C’est peut-être la première fois que je tombe sur un texte qui exprime clairement ce que je recherche depuis des mois.

 

« Pour dire l’Algérie du bonheur, de mon bonheur, avant de raconter les folies meurtrières des dernières années qui l’ont défigurée et transmettre le journal qui retrace fidèlement ce qui s’est passé autour de nous, il me faut revenir à près de 40 ans en arrière.

C’est une douce joie que je savoure sans rancœur, avec une nostalgie teintée de mélancolie, comme une mère qui se plait à retrouver le souvenir de ses enfants quand ils étaient petits.« 

 

C’est beau.

C’est simple, pur, sans emphase. Très moderne.

C’est Jeanne Cheula dans « Hier est proche d’aujourd’hui », un livre sorti en 1979.

Je n’ai pas beaucoup de renseignements sur Jeanne Cheula si ce n’est qu’elle a eu son lot d’horreur puisqu’elle a connu le 5 juillet 1962 à Oran. Elle a écrit un témoignage très fort.

Mais elle sait qu’il y a eu quelque chose avant le 5 juillet, et quelque chose aussi avant la folie meurtrière des dernières années.

Quelque chose que j’ai toujours senti chez mon grand-père maternel, l’amour de l’Algérie avant tout.

C’est la raison qui me fait m’intéresser aussi à l’Algérie actuelle : Oran est toujours là, avec son Murdjadjo, sa Montagne des Lions et sa Sebkha. Et ses habitants, qui m’aident à la sentir. Je ne veux pas me priver de cette chance.

Il est possible d’éprouver quelque chose de ce qui a existé il y a 80 ans, parce que la mer, la montagne et la sebkha sont toujours là.

« Notre histoire est toute simple, elle est celle de milliers et de milliers d’autres gens. Mais elle est, comme toutes les histoires de pieds-noirs, intimement liée à notre Pays, sans doute parce que, sous son ciel incomparable, on vivait hors des murs et on réagissait charnellement à toutes les choses extérieures. Le ciel, le soleil, la mer rythmaient la vie.« 

Ça, je l’ai toujours su. Mais c’est très bien écrit.

Oran – Le boulevard Clémenceau en 1949

On rentre ensuite, au début du livre, dans de très belles descriptions qui, lorsqu’on commence à connaître les lieux, résonnent d’une manière toute différente. Je n’aurai pas travaillé en vain pendant 5 mois, je peux profiter de ces quelques phrases :

[…] Le charme d’Oran est plus brutal. Cela tient d’abord à l’acuité de la lumière, une lumière dont on croit toujours avoir tout dit, mais sur laquelle on revient sans cesse, car elle est l’essence même de l’Oranie : une lumière vibrante, changeante au gré des heures et qui donne un relief sensible aux moindres choses.

Le décor d’Oran ne manque ni de grandeur, ni de pittoresque ; dans un cadre plus rude que celui d’Alger, un plateau nu, la baie est magnifique. Par delà les falaises rouges et déchiquetées de Canastel et de Gambetta, la ville s’ouvre en un large éventail s’étageant au-dessus du port et s’arrête aux pentes abruptes du Murdjadjo. L’imposant fort turc au sommet de la montagne et la Vierge bénie qui domine la colline sont des images inséparables d’Oran« 

Et puis c’est la promenade autour de la sebkha, le passage dans les vignes à l’est, sur la corniche à l’ouest, et la traversée des petits villages.

« A perte de vue, des champs de vignes remarquablement entretenues, offertes à toutes les ardeurs du soleil, faisaient la richesse de ce coin du pays où il n’était pas besoin de parcourir des kilomètres pour trouver une agglomération, comme dans le Constantinois ; ce qui à la longue faussait tout naturellement chez nous la notion des distances.

Les villages y étaient plus importants et plus proches les uns des autres. Riants villages d’Oranie, tous du même type, épanouis dans le soleil et la chaleur !

[…] Le spectacle entrevu un dimanche d’été, quand la chaleur  commençait à monter, était le même dans tous les villages traversés ;

une rue centrale bordée d’eucalyptus et de maison sans étage, où de jolies filles brunes promenaient des toilettes claires à la sortie de la messe, des garçons par petits groupes sur leur passage pour les regarder et répondre à leur sourire ;

une petite église toute blanche sur une plage ombragée de platanes ; des hommes jouants aux boules ; beaucoup de cafés aux terrasses encombrées de géraniums, envahies par la fumée des brochettes et des merguez qui grillaient sur du charbon de bois ;

des cafés maures pleins de musique nasillarde et bondés de joueurs de dominos ; de jeunes Arabes à bicyclettes et des vieux assis au soleil au bord des trottoirs. Arcole, Saint-Cloud, Renan, Saint-Leu« 

Alors bien sûr, ça ne se voit pas sur les extraits prélevés, mais on est en plein mythe pionnier et fraternisation des peuples par ailleurs. Ce n’est pas grave, ce qui m’intéresse et qui est rare, c’est la qualité de l’écriture qui permet de retranscrire une émotion presque indescriptible.

Je peux enfin toucher du doigt sur des pages et des pages ce que mon grand-père a pu aimer là-bas. C’est très important d’être capable de transmettre ces sensations.

C’est chez lui que se trouvait ce livre.

L’ouvrage était accompagné d’une lettre signée Mme B. en date du 7 octobre 1981 et adressée à tous ceux qui l’avaient commandé.

« Chers Amis. Merci de nous avoir fait confiance. Privat nous a livré 300 livres pour l’Exposition de Perpignan et les 1700 autres le 21 septembre. Depuis nous avons attendu les emballages qui devaient nous être livrés le même jour par une maison de Paris. Nous les recevons à l’instant« 

Le Copyright est de 1979, la réception des livres à Perpignan pour octobre 1981.

Jeanne Cheula était très attendue.

C’est sûr qu’en 1979, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, en librairie.

Tout est en ligne et téléchargeable à cette adresse. J’en ferai peut-être une édition numérique au format Kindle pour que tout le monde puisse y avoir accès. Ce genre d’écrit ne mérite pas de passer à la trappe.

Après quelques petites recherches rapides sur Internet, je vois que cette Mme B. fait (faisait) partie du Cercle Algérianiste de Montpellier. Elle envoie à mon grand-père un exemplaire dédicacé de la main de Jeanne Cheula :

« A Monsieur et Madame L. en souvenir d’Oran et tout particulièrement de la Rue Marquis de Morès, avec toute ma sympathie. Jeanne Cheula.« 

Pourquoi la Rue Marquis de Morès ? Je n’en sais rien.

Un mystère de plus.

C’est parfait.

 

Paul Souleyre (mais qui est Paul Souleyre ?)

 

NB : Aujourd’hui, je sais pourquoi la rue Marquis de Morès. C’est là que se trouvait l’école Lamoricière où enseignaient mes grands-parents. Jeanne Cheula semble liée à eux par ce biais. 



 

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