J’écris sur ce blog depuis maintenant deux mois.
Je suis bloqué dans un train qui part vers Paris et je n’ai accès à aucune source d’informations, que ce soit ma bibliothèque ou Internet. C’est parfait. Je vais pouvoir faire un retour sur deux mois d’écriture et de rencontres.
Je n’imaginais même pas tout ça il y a huit semaines. Hubert, Tewfik, Luc, Kamel, Emile, Jame, Toufik, et j’en passe avec qui j’ai souvent eu de grandes discussions comme Claude ou Lionel.
Je n’en connais aucun physiquement, et pourtant, ils sont tous là. Autour de moi. A me soutenir, à me stimuler ou tout simplement à répondre à mes perpétuelles interrogations.
Je suis sans cesse en ébullition et la grande difficulté est surtout de gérer ma schizophrénie, de continuer à travailler tout en ayant la tête à Oran, Lyon, Buenos Aires ou Masseube. Dans deux semaines, ce sera terminé. Je pourrai consacrer 100% de ma tête à réfléchir à cette drôle d’histoire.
Fin juin, je vais voir Toufik à Paris pour serrer la main d’un être qui touche quotidiennement les murs d’Oran. Premier contact avec la ville réelle.
Puis dans la foulée je pars à la rencontre des pieds-noirs au colloque de Masseube.
Il y aura des historiens, mais je l’avoue, ils ne m’intéressent plus. Je connais l’essentiel à connaître des combats qui se mènent. Ils sont légitimes, je les respecte, ce sont des choses importantes, mais ce n’est pas pour moi.
La seule raison qui me porte vers Masseube tient en une question : comment les pieds-noirs de ma génération ont-ils survécu aux ravages de 62 sur leurs parents ?
Est-ce qu’ils ont eu droit :
à ça ?
à ça ?
à ça ?
Normalement, il y aura des personnes de moins de 50 ans. Je l’espère vraiment. Et j’espère surtout que tous ne seront pas des nostalgiques de ce qu’ils n’ont pas connu, que certains questionneront leurs parents, que d’autres questionneront leurs enfants, et que beaucoup se demanderont pourquoi ça a si mal collé dans leur famille.
Mais je crains la déception.
Je crains vraiment le blackout. La bienpensance. Le vide absolu. Et puis la kemia et le mechoui pour finir dans la bonne humeur et à l’année prochaine si tout va bien ou dans 10 ans avec des morts plein la charrette et peu de chance de parvenir à de la transmission.
Les anciens ont monopolisé la parole et fabriqué des mythes. Les alborans (c’est comme ça que j’appellerai désormais ceux qui sont nés en France de parents pieds-noirs en hommage au pays de nulle part qui est ma vraie patrie) n’ont qu’à se débrouiller avec ces mythes en carton (Les pionniers ou la fraternité des peuples).
La vérité, c’est que les alborans se débrouillent déjà fort bien avec tout ça, ils s’en fichent royalement. Ce n’est pas mon cas, mais ça l’était il y a peu de temps et ça aurait pu le rester longtemps. L’Algérie Française leur passent totalement au-dessus de la tête. Ça prouve à quel point ils ne sont dupes de rien. Je ne l’étais pas non plus.
Tant que la transmission ressemblera à une kemia, les alborans iront choisir leur apéro ailleurs.
Je vous fais passer le message : Les alborans ont autre chose à faire qu’à perdre leur temps avec ce genre de mascarades. Un bon nombre d’entre eux ont eu de gros soucis avec leur ascendance. La kemia, le mechoui et les makrouds n’y ont rien changé. Les alborans aimeraient maintenant pouvoir discuter d’autre chose que de De Gaulle ou de cuisine. Ils aimeraient savoir s’il y a une place pour eux dans cette Histoire, ou si tout s’arrête définitivement en 62.
Auquel cas, pour ma part, je ne suis pas concerné. Et j’ai bien peur qu’ils ne le soient pas non plus. Ce sont des choses importantes, mais qui les excluent. Les alborans, c’est après 62. Leur histoire se trouve là. Il s’est passé beaucoup de choses entre 1962 et 2012, et ils étaient dedans.
Ils n’ont pas rigolé tous les jours. Ils aimeraient bien en discuter. Et surtout pas pour régler des comptes. Ils s’en fichent. Ils n’en sont plus là depuis longtemps. Ils aimeraient juste comprendre pourquoi ils ont eu tant de problèmes, eux aussi, alors qu’ils n’y étaient pas.
Voilà.
Un blog comme celui-ci vaut ce qu’il vaut mais il n’est pas tourné vers le passé pour le passé. C’était la base.
- Il est tourné vers les pieds-noirs qu’il n’a jamais laissés sur le chemin.
- Il est tourné vers les algériens parce que personne ne lui en a parlé.
- Il est tourné vers Oran parce que la ville est toujours là.
- Il est tourné vers l’écriture parce que les mots sont les outils de la transmission.
Un blog comme celui-ci est tourné vers le présent. Il est un support de transmission. Il n’est pas là pour faire joli. Il regarde aussi comment s’est faite la transmission.
La transmission, c’est ce qui s’est passé après 62.
Entre les parents et les enfants.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)