J’aime les personnes qui ont conscience que la réalité qui se présente sous leur yeux n’est qu’une représentation de leur esprit.
L’année dernière, lorsque j’enseignais les subtilités du cerveau à mes élèves, je leur montrais une photographie dans laquelle il devaient rechercher des visages perdus dans la forêt.
Je vous conseille de vous lever de votre chaise et de vous éloigner de 5 mètres. Ce sera plus simple.
De près, ce n’est pas évident. Il y a 12 visages.
Je l’ai fait ce week-end à mes filles ; ça marche à tous les coups. L’excitation monte très vite.
Mais je le faisais à mes élèves pour leur montrer que les yeux voyaient tout, que chaque petite poussière était sentie, et qu’il n’y avait rien de caché dans le monde.
Et je leur disais : le véritable problème, ce n’est pas le monde, c’est vous.
Ça les faisait rire, et moi aussi.
Le problème, c’est qu’à partir des informations qui lui parviennent, le cerveau tente une modélisation 3D du monde. Histoire de pouvoir agir sur son environnement… ou déguerpir si nécessaire.
Tous les philosophes du monde sont là pour montrer à quel point le cerveau fait à peu près n’importe quoi, et qu’il n’est pas à une contradiction près.
Conclusion : on peut vraiment douter de ce qui se présente sous le regard.
Les peintres les plus célèbres le sont parce qu’ils tentent de court-circuiter le travail du cerveau pour accéder aux sensations originelles.
Exemple type : les nymphéas.
Internet est impuissant à montrer ça : on voit toujours des nymphéas.
Dans la réalité, si on s’approche des tableaux de Monet, on ne voit plus que des tâches. On ne reconnaît plus rien. Si on s’éloigne, hop, les nymphéas réapparaissent. Si on s’approche, ils disparaissent à nouveau : sensations originelles.
Expérience à faire.
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Alors quand je tombe sur Maurice Furic, je suis heureux.
J’y vois quelqu’un qui n’idolâtre pas son monde.
C’est en cherchant une photo de la rue d’Arzew pour cet article que je suis tombé sur Maurice Furic.
Je suis bien resté 10 minutes devant la photographie à m’interroger sur cette étrange colorisation. Et puis j’ai cessé d’y réfléchir ; j’avais un article à finir et peu de temps devant moi.
Mais la question tourne dans ma tête depuis plusieurs semaines maintenant.
Quel sens se cache derrière ce genre de photographies ?
Maurice Furic semble se débattre avec la « réalité ».
Les photographies des années 50 ne lui conviennent pas, il les transforme.
Je ne sais pas s’il veut les enjoliver. J’imagine que oui. En tout cas, les photographies colorisées lui apportent plus de plaisir que les photographies d’origine.
Il éprouve le besoin de modifier la « réalité » des photos des années 50. Il transforme sa famille, la ville et les cartes postales, peut-être pour retrouver les couleurs algériennes de ce qu’il a connu.
Manifestement, il y arrive davantage en déformant la « réalité » .
J’apprécie cette démarche qui met de côté les représentations communes.
Peut-être Maurice Furic s’approche-t-il ainsi de ses propres sensations originelles.
Existe-t-il autre chose ?
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).
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NB1: Certaines cartes du début du siècle étaient colorisées. Peut-être ne faut-il pas aller chercher plus loin. Recto et… verso d’une carte postale de la Pharmacie du Théâtre, place d’Armes, datée du 26 décembre 1925.
NB2 : Plus tard, au moment de photographier la statue de Perissac, j’ai moi aussi éprouvé le besoin de coloriser les images, sans me rappeler le travail de Maurice Furic. La colorisation oblige à chercher, à remettre en question l’image dite « naturelle », pour tenter de trouver quelque chose de plus profond, qui échappe au regard.