Kamel Daoud n’est pas nègre mais chroniqueur au Quotidien d’Oran (un texte qui date du 27 août 2012. Je précise. Parce que de l’eau a coulé sous les ponts en terme de notoriété pour l’auteur…)

Un chroniqueur apprécié des Algériens. Beaucoup n’achètent le journal que pour sa chronique.

On m’a très vite fait part de son existence quand j’ai commencé à discuter sur Facebook. Et comme il intervient aussi sur Slate Afrique et sur Algérie focus, je l’ai parfois lu.

Samedi, en passant dans une librairie pour voir quelles étaient les fausses nouveautés de la rentrée littéraire 2012, je suis tombé sur Le Minotaure 504.

Le Minotaure 504 est un recueil de nouvelles publié en 2011 – donc je suis en décalage d’un an – mais ce n’est pas bien grave parce que les quatre nouvelles auraient pu être écrites il y a cinq ans.

Il y est surtout question de la manière dont les Algériens se sont fait voler leur révolution. On en aura un bref aperçu critique sur la page du Magazine Littéraire en date du 10 juin 2011. Mais ce n’est pas de ça dont je veux parler ici. Et ce n’est pas ce qui m’a sauté aux yeux.

La place du nègre

La dernière des quatre nouvelles s’appelle : la préface du nègre

Pour éviter tout malentendu (bien que l’ambiguïté soit calculée), je précise qu’un « nègre » est une personne qui écrit des livres, des discours ou des lettres à la place d’une autre personne et travaille dans l’ombre, dans le noir, sans visibilité publique.

Le nègre est payé pour ça.

La dernière nouvelle, « La préface du nègre », montre un vieil homme analphabète qui convoque un jeune écrivain pour lui dicter ses glorieux souvenirs qui ont figé l’histoire de son pays. Le scribe ne supporte pas cette autohagiographie et la trahit : «En sept ans de guerre, emprisonné, torturé, puis libéré par les siens, il en devint admirable mais fade comme un chiffre dans un poème.» (Magazine Littéraire)

Voilà qui est intéressant : Le scribe ne supporte pas cette autohagiographie et la trahit.

Les jeunes scribes (nègres ?) sont toujours confrontés aux hagiographies des plus anciens. Et je crois qu’on peut vraiment élargir cette observation au-delà de la frontière algérienne. Comment transmettre la parole des anciens sans y perdre son âme ? Si c’est pour reproduire le même discours, un magnétophone suffira. Si c’est pour le trahir, à quoi bon ?

C’est compliqué côté algérien et ce n’est pas mieux côté pieds-noirs.

Salinas l’avait très bien expliqué dans l’avant-propos de son livre. J’en avais fait un article. Je reprends ici la partie qui concerne les Oranais même si tout le monde ne sera pas d’accord. Je rappelle que ce n’est que l’avis de Salinas (et le mien, mais je ne suis rien) :

« Les Pieds-noirs, et en particulier ceux d’Oran, donnent l’impression d’être sur la défensive lorsqu’ils explorent leur mémoire. S’estimant maltraités par médias et historiens, ils cherchent une parade, se mettent à raisonner en termes de bilan socio-économique, détaillent l’œuvre que leurs aïeux et eux-mêmes ont accompli pendant 132 ans sous l’empire des lois françaises, se glissant dans la peau de n’importe quel mandataire qui à la fin de son exercice rend compte à ses mandants de ce qu’il a fait de bien et de durable au cours de son mandat.

Les chiffres abondent, précis et sentencieux, de nature incontestables et incontestés : on a construit tant de routes, tant de villages, tant d’écoles, tant d’hôpitaux, tant de barrages hydrauliques, on a défriché tant d’hectares, récolté tant de tonnes de céréales, planté tant d’arbres, des pins d’Alep et des clémentiniers, des chênes et des vignes, on a créé tant d’emplois, tant d’usines, tant de commerces, on a fait ceci, on a fait cela, avant nous il n’y avait rien, sans nous il n’y aurait rien, seulement de la poussière et le désert à perte de vue… « 

J’avais rajouté « La communauté Pieds-Noirs souffre d’un tel manque de reconnaissance qu’elle en arrive toujours à formuler un discours d’auto-justification excessif qui la discrédite. C’est l’écueil. »

Je continue à le penser.

Et en même temps, comment faire pour ne pas tomber dans le discours qui diabolise la présence française en Algérie  ?

La place des enfants de Pieds-Noirs

Jean-Jacques Jordi dit tout ça merveilleusement bien dans un entretien avec le journal La Croix que j’ai mis en ligne hier.

« …toute une série de pratiques quotidiennes s’est transmise, comme le barbecue et la kémia. Mais cette transmission a pu être conflictuelle pour des enfants scolarisés en France, qui ont été ballottés entre ce qu’ils ont appris à l’école de la guerre d’Algérie et de la présence française en Algérie et ce que leur en disaient leurs parents. D’un côté, on diabolise ; de l’autre, on magnifie. 

[…] Mais la grande majorité, même si elle a conscience que ses parents ont souffert, a d’abord envie d’en savoir plus et de sortir du manichéisme. On s’en aperçoit dans les bibliothèques. Chez des parents, on trouve des livres de mémoire et de photos. Chez les plus jeunes, des livres d’histoire. Ce qu’ils veulent, c’est comprendre. Avec le recul et la distance, les discussions sont plus apaisées dans les familles.« 

Le meilleur livre que je connaisse en terme de réflexion sur la génération qui n’a pas connu la guerre ni l’exode de 1962, c’est-à-dire ma génération, celle née après 1962.

Ce qu’explique ensuite Jordi, c’est que certains enfants de Pieds-Noirs commencent à regarder l’avant 1830 pour inscrire la période coloniale dans une histoire plus longue. Ce que j’ai fait par exemple en parlant du mythe des 5000 pour ce qui me concerne.

Je ne savais pas que « de plus en plus de pèlerinages, dans telle ville d’Alsace ou d’Espagne, [étaient] organisés par des associations qui jouent leur rôle en faisant comprendre aux gens que l’Algérie a été une étape. Ce n’est plus la terre mythique.« 

Elle restera forcément mythique pour les Pieds-Noirs puisqu’ils sont nés là-bas et que l’enfance est terre de mythe.

Mais pour certains enfants de Pieds-Noirs qui ne peuvent pas s’approprier le mythe, il y a la voie de remonter plus loin, aussi bien dans l’histoire d’Oran que dans l’histoire des Catalans, des Valenciens ou des Lorrains, puisque j’arrive de là.

Le pied-nègre (mais pas tous… je ne veux surtout pas généraliser mon cas) trahit en remontant plus loin que l’origine de ses parents.

Le mythe est fondateur. Si on remonte plus loin que le mythe, le mythe s’effondre et s’intercale dans une histoire : l’histoire des Espagnols qui migrent en Algérie puis qui reviennent, des Italiens qui migrent en Algérie puis qui reviennent, des Français qui migrent en Algérie puis qui reviennent.

Kouider Metaïr, Président de l’association Bel Horizon : « Oran la Berbère. Oran la Juive. Oran l’Espagnole. Oran l’Arabe. Oran la Française. Oran est tout cela. »

Apparemment, les Algériens se posent aussi quelques questions.

Comment dépasser le mythe pour ne pas être qu’un nègre ?

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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