La petite Murillo à Nîmes le 9 mai 2013

Je n’avais qu’une seule crainte en me rendant à Nîmes : Moi.

Comment serai-je une fois là-bas ?

J’avais confiance, parce que je savais que je serais bien accueilli, mais je doutais de moi.

On peut passer sa journée à sourire tout en étant malade de l’intérieur, je l’ai déjà expérimenté de nombreuses fois, je pouvais très bien le refaire ici.

Et tout aurait été remis en cause.

Serai-je vraiment capable d’éprouver du plaisir dans ce lieu de souvenirs, moi qui n’en ai aucun, et qui fantasme sur tout ? Ou regarderai-je le spectacle comme le font ces personnes accoudées au balcon, depuis leurs immeubles du Mas de Mingue, en étrangers perplexes devant une manifestation incompréhensible ?

Parce que cette journée rituelle est un drôle de spectacle.

Mélange de melsa et de merguez, de noms de villages lointains suspendus à des ficelles, de chaises pliantes devant des photos de classe, d’éclats de rire et de retrouvailles, de livres hors-norme comme cette Histoire de l’Algérie en trois tomes presque entièrement constituée de listes de noms, de musulmans du quartier qui vendent leur gâteau de miel devant les entrées d’immeubles, d’érudits que tout le monde veut voir pour poser des questions, d’autres érudits qu’on ne voit pas parce qu’ils photographient la Vierge de Santa-Cruz et ses bannières, de cloches qui tintent à la volée, de prêtres qui demandent le silence, de jeunes maghrébins qui se promènent en orange fluo comme dans une kermesse d’école, et de policiers qui déambulent.

Ce n’est ni la France ni l’Algérie, c’est Nîmes-Courbessac, un jour d’Ascension.

Je connaissais l’existence de ce lieu et de cette manifestation, mais je me sentais incapable d’y aller il y a encore un an -ou tout du moins d’en profiter- parce que le monde pieds-noirs m’était totalement étranger, bien que toute ma famille soit d’Oran, et ce depuis des générations.

Il y a un gouffre entre un Français né en France en 1969, et les Français nés en Algérie qui se retrouvent à Nîmes en 2013.

Un gouffre quasi infranchissable pour un enfant de pieds-noirs.

Il faut être né dans la marmite, ou sous l’emprise d’une névrose obsessionnelle comme la mienne, pour y comprendre quelque chose. C’est un rendez-vous d’initiés.

Et je ne pouvais y trouver mon compte qu’à la Marine, parce que c’est à la fois le quartier d’Oran que je connais le moins mal (paradoxe puisqu’il n’en reste plus beaucoup de traces), et celui dont certains habitants ont été les premiers à se pencher sur mon cas avec chaleur, au point d’être heureux d’endosser le rôle de Guide initiatique dans un dédale nîmois autrement indéchiffrable.

Je m’arrête devant l’école Lamoricière. Je vois Georges Vieville mais je le laisse tranquille, tout le monde lui pose des questions. Je voudrais juste le remercier.

Je demande à la dame d’à côté si elle connaît mes grands-parents instituteurs. Non. Tant pis. J’arrive à la Marine. Voilà Guy, j’espère que je pourrai pour septembre. Pas sûr. Tchoumino est à l’intérieur (je l’aurais raté malgré tout) et Joséphine Pessoles est dans le stand là-bas, plus bas. J’irai la voir au retour.

Mathias doit porter la Vierge, il va partir.

On va aller manger de la rate, suivez-nous. C’est Maguy qui offre à boire, la grande fille sur la place Émerat (que j’apprendrai à prononcer correctement) qui me demande pourquoi je fais tout ça (les articles). Elle a gardé le même visage. Grands yeux. Il n’y a pas la petite Christiane qu’elle tenait par la main. Mais il y a deux Annie qui m’expliquent tout.

 

Je connais le magasin Salero, la boulangerie Ruiz (je me mélange les pédales dans les Ruiz) le Luxembourg et le Nautic. Ça fait rire, mais du coup, on me raconte le jour de paie des pêcheurs (samedi) au Nautic, et la cassette de fer qu’on ouvre devant tout le monde, les billets de la semaine donnés un par un, premier tour, deuxième tour, troisième tour, etc. pour que chacun voie bien l’égalité de traitement. Pas d’addition sur un coin de nappe, tout le monde est illettré, on ne croit que ce qu’on voit. Mathias, 9 ans, avait pourtant fait les bons calculs.

