Il y a des paroles d’une grande modernité :
« Les jardins sont les poumons de la ville : respectez les plantes qui vous aident à vivre »
Celle-ci arrive tout droit de l’ancien Arsenal de Kargentah, coincé entre trois bâtiments, et transformé le 8 mai 1958 en Jardin de la Roseraie, près du square Cayla.
Trouve-t-on toujours le panneau sur lequel sont tracées ces quelques lignes à l’entrée du jardin ? Je ne sais pas.
Mais le jour de l’inauguration, il y avait déjà sur ce terrain de près d’un hectare, une pergola garnie de rosiers grimpants, un bassin, une pataugeoire réservée aux tout-petits [..] 250 arbres, 1000 arbustes, 600 plantes vivaces et annuelles groupant plus de 60 espèces différentes. (Eugène Cruck dans « Oran et les témoins de son passé » – 2e édition mai 1959)
C’est ainsi qu’à la fin des années 50, Oran perd enfin sa fâcheuse renommée de « Cité sans ombre, sans arbres, sans fleurs, sans jardins publics. »
Il faut dire que la ville du XIX° siècle est particulièrement sévère avec ses nombreux ravins qui l’entaillent de toute part. Il n’y a qu’au fond des oueds que des jardins maraîchers sont cultivés, histoire de reverdir une ville toute faite de rouge (terre), jaune (bâtisses), et bleu (ciel et mer).
En 1957, tout a changé, les chiffres sont explicites (Eugène Cruck) :
– Superficie totale des parcs et jardins publics d’Oran : 430.000 m²
– Parc public municipal : 100.000 m²
– Petit Vichy : 22.000 m²
– Promenade de Létang : 63.000 m²
– Pépinière municipale du ravin Raz el-Aïn : 20.000 m²
– Cité-Jardin d’habitations à loyer modéré de Gambetta : 20.000 m²
– Jardins et squares divers à l’intérieur de la ville : 103.000 m²
Je ne sais pas trop ce qu’il en est aujourd’hui, mais à l’époque, le bruit courrait qu’Oran possédait plus de 10.000 arbres.
Difficile à vérifier.
En revanche, une certaine tradition est entretenue du côté du Parc Municipal où se déroulent rituellement les floralies d’Oran, organisées par l’APC, en collaboration avec les directions de wilaya de l’Education nationale et de la Jeunesse et des Sports.
« Pour cette sixième édition, la manifestation comptera des fleuristes, mais encore des pépiniéristes, des jardiniers, des potiers, des paysagistes, des commerçants en outillage et produits phytosanitaires de jardinage ainsi que des artisans en ferronnerie d’art de toutes les régions du pays. » (El Watan du 22 mai 2013)
Je ne suis pas fan de ce genre de manifestations parce que je n’ai jamais eu la main verte. Je dois bien me rendre à l’évidence, les plantes meurent en ma présence, donc je me dispense de leur compagnie. C’est mieux pour tout le monde.
Heureusement, le parc municipal a d’autres atouts, et notamment son côté photogénique. Trois images me touchent depuis longtemps :
– Celle de Yves Saint Laurent déambulant tout en élégance (accord subtil entre artifice et négligence) avec sa mère et sa sœur dans l’entrée du parc [J’ai appris trop tard que le parc dans lequel avait été prise la photographie n’était pas le parc municipal d’Oran mais celui de Bouisseville. Je laisse malgré tout la photographie. Comment s’en passer ?].
– Celle de mon père, de sa sœur, et de sa mère, sur fond d’arbustes. Aussi en noir et blanc.
– Celle de la collection Jean-Claude Pillon, assez admirable sur le plan des couleurs, et qui permet de se faire une idée de la maîtrise du parc, bien loin des jardins en mouvement de Gilles Clément.
C’est un parc assez récent (1941) mais qui a bien failli avoir sa chance en 1912.
A cette date, rien ne va plus, Oran grandit à une vitesse folle, il faut absolument faire quelque chose sans quoi la ville ne résistera jamais à la pression démographique et au développement des commerces.
