La mouna oranaise et la mona algérienne. Identiques ?

La Mouna oranaise est de Perpignan.

Pour moi, bien sûr. Sinon, la Mouna Oranaise est de Santa-Cruz.

Mais avant d’être de Santa-Cruz, j’allais la chercher dans cette boulangerie en 1975, sur la Rambla du Vallespir, dans le quartier du Moulin à vent, pas très loin de chez mes grands-parents.

Pour les enfants de pieds-noirs, La Mouna Oranaise, c’est sûrement leurs parents ou leurs grands-parents, avant d’être Santa-Cruz, à Oran.

A la rigueur, peut-être Santa-Cruz à Nîmes. Mais pas plus.

Selon certaines personnes, la Mouna Oranaise porte ce nom parce qu’on mangeait cette brioche sacrée près du Fort Lamoune (Lamoune est La Moune, La mona, la guenon en espagnol) à l’extrémité ouest du port d’Oran, en partant vers Mers el-Kebir.

Mais j’ajouterai le texte de Manuel Rodriguez en annexe parce qu’il remet les choses en place sur le bric-à-brac étymologique qui entoure la Mouna oranaise.

Même s’il faudrait aussi prendre en compte les étymologies hypothétiques de Henri Chemouilli, André Lanly et Pierre Mannoni.

Jean-Pierre Ferrer raconte la Mouna oranaise, le 8 octobre 2002, à la manière oranaise, sur son site.

J’imagine que ça doit correspondre à une certaine forme de réalité puisque c’est arrivé en référence dans l’article de Wikipedia.

Je mets le début et vous irez voir la fin.

La dénomination Mouna Oranaise provient peut-être du Fort Lamoune

« Alors, ça, c’était une institution !

D’abord, les Fêtes de Pâques arrivaient après les Rameaux. Tous les Chrétiens, y le savent. D’autres les fêtaient à l’envers. J’ai jamais su pourquoi.

Aux Rameaux, comme on était un peu païen et bien gourmand, on n’allait pas à la messe avec une branche d’olivier rien que pour se la faire bénir, mais avec un arbre, oui, carrément un arbre.

C’était presque un sapin de Noël ! Il était doré et rempli de bonbons, de poulettes en chocolats, d’oranges confites et même de quelques jouets. Et on entrait avec ça à l’église ! Et, le curé, il nous le bénissait quand même.

De toutes façons, si y voulait pas le faire, Sainte-Marcienne, elle restait vide. Ni lui, ni nous, on n’avait honte.

Mais des fois, pendant qu’il nous racontait l’entrée de Jésus à Jérusalem sur un bourricot, nous, on défaisait doucement les papiers qui enveloppaient les chocolats et on les mangeait.

Aussi, comme on ne voulait pas que ça se voit, on se dépêchait tellement d’avaler, que Marif, ma sœur, elle est arrivée à la maison la bouche toute colorée de brun et sa belle robe blanche, je te dis pas dans quel état elle était, parce que le chocolat fondait dans ses doigts, elle les suçait et ensuite, elle les essuyait sur la robe…

Enfin, ce n’était jamais point qu’un épiphénomène, car le Dimanche suivant, nous célébrions Pâques. » (la suite sur le site de Jean-Pierre Ferrer)

A Oran, la cuisine était la vraie religion ; et la religion de Santa-Cruz, un prétexte de plus pour faire la cuisine.

Lorsque j’allais manger le couscous chez mes grands-parents à Perpignan – un couscous que ma grand-mère avaient mis des heures à préparer – la table était bondée de plats et je devais me resservir trois fois si je ne voulais pas avoir les yeux mauvais de mon grand-père pour le restant de l’après-midi.

On sortait de table à 16h.

…et on y retournait à 20h, avec la panse pleine de semoule.

La Mouna Oranaise était gentille à côté. Je l’aimais bien. Légère, au goût d’orange, on pouvait en manger la quantité qu’on voulait.

J’ai dû manger la Mouna Oranaise au bord de la mer, au goûter, sur les plages de Canet-en-Roussillon, dans les années 70, avec ma mère et ma sœur.

Quelque chose comme mon Santa-Cruz à moi.

