« Prière de redemander l’ordonnance au pharmacien » – Et ne surtout pas oublier l’aspirine.

C’est dans le livre de Alfred Salinas que j’ai rapidement aperçu un paragraphe sur le millénaire d’Oran en 1902.

« En 1902, par un beau dimanche d’avril, la célébration du millénaire de la ville tenta d’aller au-delà des trajectoires individuelles.

Elle voulut  mettre en évidence non seulement la passion qui unissait les diverses communautés, mais également ce sentiment d’appartenir à une même histoire et à un même collectif, l’impression de faire partie d’un même destin et d’une même dynamique.

Personne ne fut exclu des festivités commémoratives. Un cortège des chars fleuris transportant des jeunes filles tout de blanc vêtues sillonna les principales artères devant une foule bigarrée et admirative. Les chars représentaient l’arrivée en 902 des Pères fondateurs sur leurs navires.

A travers cette mise en scène, les organisateurs de l’époque semblaient faire l’analogie avec ce qui s’était passé aux Amériques au XVII° siècle lorsqu’une centaine d’immigrants européens débarquèrent en 1620 du navire anglais « Le Mayflower » pour s’installer sur la terre du Nouveau Monde.

Mais il y avait aussi, accompagnant les chars, des troupes de cavaliers arabes sanglés dans des tenues traditionnelles du plus bel effet, tandis qu’un orchestre de bédouins tambourinait au beau milieu d’un défilé. »

J’aime beaucoup Salinas.

Il touche très vite le coeur des festivités là où d’autres vont se laisser impressionner par les batailles de fleurs et de confetti, les cavalcades historiques ou les fêtes vénitiennes dans le port. (voir le programme des fêtes ci-contre)

Le Mayflower.

Les pionniers américains

Evidemment, les organisateurs savent ce qu’ils font : ils consolident le mythe pionnier et l’ancre bien fort dans toutes les têtes.

Il ne faut pas trop s’étonner si les Américains d’aujourd’hui sont les seuls à s’intéresser de près et sérieusement au monde pieds-noirs, les deux groupes ont tout bâti sur l’idée qu’ils étaient des pionniers.

De par le mythe historique qu’ils se sont construits et qu’ils se transmettent consciencieusement de génération en génération, les Américains sont persuadés d’être des aventuriers dans l’âme, des gens hors du commun, hors des sentiers battus (pionniers en somme), ce qui leur confère une incroyable force d’entreprendre dont toute la planète fait les frais à travers Hollywood, Apple ou Instagram.

Quand on regarde ensuite sur YouTube l’Américain moyen, on se rend compte qu’il est dans le schéma classique et pas plus pionnier que mon voisin : il a une maison, une femme, des enfants, un chien et une piscine.

Mais ce n’est pas bien grave ; dans l’âme, il se sent pionnier.

Le site de « Burnt Wagons », « chariots brûlés », dans la Vallée de la mort, marque l’emplacement où les 49ers, un groupe d’aventuriers perdus dans la région au XIXe siècle, ont abattu leurs bœufs et brûlé leurs chariots pour faire griller la viande – Voir l’article d’où je tire cette photographie sur National Geographic

Il a du faire lui aussi son centenaire en fanfare, regarder les jolies filles défiler à bord d’un Mayflower à roulettes, et se dire qu’il descendait du bateau pour conquérir le nouveau monde.

Qu’il était un type hors du commun, quoi.

Quand on grave des idées aussi simples dans la tête des gens, c’est très compliqué par la suite de les ramener sur Terre pour leur expliquer que c’était une blague, un truc idéologique mis en place pour leur insuffler la force d’entreprendre nécessaire à toute conquête de territoire.

Je souhaite bien du plaisir à celui qui tentera de convaincre l’Américain moyen qui promène son chien en mâchant du chewing-gum qu’il est un type normal. Il descend des pionniers donc il est un héros.

A bien des égards (et les Américains ne s’y trompent pas) la communauté pieds-noirs ressemble au peuple américain.

Les individus sont fiers, grandes gueules, persuadés de détenir la vérité et convaincus qu’ils peuvent changer le monde…

avec un blog de pacotille.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

 

PS : Jean-Jacques Jordi évoque ce mythe dans un entretien très intéressant  donné au journal La Croix le 2 mars 2012.

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