« Le Moulin-à-Vent va bénéficier ces prochains mois d’aides de l’État et de la ville pour la rénovation des logements les plus anciens » (légende qui accompagne la photographie de l’article rédigé par Julien Marion dans le quotidien régional L’Indépendant et publié le 27 décembre 2017)

Il y a quelques jours, je suis tombé sur un document ancien.

Je furetais du côté du quartier juif d’Oran à la recherche d’un angle pour aborder mon article lorsque je suis tombé sur un document que je me suis empressé de capturer.

Il s’agit de la vente d’un terrain réalisé en 1801 par le Bey Osman, successeur en 1799 de Mohamed el-Kebir, bey de la vieille mosquée située sur le plateau de Kargentah, près de la stèle du Maghreb, ancien monument aux morts d’Oran.

C’est l’époque ou l’on cherche à repleupler Oran en faisant appel aux juifs.

Le document mérite d’être conservé pour deux bonnes raisons :

1. Il ne sort pas de n’importe où : il y a une source très précise.
2. Il donne des noms de quartiers anciens très précis : Reha el Reh (Moulin à vent) qui a donc l’air de se situer dans le quartier plus tard appelé quartier juif.

C’est important les noms. Ils donnent la vie. Et il y a une vie à Oran avant le quartier juif.

Il y a le quartier du « Moulin à vent. »

Mon coeur a bondi quand j’ai lu ce nom.

De Reha el Reh au Moulin à vent

Lorsque mes grands-parents maternels sont revenus d’Oran en 1962, ils se sont installés à Pau. Ils y sont restés quelque temps, puis au début des années 70, ils ont acheté un petit appartement dans le quartier du Moulin-à-Vent, à Perpignan.

C’est un lieu très spécial.

Pour ceux qui ne connaissent pas, je mets une photographie de la rambla de l’Occitanie ci-dessous. Elle est tirée de Google Maps en mode Street View. C’est parfait. N’importe qui voit très bien maintenant dans quelle direction va se diriger cet article.

La Rambla de l’Occitanie – Ville nouvelle du Moulin-à-Vent – Perpignan (Photographie Google)

Il m’aura fallu attendre plus de 40 ans pour voir.

Je me suis promené une heure dans le quartier du Moulin-à-Vent ce matin ; j’en ai eu la chair de poule, il a fallu que je sorte prendre l’air. Toute mon enfance venait de resurgir.

C’est violent Google.

Mes grands-parents habitaient à cet endroit.

Perpignan est une ville très fleurie, plutôt jolie, dont je me rappelle surtout le Castillet. Une prison orange avec un petit drapeau catalan qui flotte au vent.

Mais dans l’ensemble, elle ne dépare pas du paysage urbain français ; sauf pour les puristes, j’imagine.

Par contre, lorsqu’on franchit une limite (n’importe laquelle) du quartier du Moulin-à-Vent, on passe ailleurs.

Quand on allait en vacances chez mes grands-parents avec la 2CV de ma mère, c’est très exactement à l’instant où l’on franchissait la limite du quartier qu’on sautait sur la banquette arrière (il n’y avait pas de ceintures) en criant « on est arrivés ! on est arrivés ! ».

La 2CV rebondissait dans tous les sens, on adorait ça.

Il y avait des palmiers, des loggias, des tuiles oranges dans les murs, des aloès, des personnes au balcon qui parlaient aux personnes dans la rue, des boulangeries qui vendaient de la Mouna, et des dames qui s’appelaient Mme Diaz (au 1er), Mme Garcia (au 4ème) et Mme Porta (ailleurs).

Illustration © Maxppp – Nicolas Parent, PHOTOPQR/L’INDEPENDANT/MAXPPP

Je n’ai pas du tout compris ce que j’avais sous les yeux.

J’ai lu tout à l’heure que ce quartier était une totale réussite. A un point tel qu’il est pris en exemple partout en France comme la seule construction (ou presque) conçue dans les années 60 qui ait bien voulu répondre aux espoirs placés en elle.

Paul Alduy était maire de Perpignan en 1962.

C’est aussi l’un des seuls à avoir éprouvé une certaine empathie pour le désastre pieds-noirs de l’été 62. La ville nouvelle du Moulin-à-Vent était déjà commencée à leur arrivée, il lui donna davantage d’ampleur encore pour permettre aux exilés de se construire un ersatz d’Algérie dans lequel ils pourraient tenter de se reconstruire une nouvelle vie.

Mes grands-parents semblent y avoir trouvé un certain réconfort.

Je le remercie donc avec quelques années de retard pour l’accueil qu’il a bien voulu réserver aux pieds-noirs en général, et à mes grands-parents en particulier.

Le Moulin-à-Vent¹, « Cité-Rapatriée » ?

En 1960, Paul Alduy, élu depuis un an à la Mairie de Perpignan, lance son grand projet : le Moulin-à-Vent.

L’arrivée et l’accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et Perpignan face à l’exil des Rapatriés d’Algérie – Lire l’article détaillé sur exode1962.fr

Ces appartements devaient, à l’origine, loger les enfants du baby boom. Paul Alduy n’a donc pas décidé de construire le Moulin à Vent spécialement pour les Rapatriés de sa ville, puisque son idée de cité HLM datait de 1960. C’est l’arrivée des Pieds-Noirs qui a engendré la « fonction » de la cité du Moulin-à-Vent de « Cité de Rapatriés ».

Dans l’imaginaire perpignanais, Paul Alduy a demandé la construction de la cité du Moulin-à-Vent pour accueillir les Pieds-Noirs. En d’autres termes, il a bâti ces logements spécialement pour les repliés d’Algérie. Même s’il est vrai que 21,5 % des appartements ont été habités par les Pieds-Noirs, nous ne pouvons pas dire que cette cité a été construite pour eux.

Par contre, la ville de Perpignan a logé en priorité au Moulin-à-Vent, les Pieds-Noirs sollicitant un appartement.

La construction de cette cité a débuté le 12 juin 1962 en présence du député maire de Perpignan, du Préfet des Pyrénées-Orientales et des autorités du département. Le 28 juin 1963, les premiers appartements sont prêts, et ce n’est qu’à l’automne 1964 que prend fin l’édifice du Moulin-à-Vent.

Lors d’une allocution de Paul Alduy au sujet du Moulin-à-Vent et de ses habitants, il remercie les Pieds-Noirs d’avoir choisi sa cité pour leur nouveau départ en France :

Je voudrais que les Rapatriés retrouvent ici la petite patrie qu’ils ont perdue là-bas, qu’ils sachent que la terre catalane est très accueillante et que le Moulin-à-Vent essayera de l’être plus encore. C’est un privilège que vous ayez été les premiers à nous faire confiance².

1. Philippe Bouba, L’arrivée et l’accueil des Pieds-Noirs dans les Pyrénées-Orientales en 1962, Port-Vendres et Perpignan face à l’exil des Rapatriés d’Algérie (ici p8-9 )
2. Carine Corbi, Le Moulin-à-Vent, exemple d’une politique d’urbanisation, mémoire de maîtrise, Université de Perpignan, 1996, p. 8.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

*

Arrivée de pieds-noirs sur le quai de Port-Vendres en 1962 – Photographie de l’association « Port-Vendres des paquebots » publiée dans La Dépêche le 26 janvier 2010



 

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *