La Cité La Fontaine à Oran

Depuis que je suis revenu de Montpellier, je cherche le moyen d’écrire sur la Cité La Fontaine.

Je crois que c’est à cause des Fables que j’ai reçues à mon anniversaire.

Et peut-être aussi à cause de Bartholomé Jorba, le maître céramiste oranais, qui a orné les entrées de mosaïques représentant les fables.

Pourtant, quelque chose d’autre se trouve là, sous mes yeux, et m’appelle.

Mais quoi ?

Une mosaïque de la Cité La Fontaine – Photo Brahim Hadri

Je n’arrive pas à écrire sur les cités d’Oran alors que je connais leur importance.

Je commence à en avoir quelques-une en tête, comme la Cité Lescure, la Cité Perret, la Cité Dar el-Hayet, ou la cité La Fontaine, mais je ne vois pas du tout comment leur donner vie.

Pourtant, j’ai moi-même grandi au coeur de trois grandes barres de 14 étages, je devrais être sensible à ces ensembles ; je sais qu’on peut y être heureux si les conditions sociales sont décentes, davantage même que dans un pavillon de banlieue.

Ça grouille de monde, on passe son temps à frapper à la porte des uns et des autres, on fait des parties de foot gigantesques, on tombe amoureux dans les ascenseurs.

C’est rempli de vie.

Je crois que j’évoque cette cité d’Oran parce que j’ai rencontré à Montpellier une personne liée à l’Algérie qui connait très bien les trois barres entre lesquelles j’ai grandi à Pau.

C’est toujours étrange de rencontrer des inconnus qui connaissent parfaitement les lieux les plus intimes de notre enfance.

C’est un choc émotionnel fort, qu’on le veuille ou non, parce que totalement imprévisible. Donc l’inconscient travaille, et trois jours plus tard, on se demande pourquoi on écrit sur la Cité La Fontaine.

Il m’aura fallu batailler une heure autour de cet ensemble pour enfin comprendre mon attirance.

Je crois que ce sont ces deux photos qui m’ont ouvert les yeux.

Les ascenseurs de la Cité La Fontaine

Les ascenseurs sont les mêmes que ceux où j’ai passé mon enfance.

Lorsque l’homme retient la porte, mon regard n’est pas attiré par l’appartement mais par l’intérieur de l’ascenseur ; je reconnais cet espace.

Je reconnais la vitre de la porte, toute en longueur, épaisse et peu transparente, mais suffisamment toutefois pour apercevoir les étages défiler.

Image d’enfance.

Les trois hommes que l’on voit sont trois frères qui ont passé leur enfance dans cet appartement de la Cité La Fontaine.

La page d’accueil du site qui présente leur voyage est d’une grande douceur.

« Et puis le Père Noël est arrivé, chargé de cadeaux dans sa hotte, en décembre 2005. Et, surprise parmi les surprises, le plus beau des cadeaux, celui dont nous rêvions chaque année sans vraiment trop y croire, était là, bien emballé :
un billet d’avion pour chacun des 3 frères, offert par leurs familles respectives. »

C’est terriblement émouvant ces trois frères qui reçoivent des billets d’avion de leur famille pour retourner, l’espace d’un instant, vers un morceau de leur enfance.

Je connais ce besoin de revoir des lieux magiques.

A chaque fois que je passe par Pau pour rejoindre Luchon, je fais une halte pour manger dans une cafétéria de mon enfance, et je passe saluer les trois barres.

C’est un besoin.

Je passe devant mon école primaire, devant l’église juste en face, et devant les trois barres. Je ne m’arrête pas, je roule au ralenti. Je sais qu’il est inutile de m’arrêter, parce que je ne retrouverai rien ; l’enfance n’existe que dans ma tête. Mais j’ai tout de même besoin de regarder.

Cette trinité fraternelle qui pousse la porte de l’ascenseur m’émeut. L’un des trois hommes a fondu en larmes quelques minutes plus tôt, en découvrant un arbre, au bas de l’immeuble.

Il y avait aussi un arbre, au cœur de mes trois barres, un arbre que tout le monde aimait et qui s’est effondré une nuit de tempête. J’ai encore dans les yeux cet immense chêne allongé dans la pelouse un matin d’automne.

Les arbres sont des témoins presque invisibles qu’on ne remarque que lorsqu’ils tombent, ou plus tard, après une  longue absence et un retour.

Oran – La cité la Fontaine (crédit photo Ram Zy)

A bien y regarder, cette cité est le seul lieu, à Oran, qui réveille mon enfance. Tout le reste résonne avec je ne sais quoi de plus profond, des fantômes de l’avant 62, des malheurs et des souffrances, des injustices. Je n’y retrouve pas celui que je suis depuis toujours.

Ce sont les ancêtres en moi qui réclament le retour à la vie. Mais ce n’est pas moi.

Au contraire, la cité La Fontaine est un morceau de ma vie.

Les trois frères poussaient les mêmes portes d’ascenseurs, vivaient dans les mêmes appartements, et descendaient les même escaliers que moi, mais 20 ans plus tôt.

Il y avait près de la cheminée de l’usine thermique, dans les années 50, un morceau de cette France que j’ai connue dans les années 70.

Avec des différences, probablement, mais peut-être pas tant que ça.

Comme une enfance plus lointaine.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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