Il y a toujours des surprises lorsqu’on se penche sur une région du monde.
Ce que j’appelle une surprise, c’est quand deux lieux se lient de manière inattendue.
Le cas Orangina, par exemple, est typique.
La boisson vivait seule dans mon frigo jusqu’à ce que j’apprenne un jour l’existence de ses vieilles soeurs, originaires de la Mitidja, au sud d’Alger, et sources de blague dans les brasseries d’Oran.
Les Bastos, c’est un peu la même chose.
Ces cigarettes sont pour moi liées à l’Espagne. Adolescent, j’ai fait deux séjours linguistiques à Valladolid et Tarragone pour me perfectionner (c’est un grand mot) dans la langue locale. Le premier séjour, j’ai fumé des Fortuna ; le second, j’ai découvert les Bastos.
Je n’en suis pas devenu fanatique mais ces cigarettes me semblaient plus rudes que les fortuna, trop délicates à mon goût, en décalage avec le contexte. En revanche, les Bastos symbolisaient les cigarettes du mâle espagnol.
A 15 ans, on se cherche une personnalité.
Les Bastos me paraissaient des cigarettes de vieux bonhommes assis au comptoir, mal rasés, éreintés par le travail sur les chantiers, et jetant sur le sol des serviettes en papier après avoir goûté un calamar farci derrière une tortilla.
Autant dire que les Bastos étaient pour moi le summum de la virilité.
Et puis j’ai découvert que ces cigarettes originaires de Malaga s’étaient implantées à Oran pour construire un véritable empire en Algérie. (Voir le roman de Claude de Fréminville « Bunoz » qui relate l’histoire de Juan Bastos… un peu transformée)
« Juan Bastos, premier de la lignée, développe à Oran une activité de roulage de cigarettes à la main dès le début de la colonisation française.
En quelques décennies, le petite entreprise familiale va prospérer au rythme de l’accroissement du nombre de soldats. A la fin du XIX° siècle, Bastos emploie 3500 personnes à Oran et Alger. Plusieurs bureaux sont ouverts un peu partout ailleurs dans le monde durant la première moitié du XX°S, pendant laquelle la production annuelle atteint les 600 millions de cigarettes.
La cigarette Bastos est indissociable du soldat français de la guerre d’Algérie.«
C’est dans un hors-série du journal La Provence sur les pieds-noirs. Ce n’est pas évident les hors-séries. Il faut fouiller dans tous les coins pour trouver autre chose que les horreurs. Pour qui désire tout simplement connaître l’histoire d’Oran (ou de toute autre ville) il faut s’accrocher. Quelques sites en parlent parfois, mais si peu.
Et puis de temps en temps, c’est le miracle. On tombe sur de petites perles.
« Combien de « cigarières » issues du quartier ont été employées dans cette société, créée par Juan Bastos, immigré espagnol dans les années 1800 avant la conquête ? Difficile de donner un chiffre, car les « Marineras » ont constitué un bon vivier dans le recrutement des ouvrières de cette usine de tabac située rue C. Quint entre le port et la place de la République, au droit de la promenade de Létang, merveilleux jardin suspendu face à la belle rade d’Oran. La plupart des familles avait une parente (mère, tante, soeur, nièce ou cousine) exerçant chez Bastos.«
C’est tout en bas de la page d’un site qui se rappelle le quartier de la Marine.
A 42 ans, j’abandonne la virilité espagnole pour les femmes de Bastos.
Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)
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Collection de photos Georges Vieville sur les cigarettes Bastos