J’aime beaucoup relire ce qu’a écrit ma mère en 2002.
Il y a des passages très simples et très vivants comme celui du serpent de Misserghin qui méritent vraiment d’être publiés, lus et relus, dégustés.
Un temps, j’ai regretté de lui avoir imposé une règle absolue : « tu ne parleras pas de tes parents, ni de la guerre. Je veux sentir Oran, c’est tout. Le reste, c’est écrit dans tous les livres, si ça m’intéresse un jour, je saurai où aller chercher. Quant à tes parents, tu ne seras pas objective et puis je sais déjà ce que tu en penses. Tu aimes écrire. Écris sur Oran. Raconte comment c’était »
Mais je ne le regrette plus. J’ai eu raison de la limiter. Je n’aurais jamais eu droit au serpent de Misserghin, sinon.
J’ai déjà donné le début de ces quelques feuilles. C’est vraiment un début magnifique.
« A Oran, il faisait toujours beau »
Digne des plus grands. Très simple. Très pur.
En cherchant une photo pour accompagner cet article, je suis tombé sur des serpents à Misserghin et j’ai souri. C’était donc vrai. Les serpents sévissent à Misserghin.
Article du 6 juillet 2010 sur le quotidien national d’information « Réflexion » . Je ne sais pas trop quelle en est la ligne éditoriale mais je n’ai pas l’impression que ce soit méchant. Par contre, l’auteur est révolté par les instances administratives. On dirait un coup de gueule de Kamel 😉
« Après, la misère, le suicide, l’aventure de la Harga, les accidents et les agressions, le pauvre Algérien trouve la mort aujourd’hui par morsure de serpent sans pour autant faire bousculer la conscience de nos responsables, et surtout celle des hauts fonctionnaires sensés être payés pour la protection du citoyen.
A Misserghin, en l’espace d’une semaine, deux citoyens algériens ont été tués par morsure de serpent. Il s’agit d’une jeune fille de 16 ans à la fleur de l’âge et d’un homme de 54 ans.
Deux vies sont parties dans le mutisme et le silence, alors que les instances de l’Etat sont responsables d’améliorer les conditions de vie du citoyen ce qui veut dire employer tous les moyens pour éradiquer tous ce qui peut nuire à la santé du citoyen (voir la constitution).
Les urgences médicales du CHUO ont reçu depuis le début de l’année 91 cas de morsure, et pour les seuls quatre mois du début de l’année 44 cas a été enregistré.
A Misserghin, soit au quartier El Wiam, soit au vieux village et la cité 214, les serpents guettent leurs proies parmi les pauvres citoyens, tant que la guerre ne leurs a pas été déclarée.
Mais au fait ! Y a-t-il une instance qui pense aux pauvres ?«
Cet article est très simple, très beau à sa manière. C’est la raison qui m’a poussé à le publier ici et pas seulement à le mettre en lien. On sent beaucoup d’honnêteté chez l’auteur. Une grande empathie avec son peuple.
L’épisode du serpent de Misserghin que ma mère relate de son côté doit se situer au début des années 50. A l’époque, elle est une petite fille. Une petite fille qui a appris à lire toute seule à l’âge de 4 ans et qui ne s’intéresse qu’à ça.
Ma mère n’aimait pas la nature, avait très peur de tout ce qui pouvait ressembler à un animal (sauf les chats) et sortait rarement du fond de son lit où elle passait le plus clair de son temps à lire des livres de toute sorte, sans la moindre autocensure.
Dans sa tête au moins, et dans ses choix de lecture, elle était libre. Elle balayait depuis Lestat le vampire d’Anne Rice jusqu’à Mort à crédit de Céline.
Par contre, il ne fallait pas trop lui chanter les louanges de la nature. Pour elle, la nature était un obstacle, un endroit où il était impossible de lire ; on est toujours embêté par des insectes, il fait chaud, et ça ne raconte pas des histoires découpés en chapitres. Donc c’est pénible.
</
Du coup, je ne sais jamais trop quel crédit accorder à ses écrits lorsqu’ils se dirigent vers la faune ou la flore… Sur ce plan-là, il vaut mieux que j’interroge mon père, j’aurai des réponses plus sensées.
Extrait.
« Non, j’oublie le serpent de Misserghin.
Un village assez loin d’Oran où nous allions parfois nous promener en hiver. Ce village avait ceci de particulier qu’il était tout entouré d’orangers. Il y en avait partout, c’était la bourgade des orangers comme Grasse est la ville des parfums, et Marseille, celle de la bouillabaisse. On y allait souvent avec des amis, et on se promenait tous en chœurs parmi les orangers. Mon père disait que ça sentait bon, mais moi je ne sentais rien du tout.
Une fois mon père a vu un serpent qui rampait par terre, tout le monde a hurlé. Mon père a attrapé un morceau de bois qui traînait par terre et abattu le serpent jusqu’à ce qu’il soit mort. J’ai eu à peine le temps de le voir, je ne peux même pas dire de quelle couleur il était. Voilà ma seule et unique rencontre avec un serpent. Je le plains encore. Il n’était peut-être même pas venimeux, qui sait. »
Ce qui est étonnant dans ce passage (et raconté avec un certain humour), c’est l’opposition au père (Mon père disait que ça sentait bon, mais moi je ne sentais rien du tout) et l’identification au serpent (Je le plains encore. Il n’était peut-être même pas venimeux).
Je tire deux leçons de cette histoire :
1 – Il y a des serpents à Misserghin (Ça ne s’est pas arrêté semble-t-il. Et en plus, ils ont l’air d’être venimeux…)
2 – On peut toujours demander aux gens de ne pas parler de leurs parents, ça revient par la voie d’anecdotes insignifiantes.
J’en ai même tiré une leçon générale de maïeutique : lorsqu’on veut faire parler des gens qui ne veulent pas parler, il faut les lancer sur des anecdotes. Les anecdotes servent toujours de support à l’évocation détournée de douleurs essentielles.
C’est ce que j’appelle la ruse du serpent.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)