Porte du caravansérail d’Oran – Promenade de Létang (Source : Guy Montaner)

Drôle d’histoire que celle du caravansérail d’Oran.

Qui n’a jamais servi de caravansérail.

Qui a été détruit à la fin du XIX° siècle.

Mais qui a quand même gardé ses portes d’entrée et de sortie.

Sauf que l’une d’entre elle s’est fait voler par les Américains après la guerre (drôle de légende) et que l’autre a été réinstallée Promenade de Létang en 1955, avant de s’effondrer en novembre 2001, un jour de grosse tempête.

Aujourd’hui, les blocs sont éparpillés aux quatre coins du parc, à l’abandon.

Quelque chose comme une existence imprévisible, confrontée aux vicissitudes du ciel et de la terre, en décalage total avec l’idée de départ.

Le caravansérail d’Oran – L’idée de départ (source : le coin du Popodoran)

S’il s’était agi de quelqu’un, on aurait pu parler de destin, mais il s’agit d’un bâtiment. On relatera donc l’histoire, sans trop y mettre d’affect, juste pour s’étonner de tant de changements, bien qu’à Oran le changement soit la règle éternelle.

Étymologiquement, un caravansérail est un hôtel à caravanes.

« Un caravansérail est un bâtiment qui accueille les marchands et les pèlerins le long des routes et dans les villes. Selon les endroits, le nom change : dans le monde iranien, il s’appellera plutôt khan (han en turc) alors qu’au Maghreb, c’est le mot funduq qui est le plus couramment employé. On pourrait comparer le caravansérail à un relais de poste en Europe ou à un ryokan au Japon.

Un caravansérail est toujours fortifié, et comporte à la fois des écuries (ou des enclos) pour les montures et les bêtes de somme, des magasins pour les marchandises et des chambres pour les gens de passage. Il est fréquent que les magasins se trouvent au rez-de-chaussée et les chambres au premier étage. » (source Wikipedia)

A L’angle du boulevard Maata et du boulevard de l’Industrie, le cirque en dur (de la rue du cirque où se trouve le caravansérail) qui a brûlé au début du XX° siècle.

Dans Récits autour d’Oran, Edgard Attias rapporte les paroles d’un certain Dr Gustave Léon Joseph Sandras, auteur du livre Histoire des hôpitaux d’Oran, qui explique qu’à l’époque, la lutte avec les tribus d’Abd-el-Kader était d’une telle violence que les marchands osaient à peine s’aventurer jusqu’à Oran.

La ville a donc fini par construire un caravansérail pour les rassurer. Il fallait absolument les accueillir ; il n’y avait parfois que 8 jours de pains en réserve pour toute la population par manque d’approvisionnement.

La construction du caravansérail date de 1848.

En théorie, l’idée de sa construction est plutôt bonne, dans la pratique, c’est sans compter sur le choléra de l’automne 1849 qui va changer la donne. On transforme vite fait le caravansérail en hôpital St-Lazare le 20 octobre 1849 et on essaie de limiter les dégâts. Mais seule la petite Leoni saura briser le choléra en appelant la pluie le 4 novembre 1849.

Le caravansérail pansera surtout les plaies.

Jusqu’à sa destruction lors d’un incendie en 1883. De toute façon, un hôpital neuf venait d’être construit, celui qui se trouve actuellement près de la gare.

Edgard Attias précise : « Par la suite, les vestiges du caravansérail connurent plusieurs locataires, notamment le cirque Benayon. » D’où la rue du cirque, j’imagine.

La rue de Loeb (ex. rue du cirque)
Le caravansérail dans la rue du cirque avant le transfert de l’une de ses portes promenade de Létang (source sur le coin du Popodoran)
La rue de Loeb aujourd’hui – Immeuble blanc à la place du caravansérail (Photo Abdelbaki Fellouah)

Quand on y réfléchit deux secondes, on se rend compte que ce caravansérail n’a pas vraiment de sens, et qu’il existe surtout dans la mémoire collective parce qu’un jour de 1955, la seule porte qui restait (la porte d’entrée ou la porte de sortir d’ailleurs ?) fut déplacée pierre par pierre pour être installée dans un coin du jardin de Létang.

On peut dire que c’est à partir de ce moment-là que le caravansérail s’extrait de la mémoire des historiens pour s’installer dans la mémoire populaire.

Les deux portes qui se trouvaient rue du cirque, entre le boulevard du 2ème Zouaves et le boulevard de l’industrie, étaient-elles des portes connues et admirées de toute la population oranaise comme pouvaient l’être le théâtre et la cathédrale ? J’en doute fort.

Par contre, à partir du moment ou l’une des deux portes se retrouve promenade de Létang, elle acquière une tout autre dimension, dans le paradoxe absolu, puisqu’elle n’a strictement plus rien à voir avec le caravansérail d’origine.

Il ne lui reste plus que le nom.

Elle est seule, démontée et remontée, orpheline du reste de la construction elle-même disparue, exilée à jamais sur les bords d’un jardin de la ville, face à la mer.

Elle est maintenant un objet désincarné devant lequel les familles se font photographier.

Une construction idéale qui flotte dans un joli jardin de 1955. Hors de toute réalité. Très éloignée du lieu qui lui a donné naissance, encore plus éloignée du rôle qu’elle n’a jamais tenu, mais dans un rôle malgré tout, une sorte de vieille grand-mère qu’on visite le dimanche.

En 1962, les petits-enfants de ceux qui l’ont construite en 1848 quittent la ville, et la porte entre en solitude. Exilée de tout sens.

Elle dépérit doucement entre 1962 et 2001. Puis s’effondre un jour de tempête. Les blocs se dispersent.

10 ans plus tard, on en retrouve un peu partout dans le jardin.

Si ce n’est pas un destin, ça y ressemble fort.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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