Un lieu sacré : la mère, le sable, la sœur, la mer.

Et la Mouna Oranaise au goûter.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

*

Avril 1924 – La Mouna Oranaise à Pâques aux Planteurs (Serge Durrieux – Oran, c’était d’abord Santa Cruz)
La Mouna est finie, on se repose en ce lundi de Pâques (Marie Cardinal – Les Pieds-Noirs)

*

Manuel Rodriguez explique la mona

Le texte de Manuel Rodriguez sur la Mouna oranaise (euh la Mona !)

Ce gâteau de Pâques qui réveille tant de bons souvenirs parmi les Oraniens, a toujours été désigné, chez nous en milieu hispanophone par le mot mona.

L’appellation mouna n’étant qu’un accommodement à la française, une naturalisation si vous préférez.

Dans les faubourgs populaires de Sidi-Bel-Abbès et des autres villes d’Oranie, l’authenticité du mot mona était jalousement préservée de génération en génération.

Le peuple Oranien avait certes des racines métropolitaines, régions d’Alsace Lorraine, Languedoc, Alpes de Provence, Sud-Ouest,  Corse, Paris, des racines italiennes, napolitaines essentiellement, mais aussi des racines espagnoles, régions des Iles Baléares, de Valence, d’Alicante, de Murcie et d’Alméria.

La colonie ibérique constituait, à elle seule, plus de la moitié de la population européenne.

Pour en revenir à notre gâteau, on nous propose dans les grandes surfaces, à l’approche de Pâques, des mounas, bien sûr, étiquetées de la façon suivante : « Pâtisserie méditerranéenne ». Pour les besoins commerciaux, l’amnésie est ici totale. De la mona espagnole, honorée en Oranie, nous passons allègrement à la mouna de tout un bassin méditerranéen.

En visitant certains sites, tenus pourtant par des Oraniens, faisant allusion à ce thème,  nous lisons souvent que l’origine de cette [mouná ] est peu connue (?!?).  Mais on  ne se prive pas ensuite  de donner toute une série d’explications plus ou moins fantaisistes.

Alors ! Quelles sont les origines de ce gâteau ?

Si on raisonne à partir du mot mouna, on se perd en conjectures. On affirme alors, sans rire, que les Oranais allant fêter le lundi de Pâques sur les pentes boisées du Fort Lamoune, baptisèrent ce gâteau ‘mouna’ par analogie avec ce lieu habituel de leurs réjouissances.

Or les adeptes de ce pique-nique étaient à 90% des hispanophones ou descendants d’hispanophones. Ils savaient  très bien, eux, qu’à l’heure du dessert, ils mangeaient la mona de leurs parents ou grands-parents.

Ce serait les traiter avec beaucoup de légèreté que de leur faire injustement endosser la paternité du mot mouna.

D’ailleurs l’immense majorité des gens de Sidi-Bel-Abbès, Tlemcen, Ain-Témouchent, Bénisaf, Saint-Denis du Sig, Perrégaux, Mostaganem, Mascara, Saïda, Tiaret, etc qui de père en fils a pétri et dégusté des monas, n’a jamais entendu parler du Fort Lamoune Oranais.

D’autres, expliquaient que les familles des prisonniers espagnols du Fort faisaient parvenir aux détenus, une fois l’an à Pâques, au moyen de longues perches, des gâteaux appelés depuis   mounas (sic).

Enfin une autre explication, aussi fantaisiste que les précédentes, établissait une relation entre le nom espagnol du gâteau, mona, et celui des singes qui recevaient des morceaux de brioches  que les prisonniers du Fort leur balançaient du haut de leurs fenêtres.

Au lecteur de choisir la bonne explication.

En somme, Il n’y en  aurait pas d’autres.  Certes, si l’on  appelle, mona (1), la guenon à queue courte, il faut savoir que le mot a ici une étymologie totalement différente.

En vérité, en contrebas de ce Fort, se trouvait une avancée rocheuse et boisée que les Espagnols (dès le 16ème siècle) appelaient « punta de la mona », la pointe de la guenon.

