Qué ni Abadie té salva !

Médaille, Dr Jules Abadie de l’Hôpital d’Oran, 1937, Paris. 150 euros.

 Je suis très déçu. Amazon m’a notifié qu’ils s’étaient trompés et que le premier tome d’Amédée Moreno sur le parler d’Oran avait déjà été vendu.

« Ils n’ont pas fait attention. »

Et bien la prochaine fois, il faudra faire attention.

Parce que c’est pénible de devoir commencer par le tome 2.

C’est pénible mais ce n’est peut-être pas plus mal si on y trouve des choses rares.

Par exemple, première page : le Docteur Abadie.

Le Docteur Abadie était, entre les deux guerres, un chirurgien oranais dont la célébrité a été confirmée par l’expression populaire suivante : « … qué ni Abadie té salva ! » Cela signifie… qu’Abadie lui-même ne pourra te sauver !

Cette formule s’énonce, chez les Oraniens, à la manière d’une prédiction funeste, quand certaines affections, douleurs, maladies ou calamités sont évoquées dans une conversation.

« Ne va pas manger chez Paco, que le gaspatcho de sa femme i te donne un de ces cólico… que ni Abadie té salva ! » ou encore « Dédé ! descends-moi vite de cet arbre, que si tu tombes et tu t’escalabre, ni Abadie té salva ! » 

On ne trouve pas grand chose sur le Docteur Jules Abadie.

[Sauf depuis septembre 2015, date de la publication du formidable livre de l’éternel Alfred Salinas, natif de la Marine, et grand connaisseur de la ville d’Oran. À ne pas manquer.]

Wikipedia : Jules Abadie, chirurgien à Alger, a été membre du comité français de la Libération nationale. Proche d’Henri Giraud, il intègre le comité français de la Libération nationale. Il y a été commissaire à la Justice du 7 juin au 4 septembre 1943, à l’éducation nationale et à la santé publique du 7 juin au 9 novembre 1943. 

Quand Giraud perd de l’influence au sein du CFLN, il est envoyé en mission en Amérique du nord, pour y étudier le fonctionnement des services d’hygiène et d’assistance publique. Il a été brièvement maire d’Oran en 1948.

C’est quand même très léger, d’autant plus qu’il a été chirurgien en chef à l’hôpital civil d’Oran et qu’il a été décoré de la légion d’honneur. J’ai trouvé ça par miracle dans un livre de Jacques Bouveresse, homonyme du philosophe français (à moins que ce ne soit lui, mais je ne crois pas) qui a écrit « Un parlement colonial ? Les délégations financières algériennes 1898-1945 – L’institution et les hommes – 2008 ».

A l’intérieur, on y trouve p457 : « engagé volontaire à l’âge de 38 ans en 1914, Jules Abadie, chirurgien de l’hôpital d’Oran, et ancien délégué non colon de la 4ème circonscription du département, sera cité en 1917 à l’ordre de l’armée et fait chevalier de la légion d’honneur.

Il devait à nouveau s’engager en 1939, et manifester d’une manière éclatante ses sentiments anti-allemands en se ralliant l’un des premiers à la cause du Général Giraud, et en reprenant du service en janvier 1943 sous forme de conférences de propagande française. »

Apparemment, c’était quelqu’un de valeur.

Mais ce n’est pas le premier document sur lequel je suis tombé.

Le premier document était un drôle de truc, qui m’a fait sourire.

L’automobile chirurgicale de l’inventif docteur Abadie

Et à l’intérieur, on peut y trouver des choses assez intéressantes du style :

Avant d’entrer dans les détails, rien ne saurait mieux préciser ce programme que la comparaison suivante : tout chirurgien (de province tout au moins) est fréquemment appelé à opérer d’urgence, loin de sa clinique, chez son malade ; en auto, il accourt avec son assistant, son matériel, et, sur place, dans une chambre, une masure, un gourbi, il exécute et réussit n’importe
quelle intervention.

Ce que ce chirurgien fait pour une opération, il faut que le chirurgien d’armée, en temps de guerre, puisse le faire dix fois, vingt fois par jour.

Dès lors, si pour une intervention, le chirurgien part avec son aide, son infirmier, ses instruments, sa table d’opérations, sa table à instruments, son nécessaire à anesthésie, enfin ses gants et ses matériaux stérilisés, il ne lui faudra ici qu’une chose de plus : de quoi renouveler ses matériaux stérilisés : bref ;

1 – des provisions ;
2 – un matériel de stérilisation.

Tout le reste, c’est à dire une seule chose : le local où aura lieu l’intervention, sera variable et emprunté au lieux mêmes où auront évacués, centralisés, le ou les blessés à opérer. Ambulance, ferme, château, il importe peu : on peut partout faire de la chirurgie propre, aseptique (encore faut il se souvenir qu’en chirurgie de guerre, sur des sujets presque tous déjà infectés, l’asepsie rigoureuse est exceptionnellement de mise alors que l’antisepsie doit être largement utilisée et réalise des miracles).

Le plan de l’automobile chirurgicale du docteur Abadie

Et si vous vous demandez à quoi peut bien ressembler une automobile chirurgicale, il suffit de cliquer sur le plan ci-contre. C’est très détaillé. On peut télécharger le pdf.

Manifestement, le Docteur Abadie avait le cerveau en ébullition.

On a fini par l’envoyer se promener en Amérique du nord, pour y étudier le fonctionnement des services d’hygiène et d’assistance publique et plus sûrement pour se débarrasser du bonhomme.

Mais il revient par la fenêtre avec un livre de 23cm et 212 pages : « En mission aux Etats-Unis et au Canada. »

En 1948, il devient même maire d’Oran… deux mois.

Un drôle de type.

Jean Baptiste Marie Jules Abadie meurt le 10 août 1953 à 77 ans.

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

*

NB  (07 septembre 2015) : Alfred Salinas qui connait Oran sur le bout des doigts (natif du quartier de la Marine) vient de publier une biographie du fameux docteur. À ne manquer sous aucun prétexte !



 

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