Le « Château Neuf » d’Oran, vu depuis le quartier espagnol, en 1835 (L’Illustration du 3 avril 1847, page 49, vue partielle – Encyclopédie afn)

C’est finalement le Pavillon de la favorite qui m’a dirigé vers Château Neuf.

Je n’avais jamais fait attention à cette délicate construction perchée à l’angle du contrefort sud-ouest d’un ensemble aussi appelé Rosalcazar.

Il n’est pas si simple de retrouver l’origine d’une dénomination derrière laquelle se battent deux étymologies, l’une reconnue de tous (ras el cacer), et l’autre plus fantaisiste (rosas-cajas), mais tout aussi utilisée dans les écrits d’historiens amateurs.

Il faut savoir qu’à l’origine, ce fort se limite à une « construction de forme étoilée à trois grosses tours séparées par trois courtines » édifiée en 1347 par « le sultan mérinide de Fès, Abou Lhassen, grand conquérant et grand constructeur, à qui on doit entre autres la mosquée de Sidi Bou Médine, et qui aurait aussi jeté les fondations du fort de Mers-el-Kébir ». (René Lespes cité par Edgard Attias sur son site oran-memoire)

Ces trois tours semblent se rattacher à un ensemble plus imposant -mais difficile d’en savoir davantage aujourd’hui puisqu’il ne reste rien- et « étaient connues sous le nom de Bordj-el-Mehal, le fort des Cigognes, et Bordj-el-Ahmar, le fort Rouge, dont les Espagnols firent Rosas-Cajas, « les maisons rouges », devenues Rosalcazar. (Ce mot viendrait en réalité de l’arabe « ras el cacer » (tête de la forteresse). »

Donc en 1347, ces trois tours (peut-être davantage) constituent le coeur de Château Neuf, et sont parfois appelées les Donjons rouges. Le reste de la forteresse n’existe pas encore.

Les trois tours d’origine à Rosalcazar

Carte Eugène Cruck modifiée
Photographie : le coin de Georges Vieville (Oran années 50)

Le reste, ce sont les Espagnols qui le construiront plus tard, lorsque le cardinal Ximenes prendra Oran le 19 mai 1509, Oran qui n’est « plus qu’un nid de pirates barbaresques ».

Ce sont des paroles citées par l’historien Robert Tinthoin en 1949. Il rajoute :

« Les espagnols ne font guère que de l’occupation « restreinte », limitée à la place d’Oran. Leurs expéditions de 1541, 1552, 1558, 1701, sur Mostaganem et Tlemcen, n’aboutissent qu’à de sanglants échecs. Comme Fey l’écrit, avec beaucoup de justesse, en 1858 : « … l’Espagne n’eut jamais la moindre pensée colonisatrice à l’égard de cette conquête ; elle ne vit là qu’un moyen d’assurer plus de sécurité à son littoral en détruisant une fourmilière de pirates…«

« Occupation restreinte » ne signifie pas pour autant villégiature, et les espagnols vont très vite renforcer les trois tours d’origine pour construire ce fameux Château Neuf, à l’époque en dehors de la ville, entouré de hautes murailles.

« Au milieu du XVI° siècle, les espagnols sont sur la défensive, et Oran connaîtra une forme de blocus à distance, et quelques sévères assauts (tel le siège de Mers el Kebir par Hassan Pacha, fils du fameux Kayr-ed-dine, en 1563). » (geneawiki)

Il reste trois traces classées  de cette présence espagnole le long des murailles de Château-Neuf : la porte d’entrée, un écusson du roi d’Espagne, et une échauguette d’angle.

Traces espagnoles classées de Rosalcazar

Carte Eugène Cruck modifiée
Porte d’entrée de Château-Neuf (source villedoran.com)
Écusson de Philippe V d’Espagne – 1701 (source : travel-images.com)
Échauguette d’angle (source : villedoran.com)

La ville restera espagnole de 1509 à 1790 avec un intermède relativement court de domination turque entre 1708 et 1732 durant lequel Rosalcazar ne sera pas transformé.

En revanche, le tremblement de terre de la nuit du 8 au 9 octobre 1790 va tout changer, « toutes les constructions un peu anciennes, les deux tiers de la ville, sont renversées, notamment les fortifications du Château Vieux (Vieille Casbah), mais les édifices plus récents de la rive droite du Ravin Ras el Ain résistent ». En résumé, Rosalcazar a tenu le choc, et va pouvoir remplacer la Casbah dans sa fonction de lieu de pouvoir.

