Voilà un fantôme bien connu lui aussi.
Celui de la Posada Espagnola, qui se trouvait au niveau de la Place Emerat.
Et qui me fait penser à la rue du cirque et aux deux autres fantômes qui se font face : Le Musée Nessler et le vieux Caravansérail.
Fantômes dans le sens où j’ai souvent entendu parler d’eux sans jamais savoir précisément où ils se trouvaient, ni quelle était leur histoire, avant de me pencher sur leurs cas respectifs.
Je pourrais tout aussi bien rajouter le Casino Bastrana, qui a été mon premier grand fantôme, il y a déjà plusieurs mois de cela.
Mais la Posada remonte à plus loin encore :
→ Que le Casino Bastrana, issu d’un vieux théâtre qui ouvre le 25 juillet 1849.
→ Que le Caravansérail, construit en 1848, et qui se fait hôpital en 1849.
→ Que le Musée Nessler, construit par un mégalomane à la fin du XIX° siècle.
La Posada commence déjà sous l’ère espagnole… et ce n’est pas encore une Posada.
1 – 1774 : La « Maison Municipale »
Je ne sais pas vraiment ce qu’est une « Maison Municipale » (peut-être un équivalent de la mairie) mais on a retrouvé, enfouie devant l’entrée de la Posada, une dalle de 300 Kg qui « porte les armoiries de Charles III, Roi d’Espagne. »
Oran Raï – Intérieur de la Posada à 0’29 et 1’22
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Eugène Cruck écrit dans son recueil « Oran et les témoins de son passé » que cet écu armorial aurait orné la façade de cette fameuse « Maison Municipale » construite en 1774 sur ordre du Général espagnol Alvarado, alors Gouverneur d’Oran.
Voilà le début de notre Posada, qui n’a donc pas grand chose à voir avec la bâtisse que l’on connaît bien, au moins par photographie interposée.
La dalle de 300 kg se trouvait encore au Musée Demaëght (Zabana) en 1962. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui.
2 – 1810 : Le Bey Boukabous
En 1790, Oran est victime d’un terrible séisme, et la ville s’effondre.
Les Espagnols tiennent encore deux ans face aux assauts répétés des Turcs, et finissent par brader les lieux qui commencent à coûter cher puisque tout est en ruine.
Les Turcs ne s’y tromperont pas et installeront leur gouvernement dans Rosalcazar.
On est en 1792.
Quelques assassinats plus tard, le Bey Boukabous arrive au pouvoir, et décide en 1810 de se faire un petit plaisir en édifiant « cette petite demeure pour son propre usage ».
C’est une décision étonnante parce qu’il y a des témoignages assez clairs sur l’état désastreux de la ville à ce moment-là.
Peut-être le coin tient-il encore à peu près debout.
Lorsque Boukabous meurt, il laisse la bâtisse en héritage à son gendre Hassan, dernier Bey d’Oran, qui l’habite à son tour jusqu’à l’arrivée des Français.
3 – 1831 : Le Vice-Consul d’Angleterre M. Nathaniel Welsford
Monsieur Nathaniel Welsford est surtout connu à Oran pour ses traces laissées dans le cimetière des cholériques et tout en haut de la Calère.
J’ai toujours beaucoup de mal à localiser précisément la propriété de ce Monsieur, parce qu’elle ne correspond pas à la place Welsford qui se trouvait au niveau de la Calère d’une part, et que d’autre part, il a été construit des villas au niveau du « Jardin Welsford ».
Donc je suis dans l’à-peu-près. (Mais je ne le suis plus depuis qu’on m’a aidé 😉 donc voici une carte de 1890)
Mais à l’arrivée des Français, le Bey Hassan vend la Posada (qui n’en est pas encore une) à Nathaniel Welsford… qui ne la gardera pas longtemps. Je n’ai pas davantage de précisions.
Et je ne sais pas non plus s’il s’agit d’une magnifique résidence secondaire dans le quartier délabré de la Marine ou si les nécessités du moment l’obligent à y habiter.
Mais peut-être le quartier n’est-il pas complètement en ruine.
4 – 183… : La « Maison de rapport » de Dona INES
Mon inculture m’a induit en erreur.
A lire la description de cette « maison de rapport » par le colonel Trumelet-Faber, membre de la Société des Gens de Lettres, qui signe du pseudonyme De Falon, je me suis mépris sur le terme « rapports ».
« Dans une grande salle, on danse, on boit. Les Officiers de la Garnison -qui n’ont pas le choix des distractions dans les moments de repos et de loisirs que leur laissent les combats tout autour de la Ville- sont heureux de trouver en ce lieu, en la compagnie de jeunes et jolies pensionnaires, prodigues d’œillades assassines, des plaisirs agréables, plaisirs de toutes les garnisons et de tous les temps. »
En résumé, la Posada est devenue un lieu de prostitution.
Mais une « maison de rapport » n’a rien à voir avec les rapports étroits que peuvent entretenir les dames et les messieurs de l’époque.