Je suis là où je dois être.

Je ne me pose plus de questions. Je suis dans le présent, dans le passé aussi, dans un passé lointain qui n’est même pas le mien, mais qui l’est pourtant davantage que celui dont j’ai le souvenir enfant.

Ne le racontez pas, on risquerait de m’enfermer.

Par contre, je n’éprouve rien en voyant sortir la Vierge de la petite église ; je la filme, j’essaie d’en faire quelque chose pour cet article. Je n’arrive pas à trouver d’angle intéressant.

 

Je tourne dans tous les sens. Je me poste loin et je laisse venir ; je me colle aux porteurs, et je les filme de près. Aucun battement de cœur. C’est intéressant, mais moins que les anecdotes de la Marine.

Ce que je veux, c’est Oran.

Oran avant, Oran maintenant. Et il n’y a que les gens qui peuvent me le donner ; ceux qui y sont, ceux qui y étaient.

Donc je n’accroche pas vraiment à la procession, aux bannières, aux cloches, aux plaques, à la messe, aux statues. Je regarde pour me « cultiver » en quelque sorte, pour savoir à quoi ressemble la manifestation de Nîmes-Courbessac, mais je ne suis sensible qu’aux paroles des uns et des autres, aux anecdotes de Mathias qui raconte sa mère qui lui lèche le dos pour savoir s’il s’est baigné, qui raconte le bateau du pêcheur démonté pour alimenter le feu de la St-Jean de la Marine parce que celui de la Calère va être plus gros, qui raconte les pétards dans la bouse sur la vitrine de Salero.

Je n’éprouve bien sûr aucune nostalgie -ça n’aurait pas de sens- mais je suis heureux d’entendre parler du quartier de la Marine comme s’il s’agissait du mien.

Et parfois, je me pose la question de celui que j’étais il y a un an, et qui ne connaissait rien à l’Histoire de la ville : aurait-il pu éprouver du plaisir malgré tout ? Aurait-il été capable d’aimer Nîmes-Courbessac ?

La question de la transmission me travaille.

Et comme j’ai reçu, il y a peu, deux commentaires très virulents de pieds-noirs qui n’aiment pas du tout ce que j’écris, je me dis que la porte est étroite, pour moi comme pour tous ceux de ma génération qui se demandent (ou pas, c’est le cas le plus courant) comment entrer dans le labyrinthe sans s’y perdre, sans devenir pieds-noirs -puisqu’on ne l’est pas- et que le pire serait de devenir une mauvaise caricature.

Alors, comment se positionner dans cette histoire ?

Parce que ce n’est pas fini, il y a le rassemblement de la Marine en octobre, et j’aimerais bien y assister.

Mais Annie m’a déjà prévenu : « Il faudra être initié. »

Un vrai parcours du combattant.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

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La procession de Nîmes – 9 mai 2013

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L’article de José Bueno sur le journal La Provence, ainsi que quelques photos…

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Petit historique du Sanctuaire de Nîmes Santa Cruz.

(Les informations se trouvent à l’origine sur le site verite1962.blogzoom.fr dans un diaporama sur fond de chant marial  dédié à la Vierge de l’Oranie. Je les ai retranscrites pour en faciliter la lecture. Ci-dessous le chant marial.)

1962 : le vent de l’histoire a déjà tournoyé en tempête pendant près de 8 ans sur la terre algérienne.

Plus violent encore, il vient de faire traverser la Méditerranée à des centaines de milliers de Pied-Noirs en quête de nouvelles terres où pousser. En septembre 1963, environ 1200 d’entre eux (quelques 350 familles) dont 95% se sont retrouvés dans les HLM du Mas de Mingue, nouveau quartier Est de la périphérie nîmoise.

Le Révérend Père Hébrard, aumônier militaire de la base aérienne voisine, rencontre le président du comité de quartier, Antoine Candéla. L’évêque de la ville, Mgr Rougé l’a chargé de créer une nouvelle communauté paroissiale englobant le mas de Mingue.

