ce centre étant réduit aujourd’hui à établir des recherches de gonocoques chez les femmes soumises, dans les maisons de tolérance, à des conditions d’extrêmes précarités. Les quartiers environnants sont devenus très défavorisés au plan de la couverture sanitaire pour un population de plus de 300 000 habitants.

Porte SDH 2003 des Bains Turcs – (crédit photo Samir Terki H)

La promiscuité, la sur-occupation, l’insuffisance du réseau d’eau potable, et la vétusté des voies d’égouts, font du noyau historique d’Oran un quartier à risque pour tous les problèmes de santé publique. » (Haninaia)

Elle a aussi mis sur pied « une école-chantier au profit des jeunes désirant acquérir un savoir-faire dans différents corps de métiers de la construction traditionnelle. » (pressdz.com). Et actuellement, elle essaime son expérience jusqu’à Mostaganem, en tentant de transmettre un savoir-faire à des jeunes en difficulté.

On est bien loin de l’Orientalisme factice du peintre J.A. Dominique Ingres dans ses bains turcs, débordant de chair féminine au point d’en effacer tout désir, et si « la petite baigneuse » se trouve en illustration de cet article, c’est vraiment pour le plaisir du second degré.

Parce qu’au premier degré, je ne me leurre pas, la vie à Oran est devenue très compliquée.

Bonne route à SDH.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

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NB1 : Discours de Kouider Metaïr le 2 mars 2013 à Venise : Oran, naissance d’une conscience patrimoniale. Dans le cadre de la convention de Faro signée par l’Italie.

NB2 : Dans la vidéo ci-dessous, à 27’30, les Bains Turcs présentés par l’association SDH. Et dans la foulée, la restauration de la mosquée de Sidi el-Houari attenante aux Bains. Puis Kouider Metaïr de Bel Horizon. Sur cette page, quelques précisions sur les premières actions mises en place par SDH dans les années 90.

 
*

NB3 : La très belle galerie de photos de Samir Terki H



 

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