Il y a certaines phrases qui font peur.
« Ces oueds enfouis se réveillent subrepticement. »
C’est dans Oran la mémoire, mais première édition, acheté il y a longtemps sans savoir alors qu’il s’agissait du même livre que celui vendu actuellement.
Sauf qu’il ne s’agit pas tout à fait du même livre, la couverture est différente (voir l’article consacré il y a quelques mois aux deux livres pour davantage de précisions), et surtout, certains textes n’existent plus dans la seconde édition.
Notamment celui intitulé : « Oran, les secrets du sous-sol ».
Kouider Metaïr a bien fait de l’enlever, ce n’est pas le genre d’article qui donne envie de visiter Oran, on a l’impression que la ville peut s’effondrer à tout moment.
« Ces oueds se réveilleront-ils un jour ? Telle est la question que se posent tous les Oranais qui découvrent que leur ville est plate parce qu’on l’a voulu.«
Très belle phrase qui éclaire la vieille carte postale en haut à gauche, et permet de prendre conscience du côté totalement artificiel de la ville actuelle.
« Oued Rouina fait parler régulièrement de lui, et bruyamment, car les dégâts qu’on lui impute sont déjà considérables.
Il a rongé les immeubles du boulevard de l’Industrie, avalé le sol sous les pieds de l’Hôtel Martinez, dénivelé les chaussées des rues voisines et des allées du théâtre de verdure.
De temps en temps, à la suite de fortes précipitations, il arrache un morceau du sol, de Bab el Djiara, au pied des grands immeubles du boulevard de la Soumam ou des sœurs Benslimane.«
Si on regarde attentivement la carte, on remarque que Oued Rouina sépare le plateau de Kargentah (où se trouve le petit ravin de la Mina et la gare) du plateau sur lequel sont construits Château-Neuf (C.N.) et la place d’Armes (Foch).
Et on remarque surtout qu’il y a des ravins un peu partout. On en retient cinq la plupart du temps.
1 – Le Ravin de Raz el-Aïn
Il est le plus connu parce que c’est sur son flanc ouest que la ville s’est construite. Tout le quartier de la Marine s’y trouve, et un peu plus haut, contre la colline de Santa-Cruz, celui de la Calère.
Dans la deuxième moitié du XIX° siècle, le centre-ville se déplace vers l’Est pour s’installer au cœur du ravin, au niveau de la place Kléber, suivant une ligne qui peut s’étendre de la place des Quinconces à celle de la République, en passant par le boulevard Stalingrad. Le point zéro de la ville se trouve d’ailleurs place Kléber.
On peut considérer que le premier travail d’aplanissement de la ville commence ici, au niveau de la place Kleber, mais il est malgré tout difficile d’oublier qu’on se trouve au fond d’un ravin, puisqu’il faut descendre la rue de Gênes, la rue Philippe, ou la rampe Valès, pour accéder à cette partie de la ville.
C’est surtout au niveau du plateau de Kargentah, au début du XX° siècle, que les transformations seront les plus spectaculaires et que la ville se retrouvera artificiellement aplanie.
2 – Le ravin de l’Oued Rouina
Difficile de dire quand a commencé le comblement, mais on peut assez facilement le repérer à partir d’anciens plans et d’anciennes cartes postales très explicites.
Je laisse la place à Guy Montaner qui fournit quelques repères sur le site « Oran des années 50 » :
« Regardez bien cette carte, on s’aperçoit que la ville est en pleine évolution : rien ou presque autour du lycée, certains quartiers inexistants, certaines artères n’en parlons pas !
Maintenant regardez ce fameux Boulevard Gallieni, il démarre du Boulevard Séguin, passe devant le lycée, serpente le long du ravin de l’Aïn-Rouina, passe devant l’usine à gaz pour arriver à la plage !
Et pas n’importe laquelle : la Plaiyca del Nabo ! connue dans le monde entier ! Voilà pourquoi, pendant des années le nom de cette route a été : La route ou la rue de la Plage ! »
Eugène Cruck dans Oran et les témoins de son passé rappelle « l’horizon potager qui s’offrait alors au voyageur » :
« Les courges, les patates, les vignes, les laitues, y croissent par milliers dans des enclos de cannes et de figuiers de Barbarie que surmonte, en se balançant avec grâce, un magnifique bouquet de palmiers ».
3 – Le ravin de la Mina
Un peu plus à l’Est du ravin de l’Oued Rouina, le ravin de la Mina n’a jamais été véritablement comblé (me semble-t-il) par contre, il a fallu l’enjamber en 1957, lors de l’extension du Boulevard Front de mer.
Je ne sais pas s’il était possible de rejoindre le centre-ville par la Mina avant 62. Il restait tout de même une trace de ce ravin à travers deux rues qui plongeaient l’une vers l’autre : la rue de la Plage et la rue de la Mina.
La rue de la Mina est aujourd’hui devenue la rue Meknous, et rejoint la route du port en contre-bas par la rue Sahraoui, si je suis bien les indications du plan actuel.
4 – Le ravin de la Cressonnière
Il est sûrement le plus facile à repérer puisqu’il se trouve sous l’ancien square Lyautey et qu’un tunnel (parfaitement visible sur toutes les photos du Front de mer) a été construit pour rejoindre le centre-ville.
Il se trouve tout près de la vieille mosquée que le Bey d’Oran a fait construire à l’extérieur de la ville en 1792. J’en avais fait un article-vidéo il y a bien longtemps parce que je ne comprenais pas du tout cette photo datée de 1920. Comment expliquer qu’en 1920, aucun immeuble ne soit encore installé dans ce coin-là !! Mystère… (résolu depuis !)
5 – Le ravin Blanc
Très difficile à rater puisqu’il se trouve indiqué sur tous les plans, contrairement aux autres ravins, toujours recouverts par des noms de rues ou des pâtés de maisons.
Ce qui signifie d’ailleurs que ce ravin n’a pas été comblé, probablement parce qu’il était loin du centre-ville, et qu’on pouvait construire sans trop de problème de part et d’autre. En revanche, plusieurs ponts l’enjambent.
« Ces oueds enfouis se réveillent subrepticement » écrivaient Kouider Metaïr.
« Sur le talus du Front de mer, des écoulements de boue et des ruissellements d’eau incessants, perceptibles entre Mina et la Cressonnière, indiquent aux plus sceptiques que ces oueds travaillent dangereusement le sous-sol. »
Il est évident qu’une ville bâtie sur tant de ravins ne peut pas tenir debout des dizaines d’années sans un minimum d’entretien.
J’ose espérer que tout ne s’écroulera pas brutalement sous les yeux d’une Vierge qui tangue déjà pas mal sous l’effet des intempéries.
Pas très rassurant tout ça…
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)
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NB : Un article inquiétant du Quotidien d’Oran en date du 2 mars 2013