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(Suite du premier article consacré à la quatrième de couverture du livre de Christine Ulivucci : Psychogénéalogie des lieux de vie)

 

Un titre qui m’a tout de suite interloqué, moi qui ai passé tant de temps à méditer sur le lieu de vie de tous les membres de ma famille avant l’exode massif de 1962 : Oran.

J’étais curieux de voir de quelle manière l’auteur allait relier ces fameux lieux de vie avec la psychogénéalogie. 

Petit détour par la quatrième de couverture :

Quels sont les événements de vie qui ont fait que nous sommes nés à tel endroit, que nous habitons à tel autre ? Pourquoi est-il si difficile pour certaines personnes de s’investir dans un lieu, et impossible pour d’autres de déménager ? Ces questions correspondent à l’histoire de chacun et leurs réponses se trouvent dans l’arbre familial. Car les lieux nous font signe, nous accueillent ou nous repoussent. Ils se font écho à travers les générations. Mais que viennent-ils nous rappeler de notre histoire familiale ? Comment l’histoire des lieux s’est-elle transmise ? Que pouvons-nous en tirer comme enseignement pour notre propre vie ? Que pouvons-nous transformer aujourd’hui d’un héritage subi ? Pour le savoir, nous pouvons les interroger, suivre les méandres de leur cheminement et tenter de comprendre à travers eux ce qui nous a été transmis du parcours de nos ascendants. Dans ce grand jeu de pistes, il sera alors possible de trouver des échos, des fils conducteurs, des perspectives insoupçonnées et de nouvelles impulsions.

Suite des questions, donc :

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→ Ils se font écho à travers les générations.

Là, c’est la vraie surprise de la psychogénéalogie lorsqu’on a bien travaillé. Les générations se répondent en effet à travers les dates, les lieux, les noms, les traumatismes. Il faut le voir pour le croire, et en même temps, ça ne tombe pas du ciel. J’en ai parlé dans le cas de la psychogénéalogie des cimetières ou du retour de la date du 15 février ; il faut avoir travaillé son histoire familiale par tous les bouts, que ce soit ceux des livrets de famille ou des lieux de vie, pour voir apparaître d’étranges coïncidences particulièrement évocatrices. Je ne crois pas du tout au petit travail du samedi après-midi une fois tous les trois mois, en revanche, la plongée dans un contexte historique oblige le cerveau à se mettre sous les yeux le paysage dans lequel des ancêtres évoluaient, et peu à peu, une mémoire enfouie devient accessible : le monde vu par leurs yeux. Avec pourtant le recul de quelques décennies ; une double position qui devient libératrice. On est à la fois capable de ressentir les émotions des personnes et de regarder l’Histoire d’un coup d’œil général : c’est l’Overlook sur le labyrinthe de Shining.

 

→ Mais que viennent-ils nous rappeler de notre histoire familiale ?

On se le demande toujours quand on voit apparaître les coïncidences. Quelle logique se cache là-derrière ? On trouve parfois des réponses (le 15 février), mais bien souvent, c’est la stupéfaction qui l’emporte (le 16 avril dans le cimetière d’Oran). Et il faut attendre des mois avant qu’un déclic de l’esprit ne permette de saisir une relation entre deux événements. Pour le 16 avril, je n’ai pas de réponses, parce que tout s’est décidé sans moi : ce n’était pas prévu à cette date-là et d’autres personnes ont décidé, pour des raisons purement politiques, qu’il était plus judicieux de changer la date. Ce sont ces événements-là qui posent question, et si le hasard -dont je ne sais vraiment pas quoi penser- est une réponse qui peut éventuellement satisfaire l’esprit lorsque celui-ci n’attend rien du monde, quand ce monde semble lui faire signe des deux mains, s’obstiner dans l’aveuglement s’apparente davantage à un comportement d’autruche qu’à une recherche saine et franche de la vérité. D’autant plus que les réponses ne sont pas toujours à aller chercher du côté des choses mirifiques. Il y a très souvent une logique souterraine à l’oeuvre. Le mystère familial du 15 février est à cet égard particulièrement évocateur.

