Cimetière des cholériques (source : blog de Tarambana)

On tombe parfois sur de sacrés documents.

Celui-ci fait 138 pages et décrit par le menu le choléra de 1849.

On s’y croirait et on prend peur.

C’est d’une telle richesse que je ne sais même pas comment le présenter.

Je voulais évoquer le cimetière des cholériques installé dans le ravin de Raz el-Aïn, et me voilà avec un drôle de témoignage.

Celui du Chanoine Mathieu, écrit en 1899, qui remémore les origines du pèlerinage de Santa-Cruz pour les lecteurs de la Semaine Religieuse.

Présentation de l’évêque de l’époque, Édouard-Adolphe Cantel (1898 – 1910) :

« Au milieu des préoccupations incessantes de votre laborieux ministère, vous avez su trouver le temps d’écrire l’histoire de notre grand pèlerinage de Santa-Cruz. Après en avoir donné la primeur aux lecteurs de la Semaine Religieuse, que ce récit a vivement intéressés, vous avez maintenant la pensée de réunir ce beau travail en une élégante brochure, pour la répandre ici et au loin dans tous les foyers chrétiens. Votre Évêque ne peut qu’applaudir à votre heureuse initiative et bénir ce nouveau mode d’apostolat.« 

Apparemment, ce petit livre était destiné à quitter Oran pour gagner la France, en échange de la construction de la Cathédrale du Sacré-Coeur.

Il est vrai que depuis 1875, l’emplacement de la cathédrale était réservé par l’administration des Domaines, et qu’il fut enfin affecté à un édifice de culte catholique par un décret du 11 septembre 1899.  (Wikipedia)

C’est Jules Bouissière, Vicaire général, qui le glisse en fin de préface, le 8 décembre 1899. Il est probable qu’on soit plutôt dans la métaphore.

« Pars donc, cher petit livre, pour la France et porte sur ses rives enchantées la brise embaumée de notre terre algérienne, avec les bénédictions que l’Immaculée a répandues sur ces bords. Et puisque nous l’offrons pour servir de rançon et de prix à la Cathédrale du Sacré-Coeur qui va s’élever ici comme un nouveau Montmartre, reviens-nous transformé en or de la charité française qui renaît, comme le sphinx, de ses cendres et enfante des miracles. »

Emplacement du cimetière des cholériques (source : plan téléchargeable sur le site Oran des années 50)

Le texte est divisé en deux parties:

La première traite des origines du pèlerinage et présente Oran en 1849 sur 50 pages. Elle y décrit en détail le choléra qui sévit du 11 octobre au 17 novembre 1849 (1817 décès déclarés à l’état-civil).

La seconde explique comment le pèlerinage s’est mis en place par la suite. Je ne rentrerai pas dans les détails.

Ce sont des morts qui tombent de tous côtés.

« Chaque jour voyait se renouveler ces scènes de désolation, le fléau multipliait ses ravages, les cadavres s’amoncelaient partout ; les prolonges mises par Pélissier à la disposition de la municipalité passaient et repassaient dans toutes les rues, emportant à la hâte leurs funèbres fardeaux.

Au fond du ravin de Raz-el-Aïn on créa de nouveaux cimetières aussitôt insuffisants. Les fossoyeurs impuissants à remplir leur lugubre besogne, avaient été remplacés par des condamnés fournis par l’autorité militaire ; ils creusaient de vastes tranchées, dans lesquelles on déposait comme en une immense fosse commune, ceux que frappait l’épidémie.

Combien de parents dont les fils n’ont jamais su où reposaient leurs restes ! Ils ne leur ont pas même laissé la suprême consolation de pouvoir, dans leur douleur, prier sur leur tombe inconnue !

Ramassés hâtivement et enlevés bien vite par crainte de la contagion, ils dorment leur dernier sommeil dans un coin d’un cimetière abandonné, sans que rien ne rappelle à notre génération, facilement oublieuse, les innombrables victimes de l’inexorable fléau ! « 

Emplacement du cimetière des cholériques (vue extraite de Google Earth)

Il faut dire qu’à l’époque, on ne connaît strictement rien du choléra.