Cette précision apparaît dans certaines cartes anciennes. Emmanuel Roblès imaginait ce que Cervantès , lors de son voyage à Oran fin 1581,  avait pu voir en arrivant sur nos côtes (cf. Algéria n° 49) : le Murdjadjo , le Fort de Santa Cruz, Le Fort de la guenon, « el Fuerte de la mona » , etc.

Voila comment on en arrive à l’appellation Lamoune.

D’aucuns avancent aussi que ‘mico’ signifie une petite mona, gâteau.

La confusion vient de ce petit travers de plaisantins qui illustrait souvent notre discours, un peu à l’instar des Andalous.

Nous aimions beaucoup faire usage de jeux de mots, de mots équivoques, de traits d’esprit. Ce que les Espagnols appellent « un chiste» ou  bien « una broma» Ainsi lorsqu’un enfant peu sage demandait à sa maman qu’elle lui fît des monas, celle-ci,  agacée, lui répondait souvent :

« Oui ! C’est ça, je vais te faire des monas et tu ne veux pas  des micos aussi ?».

Les « micos » désignant une autre variété de singes, à queue longue celle-la.

Il s’agissait bien sûr d’un jeu de mots.

La maman, peu encline à lui être agréable, ne pensait ici qu’aux deux variétés de singes.Pour ceux qui faisaient la fine bouche ou qui n’appréciaient pas assez cette pâtisserie, il était de bon ton de leur dire :

« Si tu n’aimes pas les monas, eh bien,  mange des micos ».

Encore une plaisanterie où l’on propose à l’interlocuteur de croquer une seconde variété de singe, en feignant de comprendre qu’il n’aimait pas la première. On joue évidemment ici sur le double sens du mot mona.

Ces drôleries  dites en version originale ont une toute autre saveur bien sûr !

Pour compléter, j’ajouterai qu’il était courant de dire chez nous d’une personne laide, qu’elle ressemblait à un « mico ». Nous ne faisions alors nullement allusion à une petite brioche. C’était bien à un singe que nous pensions.

Ainsi donc, notre mona et son caractère sacré, symbole pour nous de Résurrection, aura reçu, d’une part, un baptême païen sur les flancs d’une colline oranaise ou sous les étroites fenêtres d’une bastille.

Elle se sera vue, d’autre part,  curieusement rattachée au monde des singes. Chacun appréciera à sa façon le sérieux  de la chose.

En fait, dans les quartiers populaires, très espagnols, des villes d’Oranie, le nom de ce gâteau de Pâques, « religieusement » préparé durant la semaine sainte, se prononçait  avec l’accent tonique sur le ‘o’ de la première syllabe [móna].

Cette pâtisserie n’est pas d’origine Andalouse comme on l’a aussi écrit. Par contre, la calentica et les torraícos, oui !

La  « mona »  n’est bien connue dans la Péninsule que  sur la côte Méditerranéenne, depuis la province de Murcia au sud environ, jusqu’à  celle de Barcelone au nord.

Ce sont les émigrés des provinces de Valence, et d’Alicante surtout, qui ramenèrent chez nous, dans leur panier en osier [cabassette], à partir de 1850 environ, cette pâtisserie, adoptée ensuite par toute la communauté ibérique, Andalous compris.

Le dictionnaire de la « Real Academia » de langue espagnole définit ainsi le mot mona (je traduis) : gâteau brioché souvent orné d’un œuf, cuit au four, que l’on mange à Pâques le jour de la Résurrection.

Le dictionnaire étymologique précise que ce mot vient de l’arabe hispanique « máwna », avec le sens premier de provisions-vivres.

Les gens de ces provinces avaient aussi coutume, le lundi de Pâques, d’aller manger sur l’herbe à la campagne. Ils préparaient, au feu de bois, un riz au poulet  ou au lapin, ce que nous appelions « arroz con pollo ».

Parfois, c’était des gazpachos manchegos, galettes émiettées mijotant dans un jus de viandes très  variées, du gibier si possible, préalablement rissolées avec tomate, ail et oignon. A l’heure du dessert, ils faisaient alors honneur à la mona.

Blasco Ibañez, célèbre écrivain et enfant du Levant espagnol, a admirablement bien immortalisé ces sites charmants de la Huerta, plaine fertile valencienne, dans ses nombreux ouvrages sur la région.

