Comme toujours, c’est par hasard qu’on tombe sur des paroles en ballottage.
Ici, la parole d’une enfant de pieds-noirs dont la grand-mère était de Mascara. Je vais en reproduire une partie et puis je renverrai au reste pour le merveilleux monde autour duquel tourne ce petit extrait.
Monde gitan, monde de l’au-delà, monde de la danse et de la joie. Entre-deux monde. Intermède et ballottage …
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« L’Algérie de mes racines, depuis 1830. Pays qui m’était interdit par la rancœur de mon père, sa déception et son chagrin.
Dans le discours de ma famille, éclatée à Paris, Marseille, Montpellier et Toulouse, tu es là sans cesse, Algérie ! Mes albums de famille sont remplis de dunes de sable oranaises, de sourires fiers de mes arrières et arrières grands parents, et de Pères Blancs.
Algérie, pays inconnu, mais tant raconté ! Zora fidèle à la famille… et sa mouna que j’ai tant savourée ! Les pâtisseries orientales, couleurs mordorées, chef d’œuvre du regard, concentré de soleil, mais ruisselantes de miel qui à force m’écœurait. Je leur préférais le tendre loukoum parfumé aux jolies couleurs pastel. Les orgies de couscous, blé de ta terre, Algérie ! Le thé à la menthe, et la liqueur de fleur d’oranger, spécialité de ma grand-mère !
Les réunions entre pieds-noirs très exubérantes… ! La musique, les chansons ! La voix ténor de mon père, mon premier et plus grand danseur de tango ! Très sollicité ! Son fort accent pied-noir, et dans son vocabulaire, comme dans celui de sa mère, des endroits qui me faisaient rêver : Al Bahdja « Alger la Blanche », Oran, Constantine, Mascara, Aïn-Sefra, Aïn-Fares, Mostaganem, Colombéchar, Arzew, Tiaret, Tlemcen, et combien d’autres encore ! Et le soleil, le soleil dans le bleu azur…
Lors des ces réunions, je partageais leur fête, je vibrais, j’épousais la fièvre des retrouvailles, j’écoutais les souvenirs échangés de ceux qui avaient hérités et perdu, là-bas, une vie idéale, dans un pays magnifique… grâce à la sueur des premiers colons, leurs ancêtres !
A Toulouse, combien de fois, dans l’autobus, j’accrochais un sourire complice sur mon visage, lorsque j’entendais l’accent Pied-Noir ? Audacieuse, je m’approchais de ces inconnus qui ne semblaient pas choqués, et nous parlions de l’Algérie ! Ma passion pour Enrico Macias, à l’écouter, enfermée pendant des heures dans ma chambre !
C’était compulsif, je recherchais mon identité d’enfant de Pied-Noir, je vibrais pour l’Algérie ! J’étais imprégnée de la passion de ma famille. C’était cela mon héritage !
Mais jamais je n’ai pu épouser leur haine qui surgissait parfois, masque hideux, grimace obscène, qui quelle qu’en soit la cause, me devenait insupportable. Alors je rejetais l’Algérie, je n’en pouvais plus ! Je me disais « Ce n’est pas moi, cela ! Je n’y peux rien après tout ! ».
J’étais ballottée. »
Je n’ai pas connu les couscous dansants ni les retrouvailles enfiévrées. Je n’ai pas grandi dans ce genre de famille. C’était plus calme du côté de chez ma mère qui a tout fuit. C’était très calme aussi du côté de chez mon père.
Et pourtant, je reconnais moi aussi le ballottage défavorable et la grimace obscène. Cette grimace qui m’a obligé à rejeter l’Algérie de mes parents alors que j’aurais pu l’aimer plus tôt.
Peut-être.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)
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PS : le blog Passion gitane de Jeannine. Très riche et sans ballottage.