Le style Jonnart est assez connu en Algérie.
On le retrouve par exemple à la gare d’Oran ou au Belvédère.
Il peut plaire au premier abord parce qu’il est séduisant, mais dans un second temps, il pose forcément problème.
D’autant plus que Jonnart est un homme politique dont le style qui porte son nom deviendra style d’État au début du XX° siècle.
Tout art officiel est à questionner, peut-être plus encore lorsqu’il cherche à séduire, au lieu de seulement s’imposer.
En 1903, Jonnart est nommé Gouverneur Général de l’Algérie et décide, sur le plan architectural, de rompre avec le néoclassicisme haussmannien qui a marqué les constructions de la seconde moitié du XIX° siècle.
Il s’agit de donner une image de la France protectrice et soucieuse des traditions locales.
« l’architecture classisante d’appartenance européenne a été pendant soixante dix ans l’architecture officielle de l’empire français en Algérie où la politique d’empire survécu à l’empire » (Deluz, J.-J. ; « L’urbanisme et l’architecture d’Alger, aperçu critique »)
Jonnart contribue à accélérer la carrière du futur maréchal Lyautey en lui confiant l’exécution de la politique Algéro-Marocaine, et les grands travaux s’ensuivent.
C’est ainsi qu’on construit la gare d’Oran :
« De style néo-mauresque, il [l’édifice] est dessiné par l’architecte Albert Ballu et construit par l’entreprise des frères Perret, lors de la colonisation française. Son architecture reprend les symboles des trois religions du livre.
Ainsi son aspect extérieur est celui d’une mosquée, où l’horloge a la forme d’un minaret ; les grilles des portes, fenêtres et plafond de la qoubba (dôme) portent l’étoile de David ; alors que les peintures intérieures des plafonds portent des croix chrétiennes. » (Wikipedia)
A noter qu’Albert Ballu dessine aussi la cathédrale d’Oran, de style romano-byzantin.
J’aime bien la gare d’Oran. Mon grand-père paternel y travaillait, c’est peut-être pour ça. Mais je ne pense pas être le seul à vouer à l’édifice une certaine affection, je suis sûr que de nombreuses personnes l’apprécient dans le paysage de la ville, au même titre que le Belvédère ou les anciennes Nouvelles Casernes.
On n’est pas obligé de se voiler la face pour autant. Cette manière de reprendre les symboles des trois religions pour ne fâcher personne peut laisser dubitatif :
[…] il est aussi question selon Lyautey de rendre « l’art traditionnel » compatible avec la vie et les « besoins contemporains » ; cela implique donc une démarche pragmatique.
La politique du moindre mal est souvent invoquée, par exemple lorsqu’il s’agit de masquer des bâtiments utilitaires indispensables, comme les casernes « habillées à l’arabe » de façon à les « rendre supportables ». (CARAN, Paris, Fonds Laprade, AP/403/10bis, article pour la revue France Maroc, dactyl., 1917)
Le nouveau style architectural Jonnart est à la fois un Orientalisme (l’Occident qui regarde et fantasme l’Orient – voir le Bain turc d’Ingres ) et un ressort politique pour tenter de se fondre dans le paysage.
Je ne sais pas si l’astuce fonctionne longtemps parce que tout le monde semble très vite prendre conscience du danger qu’il y a à faire de la singerie.
« […] averti par « ses as », architectes et urbanistes, des limites du mimétisme orientalisant, il s’est rallié à des formules plus sobres… » (Lyautey au Maroc – Toujours tiré de Caran)
C’est le doute qui commence à s’installer.
Jusque-là, les bâtiments haussmanniens montraient l’assurance de la France, l’absence totale de doute. Le style Jonnart cherche à séduire ; ce sont les premières lézardes de la présence française qui apparaissent dans les casernes ou le belvédère.
La suite tentera de rectifier le tir. Les architectes de la nouvelle tendance moderniste (les algérianistes) mettront en avant pour la célébration du centenaire en 1930 le caractère méditerranéen de l’Algérie.
Si un jour, je me promène sur l’esplanade de la gare à Oran, je penserai sûrement à mes deux grands-pères, puisque l’un travaillait à l’intérieur même du bâtiment, tandis que l’autre faisait cours à deux pas, rue Marquis de Maurès, dans une salle de l’École Lamoricière.
Mais je me dirais aussi que ce bâtiment signait déjà, avant même la naissance de ces deux ancêtres, le début de la fin de l’Algérie française.
La fin se repère souvent très loin en amont.
Paul Souleyre (Mais qui est Paul Souleyre ?)