Oran 2012 – Photo Trance Atb Diesel

Jean-Marc L. : « de nombreux pieds-noirs tentent d’exprimer leur déracinement, d’en évacuer les souffrances par l’écriture (…). L’oeuvre individuelle naît alors du désir de dire, de libérer, de transmettre et de guérir… Avant d’arriver en France, j’étais journaliste mais je n’avais jamais écrit de roman.

C’est en montant sur le bateau qui nous a éloignés de l’Algérie que je me suis promis d’écrire des livres, d’abord pour faire vivre ma famille, ensuite pour raconter ce que nous vivions.

Raconter notre histoire m’a permis en quelques sortes d’expulser ce nœud qu’il y avait en moi depuis le départ. Il fallait que je mette sur le papier les horreurs que nous avions vécues »

Je ne sais plus très bien comment je suis tombé sur ce document.

C’est dans une thèse de 566 pages soutenue le 12 décembre 2007 par Marie Muyl à l’Université de Paris I – Panthéon Sorbonne, et qui s’intitule « Les Français d’Algérie : socio-histoire d’une identité. »

Je me demandais à quelle sauce l’identité allait être mangée. Elle n’a pas été mangée.

J’ai survolé 1830-1962 pour filer directement à l’après 62, parce que, miracle, on parlait de moi. On disait que les enfants de pieds-noirs avaient peut-être un rapport avec cette histoire. Pas forcément beaucoup de lignes, mais quelques-unes, par-ci par-là, de temps en temps.

Clarisse Buono, enfant de pieds-noirs et auteur d’un livre que je n’ai pas lu, Pieds-noirs de père en fils, écrit par exemple :

« Peu importe (…) d’avoir vécu en Algérie, d’avoir été rapatrié, ou bien même d’être né en Algérie pour posséder les cartes de l’histoire parallèle pied-noir. Etre descendants permet en quelque sorte d’avoir été le « témoin direct » des événements, et, de ce fait, de contrer en toute légitimité l’histoire officielle. »

C’est une parole que les pieds-noirs n’accepteront jamais venant d’un enfant de pieds-noirs.

Donc je ne la prononce jamais parce qu’aucun pieds-noirs ne considère son enfant comme portant légitimement la parole pieds-noirs. A part mon père, peut-être, qui estime qu’on va bientôt pouvoir m’appeler « l’oranais ». Ça m’a touché.

Mais c’est mon père et je ne suis pas dupe.

Pour le reste de la communauté, enfant de pieds-noirs je suis, enfant de pieds-noirs je reste. Ça ne me pose aucun problème d’ailleurs, parce que je n’ai pas pour ambition de faire la révolution, mais seulement de mieux connaître Oran.

Jean-Félix Vallat est un pieds-noirs qui a vécu des choses horribles durant la guerre. Il intervient lui aussi dans le texte de Marie Muyl :

« A la limite, même les enfants comme vous, qui sont nés de parents rapatriés, qui sont nés en France. Ils font partie de la communauté rapatriée. Ce sont les descendants de la communauté rapatriée. »

A la limite… C’est bien de l’avoir franchie. Je fais donc partie de la communauté des rapatriés et c’est exprimé par un rapatrié qui a souffert. Donc ça a plus de valeur que la parole de Clarisse Buono.

Mais à quelle condition fais-je partie de cette communauté ?

Interview de Clarisse Buono en trois questions dans l’express du 8 novembre 2004 : « On m’a très souvent demandé si je comptais « réhabiliter » la communauté [pieds-noirs]. Comme ce n’était pas mon but, beaucoup de portes se sont fermées. » Voilà pour les enfants qui auraient la folle idée de vouloir intégrer la communauté.

Je n’épiloguerai pas.

Je connais peu de personnes qui ne soient pas dans cette logique. Je les salue.

Je peux recueillir la parole pieds-noirs, faire en sorte qu’elle ne se perde pas, peut-être même lui donner une certaine saveur si je suis dans un bon jour, mais je ne peux pas épouser sa cause les yeux fermés. Il faudrait pour cela oublier qui je suis.

Il faudrait oublier que je suis né en France, et que l’Éducation Nationale m’a nourri au biberon de l’esprit critique voltairien, avant même de m’enseigner l’Histoire.

Mais les pieds-noirs n’ont pas confiance dans l’esprit critique de leur progéniture. Probablement parce qu’ils ne croient plus en la France depuis longtemps et qu’ils ne pensent pas leurs enfants capables de faire la part des choses.

C’est dommage. On est dans l’impasse.