Les premiers entretiens sont infructueux, les nouveaux venus étant blessés par l’ostracisme et le sectarisme de l’époque à leur égard. Antoine Roca, président de l’association des parents d’élèves intervient à son tour. Les deux Antoine aspirent à un retour rapide à la tradition de Santa-Cruz. A l’ecclésiastique est alors lancé le défi: « Père, nous serons des vôtres si vous prenez l’engagement solennel de vous placer avec nous, sous le vocable de Notre Dame de Santa Cruz ».

L’aumônier s’engage sans réserve.

Et le 3 novembre 1963, soit 114 ans jour pour jour après « le miracle de la pluie d’Oran », se tient l’assemblée constitutive de l’association nationale des Amis de Notre Dame de Santa Cruz. Celle-ci est déclarée le 5 novembre à la Préfecture du Gard, puis l’avis de sa création est publié au J.O.R.F, le 28 novembre 1963. Elle va, très vite, se structurer sur le plan national. Le plus cher désir de ces pionniers fut alors de rapatrier, elle aussi, la statue de leur Vierge de Santa Cruz.

Leurs démarches entreprises en 1964 auprès de Monseigneur Rougé et de Monseigneur Lacaste, Évêque d’Oran, alors tous deux à Rome pour le Concile Vatican II, aboutirent à l’accord de ce dernier : il considéra que la quasi-totalité de ses paroissiens étant partis, la place de la statue était au milieu d’eux, là où ils se trouvaient.

Une photo rare : la mosquée de la Perle vue depuis la crypte de l’église St-Louis, en présence du père Gauthier (3), prêtre de l’église St-Louis, et de Mgr Lacaste (4), évêque d’Oran. Merci Annie pour ce trésor.

Ce fut la Marine Nationale qui se chargea, en 1965, du transfert de cette précieuse image. Accueillie et remise au diocèse de Nîmes par Monseigneur Lecat, Vicaire général d’Oran, elle fut hébergée à Nîmes chez Antoine Candela, puis en l’église de Courbessac, en attendant que fut prêt son site d’accueil définitif. Car il s’était aussi agit de trouver puis d’aménager ce site d’accueil à Nîmes.

Grâce à l’opiniâtreté du Père Hébrard et des « deux Antoine », ainsi qu’à la générosité d’un nîmois, M. René Denis, qui le céda pour 1 franc symbolique, avait acquis en 1964, le terrain de 5000 m² convoité sur une des sept collines de Nîmes pour bâtir le sanctuaire. Mais il fallait le temps de le construire… Les études préalables, établissement des plans et devis, démarches administratives, travaux d’édification, conduisirent finalement :

    • Au 20 mai 1969, date de l’inauguration de la première partie du sanctuaire ;
    • Puis au 27 octobre 1972, jour de la bénédiction de la grotte ;
    • Ensuite, à février 1975, qui vit s’achever l’aile droite du sanctuaire.
    • Et enfin, à août 1989, lorsque retentit le carillon composé des 6 cloches de Relizane dominant une cloche de Mostaganem.

Depuis, les travaux n’ont cessé d’étendre l’emprise et l’aménagement du site, grâce aux cotisants des « Bâtisseurs du Sanctuaire », au leg de l’association d’Ozanam d’Oran et à la généreuse donation testamentaire de Monseigneur Lacaste.

Les dernières réalisations en date, voulues par le Président Michel Pérez et son équipe, sont les deux bâtiments de service, l’esplanade dallée, la fontaine et, surtout, la Maison du Pèlerin, symbole de la traditionnelle hospitalité oranaise. Entre-temps, la statue de Notre Dame de Santa Cruz alla, à de nombreuses reprises, visiter les plus importantes communautés de pieds-noirs et d’Oraniens de France. Et, dès 1968, c’est même en Espagne, à Alicante, que la Vierge visita la plus proche colonie oranienne de l’étranger.

La construction à Nîmes du Sanctuaire de Santa Cruz, que Monseigneur Lacaste a nommé le « diocèse de la dispersion » a voulu palier le déracinement des Oraniens ; leur acharnement à le réaliser a vaincu leur découragement ; l’exigence de fraternité qu’a nécessité sa création puis son développement a rompu leur isolement.

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