Jean-Claude Pillon a construit un site remarquable (qui n’est malheureusement plus accessible…)

Sur lequel tout le monde est déjà passé au moins une fois.

Un des trois sites de référence sur Oran dans les années 50 avec  celui de Edgard Attias et « Oran des années 50 » de Danmarlou.

Mais si Oran des années 50 est surtout un incroyable coffre à trésors, et Edgard Attias un monument d’érudition, Jean-Claude Pillon essaie plutôt de collecter à sa manière la mémoire des lieux de vie, les habitudes d’une époque, les changements opérés au fil des décennies.

Davantage qu’un lieu de collecte, son site est avant tout un lieu où la parole consignée est mise en forme pour tenter de saisir quelque chose de la ville et de ses habitants, avant 1962.

Et pourtant, Jean-Claude Pillon n’est pas pieds-noirs.

Il a seulement fait un passage d’une dizaine d’années à Oran après la seconde guerre mondiale. Mais il a profondément aimé la ville. Il habitait Rue Lamartine.

Son père était comptable à la SEVA (Société d’Étude Verrières Appliquées) à l’usine de Chalon sur Saône avant d’être pressenti pour un poste de responsable de la comptabilité aux Verreries d’Afrique du Nord, Société virtuelle en 1942, à créer de toute pièce quelque part en Algérie.

J’avais déjà repéré la page qui en parle sur son site, mais le fait de voir un article écrit de sa main dans la revue Mémoire Vive (3ème et 4ème trimestre 2011) du Centre de Documentation Historique sur l’Algérie (CDHA) m’a décidé à tenter ce texte aujourd’hui.

Il est hors de question que je réécrive l’histoire des Verreries de La Sénia -j’essaie dans la mesure du possible de ne pas refaire ce qui a déjà été fait- je voudrais juste saisir la place de cette verrerie dans la vie de l’époque, pourquoi une verrerie à Oran, par exemple, et pourquoi La Sénia.

Le site des Verreries d’Afrique du Nord avec le Murdjajo en toile de fond. (source J.C. Pillon)

Il semblerait que le site ait été choisi pour trois raisons principales :

  • Il n’est pas loin du port d’Oran
  • Il est proche d’une carrière de sable (à partir duquel le verre est obtenu par fusion. On remarque la cheminée des fourneaux sur la photo ci-dessus.)
  • Le terrain est déjà branché sur un réseau ferroviaire relié au Maroc, gros client potentiel, hors Algérie.

Et il semblerait que la société créée en 1942 l’ait été parce que la guerre commençait à poser des problèmes d’approvisionnement en verre. Ou tout du moins, à force de s’éterniser, risquait de commencer à poser problème. « Une nouvelle usine de l’autre côté de la Méditerranée pourrait couvrir les besoins de toute l’Afrique du Nord ». (Article de Mémoire Vive – derniers trimestres 2011)

L’Algérie est le premier consommateur et absorbe 60% de la production, puis vient le Maroc avec 30%, et enfin la Tunisie, plus loin, moins peuplée, et qui possède déjà une verrerie concurrente des VAN.

Je ne m’étendrai pas sur le processus de fabrication du verre, je relèverai seulement dans l’article de Mémoire Vive, et ailleurs sur la Toile, de quelle manière ces verreries étaient présentes dans la vie des Oranais.

La principale carrière de sable se trouve à St-Denis-du-Sig, à une cinquantaine de km d’Oran, et suffit pour obtenir un verre commun, mais non du verre blanc, qui ne supporte aucun défaut de transparence. Ce sable est importé de France. L’usine des VAN se limitera donc essentiellement à la production de verre creux (bouteille et gobelèterie) et non de verre plat (vitrerie, miroiterie, etc.)

Résultat des courses, s’il faut chercher les traces des VAN à Oran, c’est dans les bouteilles : « Vins, Bière, Jus de fruits, conserves, boissons gazeuses, lait, eaux minérales, etc. »

Ça a l’air simple comme ça mais il m’a fallu batailler pour commencer à trouver un début de trace de bouteille.

C’est tout en bas de l’article sur les Verreries de l’Afrique du Nord, dans un mot laissé par Christian Munch, retraité de Saint-Gobain, qu’apparaissent enfin des traces de boissons contenues dans les fameuses bouteilles VAN :

« Une info pour ceux que cela intéresse : La société Saint-Gobain (mon ancienne boutique avant la retraite), par l’intermédiaire de sa filiale « Verralia » vient de racheter la société « Alver » anciennement « Verreries de l’Afrique du Nord », à Oran bien sûr. C’est à dire que Saint-Gobain vient de racheter une société qui lui appartenait jusqu’en 1962. Peut être que la nouvelle société va se remettre à fabriquer les bouteilles de BAO et de JUDOR, et même ORANGINA. »

Donc je vais essayer de regarder un peu du côté des bouteilles BAO, Judor, Orangina, et… Galiana.

BAO, je ne connaissais pas, ou plutôt, je n’avais jamais du faire attention. Parce qu’il y a quand même pas mal de références à droite et à gauche, et je suis forcément passé devant à un moment ou un autre, depuis presque un an que j’écris sur Oran.