Il ne faut pas chercher plus loin les problèmes de transmission : à partir du moment où des parents considèrent que leurs enfants ne peuvent pas les comprendre, qu’ils ont été élevés par un pays en qui on ne peut plus faire confiance, je ne vois pas comment ces enfants pourraient transmettre quoi que ce soit.

Ma mère, oranaise de naissance, n’aimait pas beaucoup la société française de l’Algérie. « Mon petit, le pays était beau, mais les gens étaient bêtes, en Algérie. »

Je ne suis pas d’accord avec cette phrase, mais il était important qu’elle soit prononcée parce que j’aurais peut-être pu croire, dans un grand élan de naïveté, que l’Algérie française était le plus beau pays du monde.

Et si je n’avais pas eu un peu d’esprit critique, je n’aurais pas pu reconnaître non plus, dans cette phrase, la marque d’une grande souffrance.

Ma mère était malade de l’Algérie française. Et peut-être bien de la guerre aussi. Je ne saurai jamais.

Ce n’est pas pour autant que j’ai pris sa parole excessive pour argent comptant ; je me suis rapproché de la communauté pieds-noirs pour me mettre à l’écoute.

Les enfants de pieds-noirs peuvent réfléchir. Ils peuvent aussi écouter. Et peut-être même comprendre certaines choses.

Après, il faut accepter de ne pas être sur la même longueur d’onde, de ne pas détenir la vérité. Et ça, c’est drôlement compliqué.

D’un côté comme de l’autre.

Mme T. raconte :

« Ma fille voudrait que je l’écrive… parce que souvent, je raconte des choses, des histoires de famille… que je vous ai pas tout raconté. Je vous ai raconté les anciennes, mais peut-être le détail profond de certaines choses, je ne vous ai pas tout raconté dans la vie…

eh bien, quand je raconte des choses… mais, machinalement, si vous voulez, ça vient… je raconte des choses… et puis, je n’ai pas fait exprès de le raconter, et puis ça vient, je le raconte… « oh… », elle me dit chaque fois « mais c’est des histoires que tu dois écrire ».

Et j’avais commencé à écrire quelque chose. J’avais commencé à écrire, et je ne retrouve pas ces feuilles… alors ma fille me dit toujours… et même mon petit fils me dit « tu as continué à écrire ». Je lui dis « écoute, je me suis arrêtée en route, et j’ai perdu les deux feuilles recto verso que j’avais écrit…

et vous savez, dans mon enfance… je raconte des détails de mon enfance où j’ai été malheureuse. Je raconte des choses sur ces deux feuilles. Mais, il y en a tellement à raconter… tellement, tellement… ma fille dit « tu peux faire un livre. C’est un roman ta vie »… elle a raison… c’est vrai »

Robert L. : « Peut-être qu’un jour j’écrirai un bouquin pour mes enfants. Mais, il faut que je me dépêche… il n’y a que pour eux que je pourrais avoir envie d’écrire… parce que ça m’embête un petit peu… et puis comme on s’est beaucoup ratés dans la communication avec mes enfants, ce petit machin me dérange. Il est important pour moi… »

René M. : « Même mes enfants au début… à la fois ils me disaient « mais tu devrais écrire, parce que jamais au lycée on nous a raconté quoi que ce soit de tout ce que tu nous dis »

Jean-Pierre F. : « De temps en temps je me mets à écrire et je ne dis pas qu’un jour je, si j’y arrive, je… d’ailleurs, ça m’intéressera le travail que vous faites, j’ai commencé à écrire, faire quelque chose qui soit complètement autour de ce que j’ai lu, j’ai lu pas mal de littérature sur le sujet, mais sans nostalgie, je ne suis pas froid mais très réaliste par rapport aux choses et ce dont j’aimerais témoigner c’est que, finalement, le petit gamin que j’étais pendant 10 ans là bas était très dur (…)

l’Algérie que j’ai racontée dans le livre, c’est l’Algérie de mon enfance, de mes 10 ans et l’idée que j’ai creusée, j’ai écrit un premier manuscrit de 150 pages, je me suis fait voler le manuscrit il y a 7 ans en Espagne dans la voiture, je n’avais pas d’ordinateur à l’époque, ça m’a mis dans une colère monumentale et je m’y suis remis. »

 

Mais le non-dit de la transmission se trouve surtout là, dans le « petit machin qui dérange », et qui passe fugitivement dans le commentaire de Robert L.

« …et puis comme on s’est beaucoup ratés dans la communication avec mes enfants… »

Pourquoi ?

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

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