Rapport du Dr Alphonse Rendu, ancien interne et prosecteur des Hôpitaux de Paris, « Remarques sur l’épidémie de Choléra de 1849 » :

« Parmi les maladies épidémiques, le Choléra est une de celles dont on n’a pu jusqu’ici apprécier les causes, non plus que les circonstances sous l’influence desquelles il se développe. Nous le voyons envahir à la fois les pays les plus différents, et il devient alors difficile d’expliquer sa production par des conditions météorologiques identiques.

Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible de remonter aux causes qui le produisent, et nous sommes obligés de reconnaître notre impuissance à trouver, dans aucune des influences qui agissent sur l’homme, la raison de son développement ! »

Il est à Paris et décrit les mêmes horreurs que le Chanoine Mathieu à Oran. Le rapport date de 1849.

Le cimetière des cholériques dans le ravin de Raz-el-Aïn (source : blog de Tarambana)

1849, c’est la date exacte à laquelle Semmelweis comprend qu’il n’est pas inutile de se laver les mains avant d’aider les femmes à accoucher. Jusque-là, tous les médecins se demandent pourquoi les mères contractent la fièvre puerpérale après la mise au monde de leurs enfants.

Autant dire qu’on est loin de comprendre ce qui se passe en 1849 :

« La bactérie qui provoque le choléra, le Vibrio Cholerae, est particulièrement virulent et dévastateur. Après quelques heures à quelques jours d’incubation, le malade est pris de vomissements et de diarrhées très violents.

Sans traitement, le malade se déshydrate et perd des éléments indispensables au bon fonctionnement de son organisme, tels que certains sels minéraux. La mort survient chez un quart à la moitié des patients en moins de trois jours. » (source : santejournaldesfemmes.com)

Sauf que de nos jours, il suffit d’être hydraté en grande quantité pour survivre sans trop de souci. C’est d’ailleurs le problème.

Il faut pouvoir s’hydrater.

Ça a l’air tout simple, mais quand on sait que l’eau douce arrive à Oran en juillet 1952, on comprend toute l’étendue du problème en 1849, et l’hécatombe qui s’ensuit.

Il n’y a pas grand chose à faire : soit on est épargné, soit on meurt.

Ce que va mettre en lumière le Chanoine Mathieu à travers son texte, c’est le courage donné par la foi, et la grandeur des actes minuscules en temps d’épidémie qui valent bien les grandeurs militaires de Sidi-Brahim en temps de guerre.

« Mais il est un autre héroïsme moins brillant, qui passe le plus souvent inaperçu et qu’on ne saurait cependant trop exalter : c’est l’héroïsme de tous les instants, l’héroïsme obscur mais sublime du médecin, de l’infirmier, de la sœur hospitalière, du prêtre, de tous ceux qui, sans peur en face du danger, dévoués en face de la mort, donnent leurs soins, prodiguent leurs veilles, exposent leur vie, disputant leurs victimes aux fléaux et à la tombe.

Ils ne les laissent qu’après avoir tout sacrifié pour remettre à Dieu leurs âmes régénérées, quand ils n’ont pu les conserver à ceux qui les aimaient […] Je ne passe jamais devant le monument de Sidi-Brahim, sans envoyer un souvenir ému aux braves qui ont versé leur sang pour défendre le drapeau. Que je voudrais pouvoir donner aux nobles victimes, tombées au choléra de 1849, l’hommage que mérite leur dévouement ! « 

Et le Chanoine Mathieu d’abattre sa dernière carte pour démontrer la supériorité de la foi sur la noblesse des armes.

En rapportant la célèbre parole du Général Pélissier :

« Foutez-moi donc une Vierge là-haut« 

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).

*

Ce texte est dédié à Mgr Pierre Boz, décédé ce 15 février 2013, 4 ans jour pour jour après le décès de ma mère.

Qu’ils reposent en paix.



 

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