 

→ Comment l’histoire des lieux s’est-elle transmise ?

Par l’intermédiaire à la fois d’une communauté et de la famille. Mais il a fallu l’événement déclencheur de la mort de ma mère pour réveiller un monde enfoui sous des tonnes d’inconscient. C’est vers mon père que je me suis d’abord dirigé avec mon dictaphone. Ce fut un premier contact avec les lieux de vie, en l’occurrence la ville d’Oran dans les années 50. Mais je sentais bien que je n’avais que son regard, et qu’il n’était pas celui de mes grands-parents maternels, par exemple. Je me doutais intuitivement que chaque personne portait un regard personnel sur cette ville, un regard lié à sa propre histoire, et qu’en plus de ce regard, il y avait aussi la manière dont la ville se regardait elle-même dans la glace depuis le 4 janvier 1831. Je devais respirer cet air-là, le sentir en moi, pour y inclure mes grands-parent et mes parents, comprendre de quelle manière eux-mêmes la regardaient. Et ce travail a été mis en place par des passeurs pieds-noirs qui ont œuvré (et œuvrent toujours) à la collecte de tonnes de documents principalement photographiques autour de la ville. J’ai passé des journées entières plongé dans l’histoire de la ville pour m’imprégner de sa respiration. Et puis je suis allé à la rencontre des pieds-noirs pour sentir un esprit que je fuyais depuis mon adolescence. Ce sont eux qui m’ont transmis une ambiance générale. Un contexte sans lequel aucune psychogénéalogie ne peut jamais apparaître, parce que le contexte est le creuset de tous les mystères.

 

→ Que pouvons-nous en tirer comme enseignement pour notre propre vie ?

On en tire l’idée que les choses se jouent aussi dans les profondeurs et à notre insu. Lorsqu’on est jeune, on imagine qu’on décide des orientations à donner à sa vie, et puis à la quarantaine, on prend conscience que certaines décisions (pas toutes) ont été prises pour des raisons suspectes. Des raisons qui surgissent peu à peu des profondeurs et qui changent subitement  le regard qu’on portait sur ses choix. On se rend compte notamment qu’on fait partie d’une histoire. Tout change le jour où l’on accède à l’histoire des grands-parents de ses grands-parents et que l’on devient capable de voir les traumatismes se promener de générations en générations. Là, il se passe vraiment quelque chose. L’individu que nous ne sommes pas encore commence à comprendre qu’il est relié à une histoire, et partant, devient capable de s’en séparer pour devenir une personne à part entière, libre. Nous ne sommes jamais totalement libre, bien évidemment, mais le chemin débute lorsque l’histoire familiale commence à apparaître, dans toute sa dynamique.

 

→ Que pouvons-nous transformer aujourd’hui d’un héritage subi ?

En effet, l’héritage est subi, et il n’est pas évident de s’en défaire. Tout simplement parce qu’il nous constitue. Partir en quête d’une histoire familiale, c’est déjà commencer à s’en séparer ; mais ce n’est pas suffisant. J’ai pris conscience de l’importance de retraverser les lieux de l’histoire familiale. Retraverser les lieux, c’est se les réapproprier, et en faire du présent. Toutes les fois que le corps se déplace sur un lieu -et il n’y a rien d’autre à faire qu’à marcher, se promener, parce que l’esprit fera le reste- le passé subi devient du présent vécu. C’est purement mécanique. Le présent efface le passé. Mais il ne faut pas s’y tromper, le présent efface seulement le passé dont il a pris conscience, c’est-à-dire celui qu’il a travaillé. Si j’étais allé à Oran sans connaître mon passé familial, rien ne se serait jamais passé, parce que je n’aurais pas su quoi effacer. Tout simplement…

 

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



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