Il y avait aussi le patio Calabaza.
A côté de la très belle photo de la Dame de Landini.
On va finir par croire que je suis nostalgique de ce que je n’ai pas connu. Impossible. Je ne suis nostalgique de rien du tout, j’ai le regard tourné vers l’avant, et depuis toujours.
Je regarde seulement comment se construit une ville, comment elle se détruit aussi, et comment le temps métamorphose les lieux par l’entremise de guerres, de séismes, ou de trombes d’eau qui dévalent les rues comme jeudi soir (25 avril 2013)
«Nous avons peur, nos habitations ne résistent plus à la moindre rafale du vent, les eaux s’infiltrent de partout », a déploré un occupant d’une vieille bâtisse au centre-ville d’Oran. Il ajoute qu’au moindre changement climatique, les effondrements et les fissures des dalles et des murs susceptibles de causer des dégâts ne sont pas à écarter. […]
À Derb, tout comme à El Hamri, Plateau et Saint-Antoine, M’dina Jedida, le spectre des effondrements est revenu plus pressant d’autant que la question du vieux bâti et des habitations précaires continuent à être les sujets dominants de l’actualité oranaise, notamment lors des grandes précipitations. (article de septembre 2009)
Et il n’y a pas besoin de chercher bien longtemps pour se rendre compte que ce genre de catastrophes arrivent très régulièrement, une ou deux fois par an, des vidéos spectaculaires sont à disposition un peu partout. Celle-ci, par exemple, a été filmée en novembre 2011.
On comprend que la Marine basse n’ait pas tenu le choc.
Dans les années 70, les maisons tombaient toutes seules, le quartier avait été déserté puisque les appartements en ville étaient devenus libres ; il n’était plus entretenu, il était en pente, et il se trouvait sur un terrain argileux.
Autant dire que s’il a été rasé dans les années 80, c’est qu’il ne tenait plus debout tout seul, et qu’il devenait même dangereux pour ceux qui passaient en contrebas, rue d’Orléans. (Hypothèse malgré tout.)
Résultat, les patios sont passés à la trappe, et Gilbert Espinal évoque un monde englouti sous les eaux :
« La cour représente le patio à Angustias, un vieil immeuble de la Calère.
Au fond, s’étagent, sur le flanc de la colline de Santa Cruz, d’autres maisons : balcons fleuris, linge étendu, soleil. La forêt de pins monte jusqu’au fort de Santa Cruz.
Tous les appartements des voisins d’Angustias donnent de plain-pied sur le patio, sauf celui de Monsieur et Madame Sacamuelas, qui est situé à l’étage.
Sur le côté gauche, se trouve le logement d’Angustias et Bigoté et de leur fille Martyrio. Au fond, à gauche, celui de Consuelo. Au fond, à droite, celui d’Amparo et de son mari. Dans l’angle droit se situe la porte d’entrée du patio.
Sur le côté droit, un escalier mène à la demeure des Sacamuelas : sous cet escalier, s’ouvre la porte de la grand’mère et de la Golondrina.
Devant chaque porte, on remarque un baquet avec sa planche à laver. Géraniums et bégonias en pot et en caisse aux fenêtres et le long des murs.
Des cordes sont tendues auxquelles sont accrochées différentes pièces de linge. » (Gilbert Espinal – Début de la pièce « Le patio à Angustias »)
Gilbert Espinal décrit un patio du côté de la Calère, on croirait une description du tableau de Martin Ruiz. Mais c’était la même chose du côté de la Marine.
Il suffit d’aller faire un tour sur le blog de Tchoumino (qui n’est pas toujours très facile d’accès, il faut insister) et de fouiller un peu pour trouver quelques perles comme ce plan tracé à la main. (Merci Annie)
On peut déjà compter sept patios, et il faudrait rajouter le patio Calabaza (rue de Lodi) ainsi que celui du croisement de la rue d’Orléans et de la rue St-Marie ci-dessous. (Ne pas hésiter à me contredire dans les commentaires si besoin, je corrigerai).
Et si on regarde bien les patios qui se trouvent entre la rue Leoni et la rue de l’Arsenal, on remarque qu’il y a souvent deux entrées, une dans chaque rue.
Mais les patios n’ont pas toujours été des patios, Toinou Gellardo raconte sur le site de la Marine d’où provient le Patio Pastama, le plus à droite sur le plan parmi les 4 patios contigus de la rue de l’Arsenal.
« Le patio de la « Pastama » était situé à la Marine entre le 10 de la rue de l’Arsenal dans sa partie haute et le 19 de la rue Lodi dans sa partie basse. C’était, à l’origine, un Palais Espagnol composé de 2 étages à l’air libre et de 2 étages, aveugles de lumières naturelles et artificielles.
Entre ces deux parties existait une très belle cour avec un lavoir et un jardin doté d’un puits et deux bassins d’eau douce provenant des Planteurs. Cette construction datait du début du 19e siècle, comme l’attestait une peinture du plafond de ma chambre signée et datée de 1810.
Ce magnifique patio comportait 16 appartements et comprenait dans la rue de Lodi de vastes écuries, transformées, plus tard, en un atelier de construction de bateaux de pêche, puis en garage pour voitures.
Les deux étages inférieurs étaient constamment dans le noir ; immenses en hauteur comme en longueur, ils étaient impressionnants par la peur et l’angoisse qu’ils communiquaient. Beaucoup d’histoires et de légendes fantasmagoriques se racontaient à propos de ces lieux. »
En résumé, les petits gars des Bas-Quartier que les nantis du Centre-Ville regardaient avec condescendance, le coude négligemment appuyé sur la rambarde de la promenade de Létang, ces petits gars vivaient dans des palaces espagnols avec peintures au plafond et clapotis d’eau douce dans la cour, pour s’endormir en douceur, fenêtres grandes ouvertes sur les effluves du port.
Évocation romantique d’un lieu qui ne l’était probablement pas.
Mais j’aime la photographie du petit garçon qui se trouve dans l’entrée du Patio de Calabaza ; le photographe reste extérieur, l’enfant fait le lien avec la cour intérieure, et une femme penchée étend du linge.
Regard intime et digne à la fois.
Le palace des modestes.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)
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NB1 : ci-dessous une vidéo extraite d’un documentaire Arte dont j’aimerais bien trouver le titre. On y aperçoit fugitivement des traces de patios, et on y sent peut-être ce qu’était la Marine, ainsi que le Quartier Juif. C’était bien les Bas-Quartier. Pas grand-chose à voir avec Kargentah, sur le plateau, me semble-t-il.
Je ne suis pas tout à fait sûr que c’était « la démocratie sociale » et que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais il y avait du mélange, ça c’est certain ! Et comme c’est une vidéo qui évoque les musiciens de l’époque, je renvoie à la fois à Reinette l’Oranaise et à Maurice el-Medioni (superbe vidéo-concert au bas de l’article sur la chanson « Bienvenue »).
NB2 : Je glisse ci-dessous une galerie de photos qui sont en fait des captures d’écran du documentaire diffusé sur Arte. Je ne sais pas toujours à quoi correspondent les rues (malgré les nombreuses aides sur Facebook) donc si vous reconnaissez quelque chose, n’hésitez pas à l’écrire dans les commentaires. Merci.