J’imaginais le Petit Vichy différemment.
C’est un peu le problème quand on découvre une ville dont on a vaguement entendu parler dans son enfance. On voit subitement apparaître des lieux très différents de ceux qu’on imaginait.
Le Petit Vichy est coincé dans l’angle d’un ravin. Entre le Lycée Pasteur (ex. Lamoricière) et Château-neuf. Je l’imaginais comme le Jardin Public ; beaucoup d’espace, de longues allées et une topographie plane.
Raté. C’est tout l’inverse.
Ma mère y allait petite avec « Tata Emilie ». J’ai peut-être vaguement aperçu cette « Tata Emilie » quand j’étais enfant mais pas plus de deux fois. Quand par hasard je repense à « Tata Emilie » que je ne connais pas, il me vient à l’esprit l’image d’un Petit Vichy imaginaire qui n’a rien à voir avec la réalité. (NB : j’ai découvert plus tard le livre de Serge Durrieux Oran, la ville aux cent visages dans laquelle se trouvent de nombreuses photos de la ville, et notamment du Petit Vichy. Il n’est pas si éloignée que ça de mon imagination…)
Il n’y a pas de Théâtre de verdure, il y a un marchand de sucettes à la camionnette rose (pourquoi, je n’en sais rien), un kiosque pas très loin et une balançoire. Je vois une vieille dame aux cheveux frisés qui tient ma mère par la main. Comme je ne sais pas à quoi ressemble « Tata Emilie » , je ne peux pas dire ce qu’il en est de cette vieille dame. J’ai fabriqué un Petit Vichy qui n’existe pas.
Il y avait beaucoup d’imaginaire en moi jusqu’à ces derniers mois.
La rue d’Arzew, par exemple, m’a beaucoup déçu parce que je l’imaginais large et sans arcades. J’ai fini par m’habituer à sa configuration actuelle qui a l’avantage d’être facilement reconnaissable.
Sous la plume de ma mère, la rue de Mostaganem est tellement chargée d’émotions que je l’imaginais pittoresque, pleine de petits recoins, tortueuse.
Ça n’a pas de sens.
C’est comme les rêves, l’imaginaire associe beaucoup d’images préconçues et fabrique un monde absurde. La rue de Mostaganem est un long boulevard est-ouest qui coupe la ville en deux.
Certaines personnes préfèrent conserver leurs souvenirs et ne sont pas prêtes à les échanger pour du « réel ». Je mets « réel » entre guillemet parce que la notion de réalité pourrait être discutée à l’infini. Mais chacun sait de quoi je parle.
J’ai laissé tomber mes souvenirs pour les confronter au réel.
Le Petit Vichy est devenu un parc étroit, en pente, sans kiosque, sans camionnette rose et sans « Tata Emilie » . Je n’en suis pas triste, je découvre autre chose.
Avec l’âge, j’attache de moins en moins d’importance à ce que j’ai dans la tête. La seule chose qui compte désormais est l’envers du décors et tant mieux si ça n’a rien à voir avec mon imagination.
Je crois même que dans une transmission, l’important est de se nettoyer l’esprit. On est rempli d’images préfabriquées sur des paroles entendues dans l’enfance, or si la parole est importante, elle trouve assez rapidement ses limites lorsqu’elle n’est pas mise à l’épreuve.
C’est un peu l’histoire de l’enfant qui crie au loup 10 fois de suite. Au bout d’un certain temps, la parole ne vaut plus rien. On tourne en rond.
C’est dans la confrontation que les choses avancent. Camus le disait déjà.
Il me tarde donc de voir Oran.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)