C’est en discutant avec Toufik que je suis tombé sur ces photos d’Oran.
Elles datent du deuxième semestre 1963.
Et détonnent complètement dans l’iconographie habituelle de la ville. Il y a une réalité brute qui permet d’accéder à quelque chose.
A quoi, je ne sais pas trop, mais on a des images fortes sous les yeux, c’est une évidence.
Je crois que la première chose qui m’a frappé -et que je n’avais pas saisie jusque-là- est la couleur de la terre : rouge.
El Hamri. Terra rossa. Grands plateaux karstifiés au sol argileux rouge sur terrain calcaire.
Aucune photo actuelle d’Oran ne montre une telle couleur. Et pourtant, le sol n’a pas du changer.
La couleur que j’avais dans les yeux jusqu’ici correspondait au bleu. Probablement à cause de photos comme celle-ci qui correspondent surtout à des dépliants touristiques.
Les photos de l’aviateur Jean Bonnemaison font partie de la collection Roseline Mas et se trouvent sur le site « Oran des années 50 ».
C’est une collection jeune puisqu’elle n’a été mise en ligne qu’en février 2012. La présentation permet de remettre les choses en contexte, l’Aviateur Jean Bonnemaison était en mission à La Sénia en octobre-novembre 1963.
Les photos au sol sont intéressantes, mais les photos d’avion sont juste exceptionnelles.
En revenant en France, en 1962, mon père avait adoré jouer au foot sur de l’herbe. Je commence à comprendre. Il suffit de regarder à quoi ressemblait le terrain du stade municipal pour saisir le problème.
Oran n’est pas fait pour les vaches.
Si j’avais lu Maupassant en 1884, j’aurais mieux compris :
« Pour aller d’Alger à Oran il faut un jour en chemin de fer. […] Le train roule, avance ; les plaines cultivées disparaissent ; la terre devient nue et rouge, la vraie terre d’Afrique. L’horizon s’élargit, un horizon stérile et brûlant. Nous suivons l’immense vallée du Chelif, enfermée en des montagnes désolées, grises et brûlées, sans un arbre, sans une herbe.
De place en place la ligne des monts s’abaisse, s’entrouvre comme pour mieux montrer l’affreuse misère du sol dévoré par le soleil. Un espace démesuré s’étale, tout plat, borné, là-bas, par la ligne presque invisible des hauteurs perdues dans une vapeur.
Puis sur les crêtes incultes, parfois, de gros points blancs, tout ronds, apparaissent, comme des œufs énormes pondus là par des oiseaux géants. Ce sont des marabouts élevés à la gloire d’Allah. »
Je me demandais pourquoi j’adorais l’Espagne.
Je ne me le demande plus aujourd’hui. C’est très exactement la même chose : on roule pendant des heures, et entre deux villes, c’est le grand désert aride. Par-ci par-là, de temps en temps, on rencontre quelques petits villages avec leur clocher catholique en lieu et place des marabouts, mais c’est la seule différence.
Mais parmi les incroyables photos de l’Aviateur Jean Bonnemaison, il y en a une qui m’a totalement désorienté, au sens premier du terme : je ne savais plus où je me trouvais.
Toufik était par là, je lui ai fait part de ma perplexité.
« La photo est prise d’avion et de façon inclinée. On est au niveau du Murdjajo, on lui donne le dos juste au dessus des Planteurs, assez éloigné de la mer, en face du Camp St-Philippe. On voit bien le ravin de Raz el-Aïn qui se remonte de gauche à droite (nord au sud).
Les lumières du soleil sur les édifices témoignent du coucher qui s’approche. C’est une photo prise en fin d’après-midi.
Au 1er plan, il y a un petit minaret ; au milieu on a une grande barre avec 4 petites tours devant, c’est la cité dar el-Hayet, à côté du Palais des Sports ; juste derrière, c’est le cimetière juif à 100 mètres de la Ville Nouvelle. »
Finalement, après avoir pas mal bataillé, c’est de l’autre côté que j’ai fini par trouver des repères et mieux comprendre la photo ci-dessus.
Yann Arthus Bertrand peut toujours s’accrocher.
Je lui préfère Jean Bonnemaison.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)