Crédit photo : lesitedeslivres.com

Yasmana Khadra est un écrivain prolifique.

On en pense ce qu’on en veut, mais il écrit beaucoup et son œuvre traverse les continents. Les plus grands en disent beaucoup de bien. Certains en disent aussi du mal. On ne peut pas plaire à tout le monde.

Le livre Ce que le jour doit à la nuit se passe à Oran pour une grande partie. J’ai donc du mal à être objectif. Tout ce qui se passe à Oran me touche de très près, malgré moi. Je regarde les rues, les places, les monuments dès qu’ils apparaissent dans le roman. Et je perds tout sens critique.

Yasmina Khadra m’a fait découvrir Une Oran comme on n’en voit pas sur les photos. Une Oran des bidonvilles durant la période française. Je l’ai lu un peu trop tôt, je connaissais mal la ville, mais il m’a marqué.

Bien sûr, c’est un roman. Il y a un auteur qui propose l’angle de vue qui lui convient. En l’occurrence, Oran depuis la nuit du bidonville.

Yasmina Khadra sait parfaitement raconter des histoires ; mais je n’arrive plus à lire des histoires. Je m’ennuie dans les histoires, maintenant. Passé un certain âge, quand on a beaucoup lu, les histoires se ressemblent toutes. On cherche autre chose. C’est bien dommage d’ailleurs, j’aimerais beaucoup retrouver l’innocence de mes 15 ans. Mais je ne rêve pas. C’est peine perdue. Donc tant pis.

Alors pourquoi ai-je lu ce livre d’une traite ?

Un immeuble de l’ancienne rue Aristide Briand dans le quartier Choupot. Pas très loin de là où le père du jeune héros du roman… (crédit photo : Abdelbaki Fellouah)

Parce que j’avais accès à l’autre côté du miroir, à la nuit d’Oran. Au silence fantomatique du peuple algérien pendant la colonisation. Du moins dans les grandes villes comme Oran. Dans les campagnes, il faudrait peut-être nuancer.

J’avais envie d’entendre cette voix-là.

Mais je ne suis pas sûr de l’avoir vraiment entendue. Trop romancée à mon goût. La fiction prend le dessus sur la voix du peuple fantôme. Le peuple parle par l’intermédiaire du père notamment, mais les ficelles de la fiction sont trop grosses et gêne l’authenticité du propos, sans bien sûr le remettre en question.

La fiction a fait son temps. C’est le problème. En tout cas pour moi. Mais aussi pour l’époque. Il y a des moyens aujourd’hui plus efficaces d’accéder à davantage de réalité. Un écrivain comme Emmanuel Carrère suit par exemple les voies subtiles de la biographie. Ça ressemble beaucoup à de la fiction mais la puissance d’accès au réel est multipliée par dix.

Entendre la voix du peuple algérien pendant la colonisation est un sacré défi. Je ne sais pas si quelqu’un l’a déjà relevé en Algérie. J’imagine que oui. Avec quel degré de réussite ? Je suis curieux de savoir.

Il y en a un, en tout cas, qui avait clairement conscience que le peuple algérien était un peuple fantôme et qui le formalisait beaucoup mieux que Yasmina Khadra. C’est Charles Brouty.

Charles Brouty – Le théâtre d’Oran

J’ai déjà montré ce dessin une première fois, dans un article dédié à Charles Brouty. J’orientais alors le regard du lecteur vers le théâtre d’Oran.

Mais j’avais déjà bien vu que ce n’était pas le propos de Charles Brouty. Un artiste n’est pas là pour faire de la décoration ou pour reproduire par le dessin un monument architectural. Brouty a autre chose en tête que le théâtre d’Oran qui ne l’intéresse pas.

Brouty construit une verticale et une horizontale sur lesquelles il place le théâtre et les spectateurs « européens », en très gros et très dominant.

Puis il met un petit fantôme qui passe, en bas à gauche, en diagonale, sans un regard pour la civilisation imposante qui le domine.

En un coup de crayon, tout est dit. Et mieux que dans un livre de 300 pages.

Ça s’appelle du Grand Art.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

*

PS : Pour plus de détails sur le théâtre d’Oran, c’est sur cette page. Et en réponse à ma critique gentiment moqueuse, le droit de réponse de Hafid Boualem. + une vidéo sur le théâtre en bonus à la fin du droit de réponse. Et pour finir, direction la critique du film d’Arcady (septembre 2012) tiré du livre de Yasmina Khadra.



 

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