BAO, c’est d’abord un sigle, celui de la Brasserie Algérienne d’Oran. C’est ensuite une bière. Et c’est enfin une bouteille.

Bouteilles « Brasserie Oran L’Algérienne »
Source : le coin de Pierre Galy sur Oran des années 50
Source : le coin de Pierre Galy sur Oran des années 50

Je me demande si la Brasserie ne se trouvait pas du côté du quartier Delmonte :

« … sans oublier les fleurons de Delmonte : les caves Savignon, Schenck, Duquesnay, et la Brasserie Algérienne, la fameuse B.A.O. » 

Je n’ai pas beaucoup plus de renseignements.

En ce qui concerne le Judor, les origines semblent être marocaines.

Cette matière première servait de base pour la nouvelle boisson gazeuse «Judor» qui, elle aussi, allait devenir célèbre. Ce mélange entre le goût naturel des agrumes et la composition des soft drinks a fait un tabac partout au Maroc. La pulpe d’orange était d’ailleurs visible dans la bouteille de Judor qu’il fallait agiter avant de boire. Ce succès était conforté par des publicités réussies telles que «Judor, Joues d’or» ou bien «Judor, Jus d’or».

C’est tiré d’un excellent article qui raconte les marques cultes lancées par les Brasseries du Maroc.

J’imagine que les Verreries d’Afrique du Nord, dont 30% du marché était marocain et qui s’étaient installées près d’un embranchement ferroviaire pour cette raison, devaient travailler avec les Brasseries du Maroc. Je cherche désespérément la trace d’une bouteille de Judor des années 50. Je n’ai trouvé qu’une capsule. (Merci à Abdelbaki Fellouah pour la bouteille enfin retrouvée)

 Le Soda Judor
Capsule de Soda Judor d’époque (source : le coin de Pierre Lauze sur Oran des années 50)
Ancienne bouteille de soda Judor (source : bikhir.ma)

A noter que le Judor va retrouver des couleurs en Algérie puisque « le groupe Castel passe à la vitesse supérieure en lançant sur le marché son dernier-né, à savoir les jus de fruits Judor. »

Pour l’Orangina, c’est tellement connu que je n’ai pas de photos d’époque. Ni bouteille, ni capsule. Paradoxe de la célébrité. Si quelqu’un peut me dépanner…

Par contre, petite remarque, il y a de la concurrence aux VAN du côté d’Alger, semble-t-il, puisque je lis :

« …outre les petits limonadiers qui fabriquent une limonade artisanale, Hamoud Boualem se trouve face à des géants de la boisson comme Montserrat, célèbre négociant en vin (les pieds-noirs se souviennent sans doute du slogan « Mon vin sera Montserrat »), à qui Orangina a confié la mise en bouteille de sa boisson à l’orange. » (c’était sur une page qui a malheureusement disparu)

A moins que les VAN fabriquent les bouteilles, et que la mise en bouteille de la boisson proprement dite, soit assurée par Montserrat. Trop subtil pour moi, tout ça. J’attends quelques bonnes âmes pour m’éclairer ici aussi.

Je ne terminerai pas sans un clin d’œil au cas Galiana sur lequel Jean-Claude Pillon lui-même propose une photo.

Anisette Galiana
Bouteille d’anisette Galiana – (J.C Pillon)
Et la carafe Super-Anis Galiana – (J.C. Pillon)

Mais là non plus, je ne trouve pas grand chose. Il faut dire qu’entre toutes les bouteilles Galiana, je ne sais pas trop laquelle choisir, d’autant plus que la marque existe toujours et que les bouteilles n’ont cessé d’évoluer.

Je me suis limité aux quelques boissons les plus connues, mais il est évident qu’il devait y avoir des tas d’autres choses, enfermées dans des bouteilles ou des bocaux. Je vois sur cette page (disparue) dénommée simplement « les produits de chez nous » des conserves et confitures DEA, d’autres confitures Escla, et même du « Verigoud »… Le verre provenait-il des VAN ?

Il faudra peut-être que je demande à Jean-Claude Pillon.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

*

NB1 : Merci à Jean-Claude Pillon d’avoir permis la publication de cet article. Je joins ci-dessous quelques-unes de ses remarques sur le Judor. Je ne connaissais pas du tout cette boisson, et je ne pensais pas qu’elle avait autant d’importance !

Judor est vraiment LE jus de fruit de mon passage à Oran, raison sans doute pour laquelle je suis incapable de dire si les VAN en ont fabriqué les bouteilles. Il faudrait pour cela retrouver une bouteille authentique de l’époque, et la retourner. Il y avait à l’époque sur le fond des bouteilles un logo indiquant l’usine ayant produit la bouteille. Ce fut pendant longtemps un jeu avec mon père et d’autres amis des VAN que de retourner chaque bouteille (bue) pour vérifier sa provenance !!! (Jean-Claude Pillon)

NB2 : En profiter pour aller voir l’article sur Orangina et les mauvaises blagues de l’inconscient.



 

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