Le mardi 26 juin, France 3 diffusait un reportage (Hélène Cohen – Algérie 1962 – L’été où ma famille a disparu) que j’ai déjà eu l’occasion de chroniquer. Je ne reviendrai pas sur le fond, je m’attacherai comme d’habitude à relever l’aspect minuscule des images qui ont traversé l’écran.
Hélène Cohen part à la recherche des membres de sa famille qui ont connu son père et plus encore, la sœur de son père et ses parents, disparus entre Beni Saf et Oran en juin 62.
Et le voyage dans lequel je suis embarqué ce soir-là n’est pas celui d’images d’archives colorisées qui inspirent le mystère mais celui plus intime des appartements et des vieilles dames pieds-noirs.
Je ne l’ai pas compris tout de suite tant le sujet d’un reportage s’impose toujours en lieu et place des signes qui le supportent.
Mais l’esprit reste toujours attiré par les signes.
Une boite aux lettres bizarre, une marche d’escalier plus petite que les autres, ou une citrouille posée sur le recoin d’une table.
Lassé des grandes idées depuis longtemps, je suis involontairement devenu très attentif au petit objet qui passe au milieu de la route, à la couleur d’une porte, au tableau accroché au mur, ou à la posture d’une vieille dame qui parle.
J’écoute de moins en moins ce qui se dit ; je regarde de plus en plus ce qui se passe.
J’ai bien dû mettre une demi-heure à remarquer que je voyais ma grand-mère en train de parler dans son appartement. Il a fallu que je tombe sur une vieille dame au dos voûté dans un petit appartement pour que je me réveille : tout ce qui venait de passer sous mes yeux depuis une demi-heure était marqué par ces postures et ces appartements.
Des vieilles dames au dos voûté dans des appartements modestes.
Une grande simplicité dans tout. Aucun discours surfait devant la caméra. Un certain retrait même, qui rend Hélène Cohen trop intellectuelle, à la recherche d’un monde qu’elle ne retrouvera pas.
Ce monde-là n’est pas tant le monde des événements historiques intellectualisés que celui des exilés du quotidien. Petits objets de rien du tout posés sur les buffets, horloges rococos, photos de famille, corbeilles de fruits, et plateaux de cuivre.
Il ne faut pas trois heures pour se rendre compte qu’il n’y a rien derrière la table, que tout se trouve dans l’air, fantômes et terres invisibles à la caméra, aussi lourds à porter que des souvenirs d’enfance, portés malgré tout dans le sourire, par égard pour Hélène Cohen.
Par égard pour le présent.
Mais le dos voûté.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)