Angèle Maraval (photo extraite du livre de Kouider Metaïr Oran la Mémoire)

J’ai envoyé les photos du Jardin Othmania à mon père.

Retour de souvenirs :

« Quand j’allais à pied de St-Hubert à mon lycée Ardaillon, je longeais le long et haut mur de cette propriété toujours fermée, il y avait un grand portail que je n’ai jamais vu ouvert.

C’étaient des magnolias et des cyprès qui étaient le long du mur à l’intérieur. Cette propriété était un peu mystérieuse, je n’ai jamais su ce qu’il y avait à l’intérieur, je le découvre aujourd’hui avec tes photos.

Je marchais le long de ce large chemin qui bordait la route de la Sénia. C’est sur ce chemin que passait le bouyouyou, mais en 1956 disparu. Mme Maraval était une sommité du coin ; je crois qu’avec Sénéclauze on avait là les plus gros colons d’Oran. »

Une propriété forcément un peu mystérieuse puisque que les colons n’étaient pas très nombreux à Oran, la grande majorité de la population de l’époque étant constituée de fonctionnaires, de commerçants, ou de pêcheurs.

Une partie du Domaine de Ste-Eugénie (au 93 rue de la République à l’époque) est aujourd’hui devenue le Jardin Othmania, en face de St-Hubert.

Collection Roseline Mas – Emplacement approximatif du domaine de Sainte-Eugénie (modifié)
Délimitation approximative de l’ancien domaine de Ste-Eugénie (Google Earth modifié)

Trois sources sont là pour tenter de tracer un portrait de la Dame, mais je ne relèverai que certains points tout à fait subjectifs, histoire de rechercher une silhouette à partir de quelques traits saillants :

  1. Le texte de Geneviève de Ternant qu’on retrouve un peu partout et qui a été publié dans l’Écho de l’Oranie n°268 (mai-juin 2000)
  2. Le texte de Saddek Benkada publié dans le livre de Kouider Metaïr Oran la Mémoire.
  3. Et les quelques paragraphes de Alfred Salinas dans Oran la Joyeuse

On navigue dans la haute aristocratie (comme les Saint Laurent), avec là aussi des familles très anciennes et très nobles, qui ont perdu beaucoup de leurs richesses après 1789.

La mère d’Angèle Maraval « Cécile Las Nier des Barres Labuxière, descendait d’une vieille famille aristocratique de la Creuse, que les Révolutions de 1789 et de 1830 avaient ruinée, et dont la plupart des membres s’honoraient de l’amitié des enfants du roi Louis-Philippe. » (Oran la Joyeuse)

Jardin Othmania – Oran, ancien domaine de Sainte-Eugénie (Crédit photo : Moussa Berkane)

Le père d’Angèle Maraval « Jean-Louis-Joseph Berthoin, parti tout jeune de Grenoble, son pays natal, pour Marseille, s’était élevé, au sein des usines Bérard, de simple ouvrier à fondé de pouvoir, et enfin, associé.

Enrôlé volontaire dans l’Armée d’Afrique, il devint armateur, exportateur, colon. » (Geneviève de Ternant).

Elle en écrira un livre, « Le Drac », publié en 1959, et qui « retrace l’histoire de ce père qui émigra de son Dauphiné natal pour rejoindre l’Algérie en 1831. » (Alfred Salinas)

Angèle Maraval-Berthoin est donc le fruit de la Révolution Française, rencontre improbable (un siècle plus tôt) entre une vieille famille noble ruinée et un ouvrier devenu colon, celui-ci apportant la richesse et celle-ci les titres.

La haute aristocratie peut ainsi continuer à organiser des œuvres de bienfaisance pour les pauvres et des salons littéraires pour les riches.

Fête à la Goutte de lait d’Oran (source afn)

Angèle Maraval-Berthoin et les œuvres caritatives

En terme de bienfaisance, Angèle Maraval-Berthoin est semble-t-il surtout connue pour son aide à la Croix-Rouge et à la Goutte de lait.

Je n’ai pas réussi à trouver le lieu de cette Goutte de lait à Oran même si la photo que j’ai mise à la place vaut son pesant d’or. En pleine fête, on peut compter les visages épanouis sur les doigts d’une main.

Caïda Halima (source : Kouider Metaïr, Oran la mémoire)

Du point de vue caritatif, Angèle Maraval était d’ailleurs en relation avec Caïda Halima (dont j’ai déjà parlé par ailleurs) elle-même en relation avec le Dr Jules Abadie qui était son médecin personnel et son confident

« Délégué régional de la Croix Rouge Française, il animait une œuvre pour la protection de l’enfance. Sa femme, d’origine russe, médecin elle aussi, s’occupait de l’assistance médicale des femmes musulmanes. » (Saddek Benkada dans Oran la Mémoire)

On peut lire davantage de détails sur les relations d’Angèle Maraval avec Caïda Halima dans Oran la Mémoire :

« Angèle Maraval-Berthoin entretenait des relations assez suivies avec quelques notabilités musulmanes en vue. Parmi ses connaissances musulmanes, celle qu’on considérait comme représentante de la société féminine oranaise à l’époque : Mme la Bachagha Halima Ould Cadi, dite Caïda Halima.

