Se procurer le livre de Gilles Clément : le Jardin en mouvement

Gilles Clément a fait un passage à Oran.

Dans les années 50 et en 2011.

En 1950, le père négociant en vins installe sa petite famille en Algérie. Lors d’un retour dans la métropole pour Noël, le petit Gilles Clément, âgé de 9 ans, est oublié à Oran par ses parents.

«J’ai pris le car puis le bateau seul jusqu’à Marseille. On avait tendu des bâches à travers le pont. Je trouvais la tempête belle. J’ai failli me faire emporter par une lame mais une main m’a rattrapé par le col» (Libération – Entretien du 22 novembre 1997)

Ça n’a pas eu l’air de beaucoup le stresser.

J’imagine mal un petit enfant de neuf ans, seul à Oran, prenant le bus puis le bateau pour rejoindre à Marseille ses parents qui l’ont oublié. On ne mettrait pas ça dans un scénario tellement l’histoire navigue dans le bancal. On dirait un mauvais téléfilm.

C’est pourtant ce qui est arrivé à Gilles Clément en 1952.

Depuis, le petit garçon a fait du chemin, et le voilà aujourd’hui conférencier aux quatre coins du monde, en train d’expliquer que la meilleure chose à faire si on veut commencer un jardin est de ne rien faire du tout pendant un an, histoire de voir comment les espèces végétales vont se répartir dans l’espace, au cours du temps.

Il développe par exemple des concepts comme celui de Tiers-Paysage :

« La somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. Il concerne les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes, tourbières, mais aussi les bords de route, rives, talus de voies ferrées, etc. » (site officiel de Gilles Clément)

On comprendra dans quelle mesure ce genre  de concept s’applique à Oran.

Il est donc passé en 2011 pour visiter la ville en compagnie des jeunes de Bel Horizon, et s’est arrêté ensuite à l’Institut Français pour faire une conférence sur ce qu’il avait vu d’intéressant à Oran, en terme de « Jardin en mouvement ».

Promenade de Létang – A la recherche de quelques « bonnes » mauvaises herbes (crédit photo Bel Horizon)

Pas évident à expliquer.

On a l’habitude d’imaginer les jardins publics comme des espaces extrêmement maîtrisés (l’exemple le plus évident étant celui des jardins de Versailles) or ces espaces maîtrisés ne montrent rien du mouvement de la nature elle-même, et des relations que les plantes entretiennent avec l’espace, ou les unes avec les autres.

Tout y est déjà conçu par avance, on va surtout passer son temps à jouer du sécateur, pour s’assurer qu’aucune herbe ne dépasse du lot. Or, il faudrait plutôt retravailler le jardin de manière à montrer comment les plantes s’approprient l’espace dans le temps, le long des saisons, voire des années.

Heureusement pour moi, Gilles Clément a trouvé un exemple tout à fait remarquable pour illustrer, à Oran, cette histoire de jardin en mouvement.

C’est Toufik qui raconte :

« Mais, le clou du spectacle, et il en a parlé dans sa conférence, c’est lors de la balade sur le front de mer. Il est resté bouche bée en regardant le talus, en contrebas du front de mer (plus haut que la route du port) stupéfait de voir ces palmiers d’une taille remarquable. Une beauté inouïe selon lui, toujours en lien avec l’idée qu’il développe, celle de paysage en mouvement.

Oran – La palmeraie du Front de mer, en contrebas de la Promenade. (Crédit photographie blog aghaladh)

En effet, les palmiers du front de mer ont grandi, les graines ont été balancées au fil des décennies, envolées avec le vent, et ont germé sur le talus en contrebas ; comme un palmier a besoin de beaucoup d’eau, les « orifices » d’évacuation d’eau ont permis d’entretenir les graines qui sont devenues des palmiers, actuellement plus ou moins grands, et ça a donné « la palmeraie du front de mer ».

Donc un jardin en mouvement s’appliquerait surtout à souligner le lien qui existe entre les palmiers du front de mer et ceux qui ont poussé en contrebas. Il s’agirait de mettre en valeur ce qui, actuellement, est de l’ordre du Tiers-Paysage – cette bande de palmiers qui pousse « n’importe comment » si on suit la logique classique des « espaces verts urbains » – pour révéler au contraire le « mouvement de la nature » qui s’étend depuis la promenade du front de mer jusqu’au talus en contrebas.

