La photo du virage de Mers el-Kebir est emblématique.
Ce virage s’appelait (s’appelle toujours ?) l’escargot.
Et j’ai toujours trouvé qu’il y avait un problème avec cet escargot : aucune photo d’époque n’a l’aspect d’un escargot.
Je sais où est sensé se trouver cet escargot (à la sortie de Mers el-Kebir), mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y a guère qu’un virage un peu serré.
Si vraiment il s’agit juste d’un virage un peu serré, l’appellation d’escargot (qui indique plutôt un enroulement sur soi-même) ne se justifie pas.
La photo que j’ai mise en haut à gauche est tirée de Google Earth et date du 14 avril 2009.
Elle montre la trace très nette d’un véritable escargot. Un ancienne route vraiment tortueuse. Elle est aussi visible sur la photo d’époque du site des HLM de Gambetta.
Et quand on regarde le tracé de la route actuelle, on se demande ce qui a pris aux anciens de fabriquer une route aussi tordue. Que se passe-t-il à cet endroit-là pour qu’on éprouve le besoin de construire un double virage aussi serré ?
Je n’en ai aucune idée.
J’en déduis par contre (mais peut-être à tort, il faudra m’éclairer sur ce point) que le nom même d’escargot de Mers el-Kebir était là bien avant les années 50, et qu’à cette époque (celle de mes parents) cette dénomination n’avait déjà plus lieu d’être, et se trouvait être la trace d’une ancienne route.
Il y a parfois des dénominations qui nous tombent sur la tête et qui évoquent des lieux disparus.
Une grande surprise pour moi fut la circulation subite de ma chronique « Jeanne au bain » il y a deux jours sur Facebook. Certaines personnes se sont mises à la partager pour s’étonner de l’existence, à cet endroit, des vieux « Bains de la Reine. »
C’est sûr que c’est encore pire que l’escargot de Mers el-Kebir. Le lieu n’existe plus, même sous la forme d’une trace. On est passé dans le légendaire.
Parfois, c’est l’inverse qui se produit : un lieu est là, devant tout le monde, énorme, et porte une dénomination que personne ne connaît, pas même Google : La Brèche de l’Émir.
Et on se demande d’où ça sort. Mais comme le nom est donné par une source fiable, on l’accepte, et on finit par l’utiliser dans sa tête, comme ça, tout seul dans son coin.
« Oran, à l’approche par air, terre ou mer, c’était d’abord la silhouette familière du Murdjadjo, comme un paraphe formé par la ligne de crête du Plateau de Bel-Horizon, du Marabout de Sidi-El-Kader, de la « Brèche de l’Émir », du Fort, de la Basilique et enfin de l’aplomb de la montagne sur les Vieux-Quartiers et la mer. » (Serge Durrieux – Oran, c’était d’abord Santa-Cruz – 1983)
Et puis il y a Wahran.
Derrière lequel on met ce qu’on veut. Des lions ou d’autres choses.
Un linguiste de Mostaganem en parle longuement sur cette page pieds-noirs. Et c’est la guerre qui continue, une guerre commencée bien avant 1954 ou 1830.
Les romains l’ont peut-être lancée.
Ça me rappelle une célèbre phrase de Clausewitz, grand théoricien de la guerre : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. »
Un nom porte toujours plus que l’objet qu’il désigne.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)