J’ai plus vite repéré l’ancienne préfecture que la nouvelle.
Ça vient peut-être de chez mon grand-père maternel.
Il y avait quelques photos d’Oran accrochées aux murs.
Une vue générale d’Oran en noir et blanc depuis Santa-Cruz, une très belle photo en couleur sous verre de la cathédrale d’Oran, et un tableau de la place Kléber que je n’ai pu identifier que ces derniers mois, à partir d’anciennes photos repérées ici et là sur Internet.
Je me doutais que ce tableau représentait une place d’Oran mais je ne savais pas laquelle.
Pourquoi mon grand-père possédait-il ce tableau, d’ailleurs ?
C’est une question que je ne me pose pas encore dans l’article du 10 juillet – parce que les questions mettent parfois du temps avant de se rendre nécessaire – mais c’est une question importante.
Je sais qu’il tenait le tableau d’un ami qui l’avait peint pour lui. Dans le salon, il était accroché sur le mur opposé à celui de la cathédrale, derrière son fauteuil.
La place Kléber était un peu en retrait.
Moins en évidence que la Cathédrale ou la vue de Santa-Cruz.
Et je ne crois pas que c’était pour meubler l’espace. Je pense qu’il y avait un réel attachement à cette partie d’Oran, qui représentait autre chose que sa vie adulte, rue de Mostaganem.
Sur le plateau de Kargentah, c’était la fierté d’une certaine ascension sociale ; place Kléber, c’était plus probablement les origines du petit Espagnol, pupille de la nation, élevé par sa mère dans un milieu modeste.
Au pied de l’ancienne préfecture (qui aura bientôt sa maquette) se trouve le « point zéro » de la ville d’Oran.
Toufik : « sur le plan relief (ce qui est important) quand on descend Sidi el Houari, on arrive place Kléber. Place Kleber, on est sur le lit du oued r’hi. Cette descente se fait donc sur la rive est du oued. Quand on remonte vers la rive ouest, on commence en fait le début de l’ascension vers le Murdjajo. Au pied ouest de la préfecture tu as cette niche donc, le point zéro, qui se trouve vraiment au début de l’ascension, de façon plus… légendaire, si on veut. »
Je n’avais pas forcément intégré à quel point la place Kléber était en effet le point zéro d’une certaine ascension.
Pour moi, le point zéro, c’était la place de la Perle.
Mais non.
La place de la Perle est profondément espagnole et le restera jusqu’en 1962.
La place Kleber, au fond du ravin, était française dans l’âme, avec la place de la République et son kiosque dans le prolongement, bien visibles sur la photo.
Elle ne demandait qu’à monter sur le plateau de Kargentah.
Mon grand-père aussi.
Au fond du ravin, il avait le choix entre grimper côté ouest pour rejoindre la place de la Perle et conserver ses origines espagnoles, ou grimper côté est pour rejoindre Kargentah et prendre la route des valeurs de la République.
Pour lui, c’était bien le point zéro, le point de départ d’une ascension sociale qui a trouvé son terme en 1962.
Il avait 46 ans.
Il est retourné en France mais n’a plus jamais travaillé pour elle.
Il parlait de ses origines catalanes avec fierté.
Si c’était à refaire, je ne sais pas s’il grimperait toujours vers l’est.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)