Les deux femmes partageaient le même intérêt pour les œuvres caritatives et d’assistance médicale en faveur des plus démunis.

Caïda Halima et sa fille, Setti Ould Cadi, contribuaient financièrement et par des dons en nature aux oeuvres caritatives que patronnait Angèle Maraval-Berthoin, telles que la très populaire association La Goutte de Lait et le comité local de la Croix Rouge Française. » (toujours sous la plume de Saddek Benkada dans Oran la mémoire)

Il est probable que Setti Ould Cadi ne soit plus très coopérative par la suite, puisqu’elle combat aux côtés du FLN et se fait même arrêter en 1957, après le démantèlement de son réseau.

Mais dans les années 20, la haute société d’Oran est assez mêlée, et Angèle Maraval tient une place de choix dans le jeu caritatif.

Les fêtes au Domaine de Sainte-Eugénie et les Lettres

Du côté de Sainte-Eugénie, le haut mur à côté duquel mon père marche en se rendant à son lycée le sépare des « promenades, bals, et fêtes, qui s’y déroulaient régulièrement ».

Un chroniqueur mondain rapporte à l’époque sous le titre « Une fête arabe à Sainte-Eugénie » :

« Grande dame, délicieuse en robe blanche sur laquelle flottaient les ailes d’une cape noire, son beau et intelligent visage encadré d’une capeline de banckok fleurie d’orchidées blanches, Mme Maraval-Berthoin recevait ses hôtes avec sa grâce innée. L’orchestre morisque égrenait ses mélopées, sous la direction de Saoud Médioni […] Le ténor Moulay Ali chantait de sa voix grave et orante et les roses s’effeuillaient d’amour. La danseuse Yamina dansait et les jasmin s’étiraient de désir. »

École Maraval – Remise de prix

C’est une autre époque, une autre écriture, très lyrique. De moins en moins en phase avec son temps : on fait de belles phrases avec de belles images.

Ça tient encore debout dans les années 20 ; Proust essaie de publier, il est refusé par Gide lui-même.

Mais Céline fait tout exploser en 1932 avec une langue écrite-parlée (Voyage au bout de la nuit) : la guerre 14-18 est passée par là, il n’est plus possible de faire des ronds de jambes devant les gueules cassées. Après les horreurs de 39-45 n’en parlons même pas.

Les virtuosités littéraires sont considérées comme déplacées, mais surtout, peu efficaces pour dépeindre un monde qui n’a plus rien de séduisant, ni du côté romantique, ni du côté dramatique. Un monde très brut. Donc il s’agit de faire sobre, et si possible, de changer d’écriture.

Angèle Maraval restera toujours dans le classique.

« Pour toutes ses actions en faveur des arts et des lettres et pour son activité littéraire, elle est promue en 1937, Chevalier, puis élevée, quelques années plus tard, au rang d’Officier de la Légion d’Honneur. » (Saddek Benkada dans Oran la mémoire).

Sa bibliographie se trouve à la fin de l’article de Geneviève de Ternant. Il n’est pas évident de trouver ses livres puisqu’ils ne semblent pas réédités, mais on peut en trouver d’occasion sur le Net, deci delà.

Le Sahara

Il y a pourtant une modernité de la femme Angèle Maraval.

Une modernité qui permet de l’extraire d’une place apparemment épousée avec bonheur (celle de la « dame du monde », amoureuse des Lettres et du Caritatif, et attachée à sa haute lignée maternelle) pour l’envoyer naviguer au-dessus du Sahara, bravant les interdits d’une époque peu encline à ce genre de fantaisies féminines, juste pour le frisson du plaisir.

Vouloir offrir des sensations extrêmes à son corps, pour le plaisir, est une idée moderne (profondément égoïste – au bon sens du terme, prendre soin de soi -) qui s’oppose au bonheur un peu trop idéal et parfois suspect du « prendre soin des pauvres ».

Je laisserai le mot de la fin à Geneviève de Ternant :

« Souvent, je me rendais à Sainte-Eugénie, Je lui faisais la lecture et l’écoutais parler littérature et poésie. Elle aimait à rappeler qu’elle fut la première femme à survoler le Sahara en avion. »

Moi qui n’ai pas survolé grand-chose, et qui n’aime pas beaucoup les avions, je me rappellerai certainement cet exploit.

Et je tire mon chapeau à l’aviatrice.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

*

NB1 : La très belle galerie de photos du Jardin Othmania par Moussa Berkane



 

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