Il est alors question de créer trois quartiers neufs, dont celui qui se trouve aujourd’hui à l’Est de Ville Nouvelle, au-delà des fortifications de l’époque, au niveau de la Porte de Valmy.
« Les propositions approuvées par le Conseil Municipal du moment précisaient que l’emplacement du Champ de manœuvres alloti formerait, avec la partie ouest du village nègre (aujourd’hui « Ville Nouvelle ») un des quartiers les plus beaux et les plus sains de la ville haute. » (Eugène Cruck – Oran et les témoins de son passé.)
La proximité de Ville Nouvelle attirait sur ce champ de manœuvres une espèce de gigantesque marché aux puces qu’un touriste (M. Kohn-Abrest) décrit dans son carnet de bord publié plus tard sous le titre, En Algérie, trois mois de vacances :
« En dehors des conteurs, les charmeurs de serpents qui prodiguent les baisers et les caresses à ces bêtes gluantes, les sorciers diseurs de bonne aventure, trouvent un public très crédule, très empressé, et qui ne se fait pas trop prier au moment de la collecte.
Enfin, bien souvent, quand les ombres de la nuit descendent sur Oran, enveloppant à la fois les murailles espagnoles, les maisons maures et les palais européens, des dizaines de bivouacs s’allument l’un après l’autre dans le Village Nègre d’Oran, et l’on peut voir les enfants de la race noire exécuter en rond les danses les plus étranges et les plus extravagantes. » (Cité par Eugène Cruck dans Oran et les témoins de son passé)
Le village Lamur est installé non loin, et cette partie d’Oran située au Sud de la ville n’a pas grand-chose à voir avec la ville européenne, depuis peu centrée sur la place d’Armes devenue Foch.
Ce sont deux planètes qui cohabitent, et si je ne sais pas vraiment comment les musulmans regardent les européens au début du XX° siècle, il y a quelques photos étonnantes de fêtes dans le Village Nègre qui montrent la curiosité des officiers français pour les fantasias organisées dans ce quartier.
L’étrange marché aux puces du début de siècle tiendra encore le choc pendant un bon moment.
A la création du parc, en 1941, l’emplacement est vendu depuis déjà quelques années à la ville d’Oran par le Gouverneur Général (arrêté du 23 octobre 1936), lorsque les américains débarquent (novembre 42), et squattent les lieux pour y installer leurs cantonnements.
On a à peine eu le temps de planter trois arbres :
« Le parc naissant ne résiste pas aux zigzags incessants et fougueux des jeeps ; il faut donc, en 1946, reprendre aménagements du sol et plantations. »
J’aime beaucoup cette image des jeeps qui zigzaguent entre les arbustes et arrachent tout sur leur passage. Il y a derrière ce fougueux et incessant mouvement de petites voitures militaires dans un parc municipal quelque chose de l’essence américaine. Peut-être une enfance toute puissante.
« Il faut apprécier actuellement ce que le Service horticole de la Ville a magnifiquement réalisé sur ce terrain : superbes massifs d’arbustes en fleurs, pelouses, allées, espaces réservés aux enfants, et surtout un charmant petit lac artificiel que sillonnent quelques cygnes vaniteux. » (Eugène Cruck)
J’ai été très surpris de découvrir les photos récentes d’Abdelbaki Fellouah.
On sait que la ville n’est pas en bon état, je pensais que le parc municipal ne serait qu’à moitié entretenu, il semble au contraire qu’il le soit très correctement, et c’est plutôt une bonne nouvelle.
D’autant plus que ce lieu a vu passer du monde, et qu’à l’image de l’église St-Louis (mais à un degré moindre), il porte une véritable mémoire plurielle.
Un incessant mouvement de population qui est peut-être la marque intime d’Oran.
Un coin de verdure sur el-Hamri.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)
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Floralies 2013 et Parc municipal, les photos d’Abdelbaki Fellouah.