En avril 1982, ma mère fait retour à Oran pour quelques jours.
Le 1er mai, elle écrit une longue lettre à ses parents et à son frère pour leur raconter son voyage. J’en ai publié le début la semaine dernière, voici la suite.
*
Première surprise, je croyais qu’on arriverait à La Sénia, mais on s’est retrouvé à l’aéroport militaire de Tafaraoui, car il parait que La Sénia est en pleine réfection et qu’il est hors-service actuellement.
Pour quelqu’un qui arrive à l’aéroport de Tafaraoui et qui ne connait rien de l’Algérie, il faut avouer que la première impression est peu exaltante car les locaux sont très précaires et assez sales. J’espère que La Sénia, lorsqu’il aura été reconstruit, sera un peu plus reluisant.
La première étape a été le contrôle des passeports, long et minutieux.
Il nous a fallu, de plus, remplir un papier destiné au change de l’argent dont nous disposions. Il fallait tout déclarer jusqu’au dernier centime, et ensuite, sur ce papier, il fallait faire marquer toute opération de change effectuée, nous a-t-on dit, sans quoi nous nous exposerions à de graves ennuis, allant jusqu’à la prison (j’ai appris par la suite qu’il fallait prendre cette menace très au sérieux, car j’ai une collègue ici, à B., qui connaissait quelqu’un à qui c’est arrivé ; résultat : un an et demi de taule à Oran).
Claude et moi, nous avons donc tout déclaré bien sagement. Nous avons eu la chance de passer parmi les premiers, ce qui fait qu’après, nous avons pu nous asseoir et regarder autour de nous.
J’oublie de vous dire que l’officier de police qui a regardé nos passeports s’est arrêté avec intérêt sur le passeport de Claude où était marquée sa profession, il lui a demandé de quel journal il était, ce qu’il venait faire. Claude s’est présenté comme un simple touriste, alors l’officier lui a dit, sur un ton très aimable : « Soyez le bienvenu ».
Quant au mien, de passeport, « née à Oran », il ne lui a fait ni chaud ni froid ; il a fallu encore attendre une bonne heure que tous les contrôles, policiers et douaniers, soient effectués. Ils n’ont pas ouvert les valises, à peine jeté un coup d’œil pour la forme dans certains sacs manifestement choisis au hasard. Ce qui était long, surtout, c’était les déclarations d’argent.
Moi, je regardais autour de moi, mais un aéroport, ça ne dit pas grand-chose.
Ça fait drôle, bien sûr, quand on débarque après vingt ans, de voir des arabes en grand uniforme qui te contrôlent tes papiers, mais de toutes façons, on s’y attendait !
Moi, je regardais la femme qui faisait le ménage avec sa serpillière, tout à fait à la manière de celles d’autrefois qui venaient chez nous. Je crois que pour les femmes algériennes, rien n’a changé de ce point de vue-là. Elles font toujours le ménage là où elles trouvent à en faire. Tout au moins les femmes du peuple.
Enfin, tout a été terminé et on est parti en car vers les Andalouses. Il y avait déjà des gens qui pleuraient, et ce, depuis l’aéroport. Mais heureusement, il y en avait d’autres qui chantaient et qui plaisantaient.
On n’a pas traversé Oran, seulement fait le tour, mais je ne me rappelle plus très bien par où on est passé ; on s’est retrouvé au-dessus du port (sur la rampe Valès, peut-être ?).
Ce qui a frappé tout le monde, c’est l’inertie qui règne dans le port d’Oran. Aucune activité, de vieux bateaux amarrés, rien ne bouge, on dirait un vieux port abandonné. Par la suite, nous avons refait cette route presque tous les jours, et ça a été tout le temps comme ça. En plus, comme il ne faisait pas très beau, gris et pluvieux, c’était assez désolant.
Nous avons refait cette route de la Corniche jusqu’aux Andalouses, contents quand même de tout revoir. Le Rocher de la Vieille est toujours là. La zone de Mers-el Kébir, tout le long de la côte, est devenue zone militaire, il ne faut surtout pas pendre de photos.
On a traversé les villages d’Aïn el Turk, puis de Cap Falcon, etc. enfin toute la route, quoi.
Les villages sont assez délabrés, mais pas très sales. D’ailleurs, d’une manière générale, les villages sont moins sales que la ville elle-même. Les maisons sont délabrées, ça oui. Beaucoup sont abandonnées.
Ce qui frappe, c’est le nombre incalculable de gosses qui courent partout, c’est incroyable. (Aux derniers chiffres, 60% de la population a moins de 20 ans, c’est fou).
En revanche, là où c’est complètement mort, c’est aux Coralettes, ou je ne me rappelle plus très bien comment ça s’appelait, là où on voyait tous ces cabanons au bord de la route, avant d’arriver à Bomo-Plage : les cabanons sont totalement abandonnés, et très délabrés. Quelques-uns, très peu, sont entretenus, et sans doute habités l’été. Mais la grande majorité ressemble à des bicoques laissées pour compte. Peut-être qu’il y a des gens qui y viennent quand même l’été. Je n’en sais rien.
Aux Andalouses, le complexe touristique est superbe. C’est comme une petite cité bâtie dans le style arabe : des maisons et des bâtiments bas, peints en blanc, avec des arcades et des patios. Les chambres se trouvent dans de petits immeubles de trois étages, et un peu plus loin, il y a des bungalows aussi. C’est très propre.
Il y a des boutiques, un café dans le plus pur style maure, très beau. L’intérieur est décoré d’arcs lobés sculptés, les tables sont des tables basses recouvertes d’immenses tableaux ronds, en cuivre gravé, comme celui que j’ai ramené, mais plus grands. On vous apporte le thé à la menthe (pas d’alcool, tout au moins officiellement) dans des théières en cuivre magnifiques. Enfin, passons.
Le personnel est très stylé, ce sont des jeunes ou moins jeunes qui ont fait une école d’hôtellerie, et qui ont une classe et une gentillesse extraordinaires, pourvu que le français sache bien rester à sa place de touriste. Une fois, un type du groupe s’est fait remettre en place de belle manière, mais il l’avait bien cherché, il avait demandé sa clé à la réception d’une manière bien cavalière : « Tu me donnes ma clé, Ahmed ? », et l’autre lui a répondu : « Nous ne sommes plus colonisés, Monsieur. »
Je raconte ça, ce n’est que pour dire dans quel esprit il faut voir les choses maintenant, mais je n’ai pas l’intention de m’étendre sur ce sujet.
La suite, mardi prochain.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)