On aura ainsi plutôt tendance à tondre autour des « mauvaises herbes » pour bien les mettre en évidence, et tenter de montrer le lien qu’elles entretiennent avec les plantes avoisinantes, pour fabriquer peu à peu un « jardin en mouvement », c’est à dire un jardin dans lequel est perçu le mouvement des influences naturelles.

Donc le jardinier ne touche à rien pendant un an et s’applique surtout à bien saisir les relations des plantes entre elles à l’intérieur de son jardin. Il sera bien temps par la suite de commencer à sortir les sécateurs et les tondeuses pour nettoyer l’espace autour des herbes folles. C’est le monde à l’envers mais c’est passionnant.

C’est ainsi que pour la Promenade de Létang, Gilles Clément ne voit pas un « jardin enclavé à multiples essences mais délaissé » (notre vision actuelle) mais un vrai jardin en mouvement dont on pourrait faire une promenade et un belvédère. Comme l’espace a été délaissé durant de nombreuses années, les herbes folles s’en donnent à cœur joie, il suffirait juste de tondre autour pour mettre en évidence les mouvements naturels et créer un jardin d’une grande modernité.

Promenade de Létang – Discussion sur le « jardin en mouvement » autour de Gilles Clément. (crédit photo Bel Horizon)

Si du côté de la Promenade de Létang, la tendance actuelle est de la laisser vivre sa vie, il semblerait en revanche que les choses soient prises en main du côté de la Marine puisqu’un « Observatoire de l’environnement et du développement durable » devrait y être créé dans les années à venir.

« Ledit observatoire sera installé au niveau de l’ex-hôpital Baudens. Il faut dire que le choix du site est plus que judicieux. En tout cas bien plus sage que le projet de musée marin dans l’ancienne préfecture située place Kléber.

Quoiqu’il ait plus d’un atout à faire valoir, l’hôpital Baudens construit vers 1856 par l’armée coloniale n’a pas fait l’objet d’une quelconque procédure de classement. Il s’agit en réalité d’un ensemble de quatre bâtiments bâtis sur quatre étages autour d’un jardin intérieur.

Le bâtiment situé sur le côté oriental est prolongé au nord et fait carrément le double des autres bâtisses. Il domine un magnifique jardin en pente ou trônent entre autres trois superbes dracaenas des Canaries.

Le bâtiment nord mitoyen se trouve doté d’une superbe galerie en arcades qui donne sur le jardin en pente avec pour arrière-plan le bleu de la Méditerranée.

Hôpital Baudens à Oran – Marine Haute, quartier St-Louis – Crédit photo marinettes-et-rochambelles.com

[…] L’immensité des bâtiments pourrait contenir une multitude de bureaux voire même des laboratoires et peut-être bien des conservatoires de la faune et de la flore méditerranéenne.

Le projet proposé par Cherif Rahmani prévoit aussi que l’observatoire soit au cœur d’un jardin méditerranéen étalé sur quelques 40 ha. Ainsi donc le Jardin Welsford, situé juste au-dessus de la Calère pourrait bien renaître. La quarantaine d’hectares prévue englobe l’ensemble de la Calère, et certainement une partie du Murdjadjo. » (source Djazairess.com)

40 ha, ça fait quand même un rectangle de 400 m sur 1000 m, et s’il doit englober le jardin Welsford, c’est que la surface englobera aussi le désastre de la Marine basse.

Mon coeur a bondi.

Faire totalement disparaître ce quartier ancestral ! Ne plus voir la trace du matelot Landini ou de la place Émerat. Ne plus voir le petit morceau de Calère encore accroché sur les flancs rouges du Murdjajo. Ne plus pouvoir reconstruire le passé.

Inimaginable pour moi, alors pour les Anciens…

Et puis j’ai repris mes esprits.

Et je me suis dit qu’à partir du moment où ce quartier de patios avait entièrement disparu, le moins pire qu’il puisse lui arriver désormais, était d’être transformé en jardin en mouvement, sous l’influence d’un petit enfant oublié chez lui dans les années 50, tandis que ses parents s’éloignaient doucement vers la ville de Marseille.

Un souvenir de toutes les enfances perdues.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

*

Ci-dessous une interview de Gilles Clément réalisée par Sam Network

*

Un exemple de Jardin en mouvement : Le Parc André Citroën, Paris 15ème (Crédit photo site officiel de Gilles Clément – Images en Copyleft)



 

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *