Peu à peu, je découvre certaines choses.

Mon grand-père maternel n’avait pas beaucoup de livres et je ne vais pas en sortir un tous les quatre matins. Je pense que c’est l’avant-dernier.

Celui-ci s’appelle « Miettes d’Amour ».

J’ai hésité à en parler parce qu’en cherchant un peu qui était François Molines, j’ai vu qu’il était d’Alger.

Ça m’a rappelé Jeanne Cheula qui était aussi d’Alger, mais qui avait passé les dix dernières années de l’Algérie Française à Oran, parce que son mari y était commissaire de police.

Impossible de trouver des renseignements biographiques sur François Molines. Par contre, ses livres sont assez nombreux et se trouvent toujours en ligne. C’est plutôt une bonne nouvelle.

Celui que j’ai sous la main s’appelle donc Miettes d’Amour et fait 150 pages aux Editions « Associations des Victoriens » . Il date du 3ème trimestre 1988.

Par contre, il y a un vrai problème d’édition : on ne peut décemment pas publier un livre aux caractères de papier machine.

Ça va pour des circulaires administratives qui ne sont pas longues à lire, mais pour des pages et des pages de poésie, c’est juste impossible. On ne peut pas fixer son attention. On déraille.

C’est dommage.

Parce que même si l’intérieur est un peu trop lyrique à mon goût, et sûrement pas au niveau de Jeanne Cheula, il y a une certaine sensibilité qui permet d’accéder à l’Algérie.

Fondamentalement, c’est la seule chose qui m’intéresse.

J’en ai déjà parlé à propos de Jeanne Cheula, l’écriture est un moyen extrêmement intime d’accéder à un ressenti de l’Algérie. C’est très compliqué d’obtenir une profondeur équivalente avec la photo ou le dessin.

C’est possible, mais tout le monde ne sait pas lire la peinture (moi le premier) alors que tout le monde sait lire l’alphabet.

François Molines a dédicacé de manière très personnelle son livre à mon grand-père. Ils devaient se connaître. D’où, je n’en sais rien. Et il n’est pas sûr que je le sache un jour.

Je ne pense pas que mon grand-père était investi dans la vie intellectuelle oranaise, mais je pense qu’il a côtoyé de manière indirecte certaines personnes qui l’étaient.

Donc il a deux livres dédicacés. Celui de Jeanne Cheula et celui de François Molines. Je n’en suis pas peu fier parce que ce sont des écrivains respectables.

Ils ont une sensibilité qui n’est pas la mienne mais ils ont une sensibilité, et ils arrivent à l’exprimer pour transmettre quelque chose de ce qu’ils ont connu et aimé.

Je n’en demande pas plus.

Et je remercie donc François Molines pour ces quelques miettes d’amour.

 

* * *

Le Bouzellouf

(Qui ne connaît les histoires de Djeha ? Elles appartiennent au folklore algérien.

Le bouzellouf est une délicieuse préparation culinaire typiquement algérienne. Lorsque la tête de mouton a été conditionnée comme il est dit ci-dessous, on la découpe en morceaux que l’on fait cuire dans une sauce à base de koumoun appelée « chtitja » .

On mange alors les ris, la langue, les yeux, la cervelle… C’est vraiment succulent.

Djeha signifie en Arabe : pauvre d’esprit.)

*

En fait, Djeha n’était pas aussi pauvre d’esprit que la légende l’a laissé croire.

Un jour, alors que Djeha n’était encore qu’un jeune garçon, son père lui dit :

– Djeha !… Tu vas aller à la ville m’ach’ter un’ têt’ de mouton. Tu la porteras chez le forgeron qui la fera griller et la dépiautera. Tu n’auras plus ensuite qu’à nous la rapporter. Je veux que ta mère nous prépare un bouzellouf.

Mon Djeha se rend donc à la ville voisine, achète une tête de mouton, la fait griller, dépiauter puis nettoyer par le forgeron. Et le voici sur le chemin du retour, fort satisfait de sa mission accomplie.

Djeha n’avait pas mangé le matin. Une faim d’ogre lui tiraillait l’estomac. Il se dit : « En somme, si je mangeais un p’tit peu d’cervelle, mon père ne verrait rien. »

Réflexion judicieuse ! Djeha pinça un petit bout de cervelle. Mais l’appétit vient en mangeant, ne le savait-il pas ? De petit bout en petit bout, toute la cervelle y passa. Il mordit ensuite dans la langue ; oh ! un tout petit peu… puis un petit peu encore… et encore un petit peu… si bien que la langue entière fut à son tour engloutie. Il en fut de même pour le ris… et pour les yeux.

Arrivé chez lui, Djeha ne présenta plus qu’un squelette de tête, affreux et grimaçant.

Son père, quelque peu ahuri, lui dit :

– Mais enfin, Djeha, mon fils ! Combien as-tu payé cett’ têt’ ?

– Je l’ai payée cinq francs, papa, un duro.

– Un duro pour une têt’ vide ! Mais comment ?… Cett’ têt’ n’a même pas de langue !

– Papa ! Il faut que j’t’explique. Le marchand m’a bien prévenu. C’est un mouton qui était muet. Il n’avait pas de langue… Tu comprends.

– Ah ! bon ! Il était muet, d’accord !… Et les yeux ?

– Euh !… c’est à dire.. qu’en plus d’être muet, il était également aveugle, le pauvre ! Un mouton aveugle et muet, quoi !

– Je n’ai jamais entendu parler de choses pareilles.

– Pourtant, c’est le marchand qui me l’a assuré. Ce n’est pas un menteur.

– Bon, d’accord, d’accord !… D’accord pour les yeux… d’accord pour la langue… mais les ris ?

– Il faut que j’te dise… Ce mouton, on l’a tué parc’qu’il avait un’ laryngite. Le ris, tu sais, il n’était pas bon. Le marchand l’a jeté.

– De plus en plus fort ! Enfin !… Il doit bien rester encore la cervelle ?

Alors là, Djegha eut une inspiration sublime :

– Ecoute, papa. Le marchand m’a dit : « Tu vois, Djeha… J’te vends cett’ têt’ à très bas prix. Un duro c’est pas cher. Mais tu sais pourquoi ?… Parc’que ce mouton, il était fou… il avait perdu la cervelle » .

[François Molines – Les Miettes d’Amour – 1988 – Le Bouzellouf – p67-68]

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)



 

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