Au royaume des merveilles disparues, il y a le musée Nessler.
Il est un peu aux musées d’Oran ce que le Casino Bastrana est aux théâtres, une légende fantomatique.
Un bâtiment dont on entend parler, qui ère dans l’histoire de la ville, mais qui n’a plus de réalité sensible.
On pouvait le trouver Boulevard de l’industrie, à deux pas d’un autre fantôme tout aussi légendaire, le caravansérail.
Pour être précis, l’entrée se trouvait Boulevard de l’industrie, à la sortie de la rue du cirque. (voir carte un peu plus bas dans l’article)
Il suffit de regarder le musée Nessler pour se rendre compte qu’on a affaire à un musée hors du commun, totalement inclassable, et peut-être même un brin démesuré.
Il s’agit d’une demeure pompéienne.
Quand on en arrive à ce genre d’incongruité, on doit aller chercher plus loin qu’un soi-disant renouvellement des arts dans l’Ouest algérien, qui me parait tout à fait inapproprié dans le cas Nessler.
Il y a chez ce Monsieur Nessler une capacité que je reconnais assez bien pour la pratiquer moi-même à mes heures perdues, celle de fantasmer très fort autour d’une ville ou d’une époque révolue, dans le seul but de recréer par l’esprit un monde imaginaire où chaque ancêtre revient à la vie et se promène à nouveau dans des lieux familiers.
Donc Monsieur Nessler se fait construire une demeure pompéienne, sur un domaine acheté à la fin du XIXème siècle grâce à l’argent de son affaire d’importation de bois norvégien, et décide de l’aménager à son goût.
Constant Louis Nessler naît à Paris en 1856 et part pour l’Algérie à 25 ans, d’abord pour s’installer à Alger, puis très vite, à Oran. Mais ses racines sont lointaines.
Il est issu d’une famille protestante de Strasbourg qui émigre en Autriche lors de l’Édit de Nantes en 1685, et dont une partie revient plus tard en Alsace, puis à Paris. Son frère aîné Jules est resté à Vienne où il est devenu directeur de la Compagnie Impériale et Royale « Vienne-Trieste ». (source Geneviève Nessler-Pont)
Je ne sais pas si Constant Louis Nessler avait l’intention de rejoindre l’Autriche un jour ou l’autre, mais à partir de 1867, l’Empire d’Autriche est défait et devient un double monarchie : l’Autriche-Hongrie.
Son Empire disparaît, et voilà Monsieur Nessler qui se met à fantasmer autour du premier de tous les Empires, le Romain.
Hypothèse toute fantaisiste mais suffisamment séduisante pour être prise en compte durant quelques lignes.
Dans son livre « Récits autour d’Oran », Edgard Attias résume en quelques mots ce que pouvait être ce musée :
« Nessler était avant tout un philanthrope dont l’âme généreuse pouvait seule, vers 1900, lui permettre de réaliser une entreprise considérée comme folle. Il mit à la disposition de la population deux magnifiques salles remplies de tableaux de peinture, d’aquarelles, de pastels, d’ouvrages de bois, de bronze, d’émaux qui formaient un ensemble éclectique favorable à l’étude de l’art ;
Un jardin de style gréco-romain ponctué de sculptures remarquables, avec une scène en plein air pour les représentations classiques et un emplacement destiné aux danses rythmiques ; une salle de musique et de conférences ; une autre réservée aux œuvre des peintres orientalistes ; une bibliothèque, enfin, très judicieusement montée. »
Nessler est consul (commercial) Impérial et Royal d’Autriche-Hongrie (donc il s’est fait à la disparition de l’Empire d’Autriche), puis plus tard, consul du Pérou et de l’Uruguay. Il voyage un peu partout et ramène des œuvres pour son musée du Boulevard de l’Industrie.
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Il accueillera les grands de ce monde, à commencer par guillaume Apollinaire tombé amoureux d’une certaine Madeleine Pagès, qui séjourne à Oran du 26 décembre 1915 au 10 janvier 1916.
Il y aura aussi la belle Sissi impératrice, la Reine Ranavalona III, ou encore Vincent d’Indy, compositeur.
Dans quelle mesure ce musée correspond-il aux besoins de la population oranaise, on peut se poser la question, d’autant plus qu’il n’était pas vraiment connu de ses habitants, davantage tournés vers le Musée Demaeght, Boulevard Paul Doumer.
« Nessler est mort en 1947, et à peine trois ans après, son œuvre s’étiole. Déjà durant les dernières années de sa vie, le musée qui porte son nom avait perdu de son faste d’antan et bon nombre d’Oranais ne le connaissaient même pas. » (« Récits autour d’Oran », Edgard Attias)
Le musée Nessler était totalement anachronique, ne correspondait à aucun besoin de la population, et relevait du seul fantasme de son propriétaire obnubilé par la question de ses origines et la grandeur d’un empire déchu.
Personne ne s’y est intéressé par la suite. « C’est un bâtiment oublié et laissé à l’impitoyable morsure du temps, ce sont des œuvres livrées aux intempéries. »
Le musée a ruiné Constant Louis Nessler.
En 1962, le jardin n’existe déjà plus et la légende veut qu’un lycée ait été construit à son emplacement. A vérifier.
Ce qui n’est plus à vérifier par contre, c’est qu’un petit fantôme hantait les lieux depuis déjà pas mal de temps, et ne présageait rien de bon pour la demeure pompéienne.
Mes amitiés au chat noir du musée Nessler.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?).
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