Les champs d’orangers, la Albufera, véritable Camargue, et les bois en bordure de mer, se prêtaient à merveille à cette célébration champêtre pascale.

Cette coutume fut ensuite perpétuée, par l’immigration espagnole, dans tous les coins d’Oranie où  le lundi de Pâques fut communément appelé  « el día de la mona », le jour de la mona.

Les Algérois et les Constantinois suivirent également cette mode mais de façon moins spectaculaire. Pour ces derniers, c’était « la Saint Couffin ».

Le mot mouna était apparu très tôt  dans les récits des premiers chroniqueurs métropolitains, venus chez nous pour rendre compte, aux gens de l’Hexagone, de ce qui se passait dans la colonie.

Peu hispanophones sans doute ou pas assez curieux, ils débaptisèrent par erreur notre mona.

Elle perdit son accent tonique, très espagnol, sur le ‘o’, on rajouta un ‘u’, elle perdit ainsi  son orthographe ibérique, et la prononciation se fit plus douce, plus française en quelque sorte, par déplacement de l’accent sur le ‘a’ final  [mouná].

Si les hispanophones restèrent fidèles, jusqu’en 1962, à leur mona, les autres communautés, surtout dans l’Algérois et le Constantinois adoptèrent la mouna.

Alors  [ móna] ou [mouná ?]

A chacun son plaisir et ses habitudes bien sûr.

Chez moi, dans mon faubourg, au four banal de Pepe Ferrer et à la boulangerie de Alejandro Gil, là où les femmes du quartier se pressaient, en un va- et- vient incessant, pour aller faire cuire leurs gâteaux, je n’ai jamais entendu parler de mouna.

Je peux en témoigner.

J’avais 24 ans au moment du rapatriement. La mona de mes grands-parents, de mes parents et de tous mes amis d’enfance, celle que ma femme continue  de me préparer chaque année, au temps pascal,  évoque encore et toujours en moi, lorsque je la déguste,  une foule de souvenirs bien trop chers pour que je l’oublie.

Elle sera toujours en bonne place dans ce patrimoine culturel intime auquel je demeure très attaché.

En Métropole, on trouve quelques boulangers pâtissiers qui en font de délicieuses. La plupart d’ailleurs sont de chez nous ou apparentés à notre grande famille.

En conclusion, ce qui est  bien triste et un peu  agaçant même, c’est cette amnésie au moment d’essayer d’établir  la vérité. Un peu comme si, voulant gommer des racines culturelles déplaisantes ou dérangeantes, on préférait remettre les pendules à zéro : «  Borrón y cuenta nueva » comme on disait chez nous (On efface tout et on recommence).

On réécrit alors l’Histoire par petites touches en retenant plusieurs versions ; peu importe si elles sont différentes les unes des autres, voire contradictoires. Ça ne dérange pas !

Le lecteur choisira celle qui lui conviendra.

Très curieusement, l’explication la plus logique est pratiquement ignorée ou n’apparaît jamais dans les écrits.

Surprenant non ?

Nos  grands-parents n’étaient pourtant pas tombés du ciel. Un certain nombre d’entre eux était arrivé de la péninsule voisine, avec une langue, une culture, des coutumes. Je pense que ce serait leur faire honneur que de ne jamais l’oublier.

Ne dit-on pas souvent : «  Oublier ses racines, c’est perdre son âme. »

Manuel Rodriguez

 

(1) En Oranie (c’était tout au moins le cas à Sidi-Bel-Abbès), on utilisait peu le mot « mono,a » pour désigner le singe. On employait plus souvent « mico » et, très curieusement, surtout  le mot « marta » (martica). Pourtant en castillan, comme en valencien, « una marta » c’est toujours une martre. Bizarre !!!!! « Mona », c’était  le gâteau de Pâques.  Et employé comme adjectif (mono, a), il signifiait mignon,onne.

(retour au niveau de mona, dans l’article sur la Mouna Oranaise)

*

Et pour finir, la recette pieds-noirs de la Mouna Oranaise
selon Christophe Certain, du site Cuisine Pieds-Noirs



 

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