C’est en cherchant quelques références sur la Mouna hier que je suis tombé sur le livre de Émilienne Muzard.

Faites bien attention si vous cliquez sur l’image à gauche parce que le livre mis en vente est au format Kindle, pour la liseuse électronique d’Amazon.

Ce n’est pas un livre papier.

J’imagine qu’on doit pouvoir encore trouver le livre papier chez un bouquiniste.

Sa couverture ressemblera alors à celle-ci. Mais je ne trouve plus la trace d’une quelconque mise en vente.

Sur le très réputé site pieds-noirs oranais de Jean-Claude Pillon, la page « Aidez les auteurs Oranais » y fait référence.

« Emilienne Muzard : « Le gout de la Mouna ». C’est vraiment la vie d’une famille d’Oran. Ce livre raconte notre vie dans les bas quartiers et tous nos compatriotes de la Marine vont sûrement retrouver des lieux et des noms. Aux éditions des Écrivains. Pour plus d’informations, visitez leur site. »

En lisant le résumé sur Booken Store, je vois un peu mieux en quoi consiste cette référence au goût de la Mouna Oranaise.

Les « néo » ces Français d’Algérie d’origine espagnole, tentent d’exprimer à travers « La Mouna » et la fidèle voix d’Émilie, gardienne du passé, leurs souffrances, joies, partages et traditions, avec la fierté et la passion qui se rattachent à leur histoire. « La Mouna » est une recette pour exorciser la nostalgie d’une terre perdue, à travers un pèlerinage. Une fresque humaine tragique et tendre à la fois. « En visitant ma mémoire et celle de mes ancêtres – dit Émilie – goûter à ce morceau de mouna, c’est partager sa saveur… à Santa Cruz comme ailleurs. »

Je crois que les « néo » étaient aussi appelés les « 50 pour cent », ces espagnols qui n’étaient pas considérés comme des français à part entière par les français présents depuis 1830, parce que naturalisés, vers la fin du XIX° siècle.

Des espagnols déjà dans la nostalgie de leur pays perdu, l’Espagne, et qui mangent la Mouna pour se souvenir ; mais de moins en moins avec le temps, parce que l’Oranie devient leur terre, au point que Emmanuel Roblès pourra parler d’une Oranie hispanisante.

Peu à peu, ils s’enracinent, perdent leur langue maternelle (qui se mélange au français pour dire « pomma » au lieu de « manzana ») et commencent à apprendre l’arabe.

Émilienne Muzard utilise la Mouna pour exorciser sa nostalgie

Je n’avais jamais pensé au fabuleux pouvoir incantatoire de cette brioche, infiniment plus puissant que n’importe quelle photographie, puisque la fleur d’oranger sur les papilles ramène à la surface un monde enfoui sous les décombres de l’exil.

La référence à la Madeleine de Proust n’est pas explicite, mais on la devine à tous les coins de phrase.

La Mouna est davantage qu’une petite brioche qui se mange sur les pentes de Santa Cruz un après-midi de Pâques. La Mouna est une recette pour exorciser la nostalgie. C’est Émilienne qui l’écrit.

Il n’y a pas pire démon que la nostalgie.

On peut avoir la nostalgie de beaucoup de choses ; d’un pays, d’une époque, ou d’une histoire d’amour. Dans tous les cas, le démon est le même : on ne cesse de croire au retour de l’impossible, tout en sachant très bien qu’il n’y a pas de retour de l’impossible.

Comment ne plus ressasser l’amour défunt pour une terre, un moment, une femme, un homme.

La nostalgie s’attache à la perte et la refuse. C’est un poison sans fin.

Émilienne préconise la recette de la Mouna pour exorciser la nostalgie et ne plus en être victime : revisiter le passé de fond en comble.

« En visitant ma mémoire et celle de mes ancêtres – dit Émilie – goûter à ce morceau de mouna, c’est partager sa saveur… »

Il y a peu, quelqu’un m’a écrit ces quelques lignes très justes :

« Mais ce n’est pas de cela que je voulais parler, c’est de ta fascination pour une ville, des histoires que tu n’as pas vécues ; c’est étrange et fascinant en retour pour moi. Comment s’attacher à un monde disparu ? Un peu comme si nous vivions dans des bâtiments romains, qu’on se demande à quoi ressemblait la vie à cette époque, et qu’on en ait la nostalgie. »

Comment se retrouve-t-on avec la nostalgie de ce qu’on n’a pas vécu ?

Je n’en sais rien. Mais c’est un fait.

Et je vois qu’Émilienne s’est extrait du piège de la même manière que moi, en revisitant de fond en comble un passé qu’elle n’a pas vécu, le passé de ses ancêtres, qu’elle perçoit comme sien.

Et qu’elle veut exorciser.

Je n’ai pas de théorie à ce propos. Ça ressemble à de la psychanalyse à grande échelle.

J’ai lu le livre de Émilienne Muzard.

Je mets les titres des derniers chapitres, ça donne une idée : « Après l’exode », « 15 août 1964 : jour de l’Assomption », « La Guyane », « J’entends », « Pèlerinage d’un groupe d’Oranais Toussaint 1982 » et « Émilienne aujourd’hui ».

Et le titre du premier chapitre : « La naissance d’Antonio. »

Puis le début : « Antonio, mon père ! Mes yeux s’attardent sur sa photo… Surnommé à juste titre « Tonico », il naquit à Oran le 21 septembre 1902, l’année où dans un verger de Misserghin, l’abbé Clément greffa la douce mandarine à l’amer bigaradier. De ce jour naquit la jolie clémentine. »

Une histoire de greffe douce sur une terre dure. Et peut-être un zest de Clémentine pour aromatiser le tout.

Émilienne est allée loin -et c’est un exemple pour moi- dans la visitation de son passé. Commencé un 21 septembre 1902 à Oran, on peut dire que le périple s’achève 104 ans plus tard, en septembre 2006, au cimetière Tamashouët.

Ce n’est que l’article central d’une page entière consacrée à Émilienne Muzard dans le Midi Libre en date du 1er octobre 2006. Vous pouvez la télécharger.

Où l’on s’aperçoit que les retours en France sont toujours difficiles.

Mais qu’il ne faut rien lâcher.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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