Une « maison de rapport » est « un immeuble divisé en plusieurs logements loués par un ou plusieurs propriétaires. Sa construction résulte d’une opération immobilière. Il est conçu comme un placement par le propriétaire. » Il est généralement organisé sur 5 étages et chaque étage à un rôle défini. (Wikipedia)
Dans le cas de la Posada Espagnola :
- Le rez-de-chaussée est une auberge
- Le premier étage est occupé par des chambres de location.
- L’ensemble est construit autour d’une cour intérieure avec balcon.
Le colonel Trumelet-faber décrit l’endroit :
- Le couloir d’entrée est éclairé par une ravissante lanterne mauresque à vitrail de couleur et frangée de chaînettes d’argent terminées par des croissants de même métal
- Le plafond du salon, en bois de cèdre sculpté, est semé de rasaces, de fleurs, de fruits et de poissons inédits peints en couleurs voyantes relevées d’or
- Un lustre à bougies et des appliques arabes en composent l’éclairage.
- Dès l’entrée, un frais patio pavé de marbre, avec vasque centrale, accueille les clients.
- A l’étage, nombreux appartements dont les fenêtres sont protégées par d’élégants grillages en fer forgé
- Chambres discrètes garnies de tapis et de traversins de brocard, alcôves et glaces
« Bref, tout ce qui fait le charme et l’attirance de la maison de Dona INES »
5 – Les restaurants de M. Albéric Emerat et Clemente Aranda
Là, on a sauté quelques décennies, parce que ma source (Eugène Cruck) qui écrit pourtant son livre en 1956, décide de ne pas aller plus loin que Dona INES.
Il faut fouiller dans les deux livres de Alfred Salinas (Oran la Joyeuse et l’Opération Cisneros) pour trouver des traces (fugitives) de ce que devient la Posada au XX° siècle.
→ Le restaurant de M. Albéric Emerat
Je ne peux pas dire grand-chose sur la Posada si ce n’est qu’elle est un restaurant et qu’elle est tenue par un Monsieur qui porte le même nom que la place sur laquelle elle est installée. (Même si dans les années 30, le nom est probablement différent)
J’ai cherché des informations sur Albéric Emerat, point de traces, en dehors des informations de Salinas : il s’agit du grand-père de Marguerite Dobrenn, amie proche d’Albert Camus en 1937, mais non conquête amoureuse semble-t-il (ce qui est rare) :
« Décembre 1937. Il [Camus] est embauché à l’Institut de météorologie et de physique du globe. Pendant cette période , son quartier général est une maison des hauteurs d’Alger, louée par de jeunes Oranaises, Jeanne Sicard, Marguerite Dobrenn, Christiane Galindo, et qu’ils appellent « La Maison devant le monde « . Il commence à écrire Caligula. » (source bonheurdelire.over-blog.com)
Marguerite Dobrenn présentera et annotera la correspondance d’Albert Camus avec Jean Grenier, son professeur de philosophie au lycée d’Alger.
Je ne serais pas étonné que notre futur prix Nobel soit allé manger quelques calamars farcis chez le grand-père de son amie dans les années 30.
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Escale à Oran – La Posada à 6’30
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→ La Posada de M. Clemente Aranda
Toujours Alfred Salinas, mais cette fois-ci dans l’Opération Cisneros, à propos de L’Auxilio-social, ce « phalangisme à visage humain » :
« Service caritatif créé par les franquistes en 1936 sur la péninsule et transposé en mars 1940 à Oran par le Consulat. En lui s’insérait tout un réseau relationnel de membres et de sympathisants qui, en son absence, seraient restés dans l’isolement, sans directives et sans meneurs.
L’Auxilio social sut développer une convivialité spécifique avec ses commémorations, ses journées de distribution alimentaire et ses activités culturelles. […] Artisans et commerçants, qu’ils fussent Espagnols ou Néo-français, financèrent l’Auxilio-social d’Oran au moyen de souscriptions et de cotisations. »
Les trois-quarts des cotisants provenaient du quartier St-Eugène, le dernier quart principalement de la Marine, et M. Clemente Aranda, gérant de la Posada espagnola, en faisait partie.
Je n’en saurai pas plus.
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En 1956, Eugène Cruck écrit dans son livre « Oran et les témoins de son passé » :
« De ce sympathique, luxueux et piquant passé historique, il ne reste, sur place, qu’un souvenir bien estompé… mais on peut voir encore aujourd’hui, mise à l’abri au Musée Demaëght, boulevard Paul Doumer, la lourde porte extérieure ferrée de clous à grosse tête et d’une serrurerie massive ».
Reste-t-il encore quelque chose de cette Posada au musée Zabana ? Ou s’est-elle effondrée en mille morceaux dans un recoin de la ville, à l’image d’une autre porte tout aussi célèbre, celle du caravansérail ?
Peut-être obtiendrai-je un jour une réponse à cette question. Certaines portes refont parfois surface.
La « maison des rapports » le mériterait.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).
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Quelques captures d’écran tirées des deux films ci-dessus.