« Aussitôt, le Bey turc et les tribus profitent de la confusion et assiègent la ville, qui n’est plus défendue que par 15.000 hommes. Le roi d’Espagne Charles IV fait lui-même des ouvertures au gouvernement turc d’Alger. Le traité, signé le 12 septembre 1792, entraîne l’évacuation et la prise en possession de la ville par les Turcs, en mars 1792.«

De 1792 à 1830, ce sont donc les Beys Ottomans qui vont s’installer dans Rosalcazar pour en faire leur palais, on sort de la logique de défense pour pénétrer dans celle des apparats, il s’agit maintenant de montrer qu’on est riche.

Palais du Bey d’Oran (source : le site Oran des années 50 – la photo est probablement prise depuis l’horrible carcasse de l’Hôtel Château-Neuf…)

Alfred Salinas, dans Oran la Joyeuse, permet d’y voir plus clair :

« L’un des principaux soucis des Beys d’Oran fut d’accentuer l’atmosphère orientale et princière au sein du Rosalcazar, de faire de ce Château le symbole de leur autorité.

Sur le rempart sud, ils édifièrent un petit palais, merveille architecturale, qui communiquait avec une maison de style mauresque destinée aux gens du sérail.

L’ensemble comprenait également le Pavillon de la Favorite ou le titulaire du Beylick pouvait s’abandonner au « repos du guerrier ». Le Jardin des Sultanes, veiné d’étroites colonnades, offrait un havre de paix et de fraîcheur. 

Les appartements construits par les espagnols furent restaurés selon le modèle turc, de nouvelles faïences décorant les murs. Des coupoles surmontées d’un croissant firent leur apparition.«

Quelques éléments légendés du palais du Bey

source : le coin de Georges Vieville sur le site Oran des années 50
source : le coin de Georges Vieville sur le site Oran des années 50

Si de 1792 à 1830, les apparences sont agréables de l’extérieur, dans les coulisses, c’est ambiance règlements de compte et course à la succession. Les Beys passent leur temps à se faire assassiner.

« de 1671 à 1830, 14 deys [d’Alger] sur 28 furent assassinés. Même destinée pour les 4 aghas (chefs de l’armée) qui se succédèrent de 1659 à 1671. A Oran, sur les 7 beys qui administrèrent la ville entre 1793 et 1830, 5 périrent de mort violente à l’instigation plus ou moins avérée du dey. » (Alfred Salinas dans Oran la Joyeuse)

Salons des anciens Beys (et non des Deys comme indiqué en légende ; les Deys se trouvaient à Alger). Le décor est sublime, le salon improprement prononcé, est le « Diwan » du Bey consacré aux réceptions diplomatiques et protocolaires. Le site a connu des transformations matérielles dans sa conception originale de la part du commandant de la place et son épouse dont l’espace dit de « la favorite » était son isoloir lui permettant de lieu de méditation.

Lorsque les français arrivent en 1831, Rosalcazar va de nouveau changer de fonction, et redevenir une bâtisse à vocation militaire.

« On reconnut plus tard que de tous les points occupés par les français en Afrique, Oran restait celui où les travaux des divers services militaires avançaient le plus vite, pour une raison bien simple : la ville léguée n’était pas du tout une ville africaine. Les Espagnols y avaient entrepris beaucoup de constructions importantes, et l’avaient de ce fait, appropriée aux besoins des européens.

Il fut donc possible, sans de bien grandes dépenses, de les remettre en état d’usage. Les casernes, fortifications et bâtiments divers furent pour l’armée française, autant de gîtes en quelque sorte préparés par ses devanciers. 

Le Château Neuf, notamment, offrait un établissement bien supérieur à ce qu’on trouva à Alger et à Bône.

[…] Les troupes pouvaient facilement être logées, dès le début, au Château Neuf, où l’on établit une caserne pour 600 hommes, un hôpital de 200 lits, et un pavillon pour les officiers. » (René Lespès – Le développement d’Oran)

Insigne du 2ème régiment de zouaves

Les Espagnols ont donc grandement facilité l’installation des Français en 1830.

Très vite, le premier Corps des zouaves est créé à Alger en 1830, et en 1852, le 2ème régiment de zouaves prend ses quartiers dans la caserne de Château-Neuf, à Oran.

Le régiment est décoré de la Légion d’honneur attribuée le 4 juin 1859 pour la prise du drapeau du 9e RI autrichien, à la bataille de Magenta, durant la campagne d’Italie de Napoléon III. (Wikipedia)

Je m’arrêterai là pour l’historique de cette forteresse sur laquelle on pourrait encore écrire de nombreuses pages.

Avec un peu de recul, on ne peut être qu’impressionné :

Château Neuf aura vu passer du beau monde.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

*

NB : La très belle galerie de photos de Samir Terki H



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