Louis-Ferdinand Céline (à gauche) en compagnie du journaliste André Parinaud, à Meudon, en 1955 – Photographie Bernard Lipnitzki Roger Viollet (et Bébert le chat !)

Un ami pied-noir m’a écrit aujourd’hui pour me raconter son plaisir de lire Louis-Ferdinand Céline.

Je lui ai répondu un long mail parce que Louis-Ferdinand Céline est pour moi un écrivain important.

Mais au fur et à mesure que j’écrivais, je comprenais qu’il y avait plus dans ce mail que de la littérature.

Il y avait un rapport au monde et puis une question.

Pourquoi ma mère avait-elle aimé Louis-Ferdinand Céline ?

J’ai connu Louis-Ferdinand Céline avant même de le lire, puisque je revois ma mère, professeur de français en collège, en train de travailler ses livres au fin fond d’un garage non chauffé à Pau, au début des années 80, pour préparer son mémoire de maîtrise. Le sujet traitait de l’absurde dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Quand elle est décédée, il y a trois ans, j’ai récupéré tous les livres de référence qu’elle avait collectés pour réaliser son travail. Il doit y en avoir une cinquantaine.

J’ai par la suite souvent entendu Louis-Ferdinand Céline en archive sur France Culture et j’ai même acheté un très beau DVD qui le montre chez lui. « Céline Vivant ». On voit l’écrivain interviewé dans sa maison. (Vous avez sur Youtube un long extrait de 14’58. Sautez-le sans scrupule si vous n’avez pas le temps.)

Il est assez drôle, émouvant, mais surtout mauvais comédien… Il construit un personnage en guenille qu’il a beaucoup mis en avant.

Probablement pour contrebalancer le personnage hystérique et laid qu’il fut pendant la guerre.

Mais si tout ceci a son importance, ce qui me reste véritablement de l’homme, ce sont deux ou trois petites choses qui n’ont jamais cessé de m’influencer et qui ont beaucoup à voir avec ce blog.

*

I)- De l’influence de Louis-Ferdinand Céline sur mes petits écrits

1 – Il considère La Fontaine comme le plus grand écrivain français.

A cause de la très grande musicalité de sa langue.

Louis-Ferdinand Céline regrette que l’histoire de la littérature en fasse toujours un moralisateur tout à fait adapté à la mission des instituteurs de la République (ma fille vient d’apprendre le corbeau et le renard et je lui ai expliqué pourquoi, selon certains, l’auteur était considéré comme le plus grand écrivain français. Je lui ai fait écouter la musicalité de cette fable quand on enlève les paroles, et qu’on s’attache seulement au rythme de la phrase).

J’écris à l’oreille. Le sens de la phrase arrive en second. Si la musique de la phrase ne colle pas, je change les mots… et tant pis si le sens en est changé. Il y a priorité absolue à la musique intérieure. Le réflexe en est devenu obsessionnel. Je ne pense pas le devoir à Céline, mais Céline m’en a donné l’autorisation morale. Evidemment, l’idéal est que le sens et la musique concordent. Comme dans La Fontaine.

2 – Je retiens aussi une vérité paradoxale apprise dans Voyage au bout de la nuit.

la lâcheté peut être signe de hauteur quand il s’agit de fuir la bêtise humaine (de la guerre par exemple).

Il y a, dans certaines conditions, une noblesse à la lâcheté. Quand un officier se met en travers de la route pour braver les balles, Bardamu regarde l’homme et se demande si son comportement est valeureux ou si ce n’est pas plus simplement de la bêtise. Il décide alors de fuir cette bêtise.

Sur cette idée-là, Louis-Ferdinand Céline est grand.

C’est quelque chose que je garde toujours au fond de moi. Par certains aspects, le monde pieds-noirs que j’ai connu enfant m’a paru dangereux, parfois lourd (je ne généralise pas,  je parle de mon environnement familial) et peut-être ai-je le droit aujourd’hui  d’accepter l’idée que fuir ce monde-là ne fut pas un déshonneur. Je ne sais pas. J’aurai toujours un doute.

3 – Et puis il y a le rapport entre la langue orale et la langue écrite.

Plus j’avance dans le temps et plus je suis sensible aux écrivains qui cherchent à faire entendre une voix.

Comme Hemingway. Ou comme l’écrivain sud-africain J.M. Coetzee.

Ou comme Louis-Ferdinand Céline.

Dans les deux cas, on entend le narrateur parler et donner son âme de manière très simple, comme s’il était là, à côté. C’est vraiment ce que je cherche à atteindre, maintenant. Qu’on entende ma voix comme si j’étais là, à côté du lecteur, et que je faisais part de quelques réflexions intimes.

Il s’agit donc de se dépouiller de tout effet de style superflu ; le style doit être au service de cette voix intérieure qui cherche à exprimer une certaine condition. Tous les articles que je fais sur ce blog tendent vers cet idéal.

Mais je ne suis ni Hemingway, ni Coetzee ; je ne suis qu’un blogueur.

 *

II)- Pourquoi ma mère avait-elle aimé Louis-Ferdinand Céline ?

Dans un petit texte envoyé à Lionel il y a quelques semaines, je me posais une question qui jusque-là ne m’était jamais venue à l’esprit : quel rapport ma mère entretenait-elle avec la France ?

Plus que l’Algérie, le vrai problème des pieds-noirs, c’est la France. Les pieds-noirs n’ont aucun problème avec l’Algérie d’ailleurs, ni même avec les algériens ; en revanche, ils ont un énorme problème avec la France. Et je crois fondamentalement que ce qui m’a été transmis par ma famille, c’est ce rapport ambiguë à la France.

Je ressens moi aussi ce décalage à l’égard d’une culture française qui, par certains aspects, m’est totalement étrangère.

Si je devais peindre en trois coups de crayon les caractéristiques intellectuelles de ma mère, je dirais ceci :

1 – Elle était professeur de français en collège.

2 – Elle passait son temps à lire des Stephen King et regarder des films d’horreur.

3 – Elle aimait Louis-Ferdinand Céline, l’écrivain le plus trouble de la littérature française, le plus trouble à l’égard même de la France.

Le moins que l’on puisse dire est que, dans ce parcours, le rapport à la France est ambiguë. On pourrait aussi se poser la question de l’absurde comme sujet de maîtrise.

On pourrait aussi se rappeler l’ambiguïté de Camus à l’égard de la France, et son rapport à l’absurde.

Pour l’instant, je cherche.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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